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“Ready (To Be) Made” article 961
au Bal, Paris

du 30 mai au 25 août 2013 (prolongée jusqu'au 1er septembre 2013)



le-bal.fr

 

 

© Anne-Frédérique Fer, le 29 mai 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  © Taiyo Onorato & Nico Krebs, Wires, 2006, série The Great Unreal. Courtesy RaebervonStenglin, Zurich.
2/  © Taiyo Onorato & Nico Krebs, Abbyss, 2006, série The Great Unreal. FNAC 2011-0526, Centre National des Arts Plastiques.
3/  © Bas Jan Ader, Fall I, 1970. Courtesy Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.

 


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Interview de Diane Dufour, commissaire et directrice du Bal,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 29 mai 2013, durée 7'52". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Diane Dufour, directrice du Bal

 

À plusieurs générations d’écart, l’oeuvre de Bas Jan Ader, artiste néerlandais né en 1942 et émigré en 1963 en Californie,  et celle de Taoyo Onorato et Nico Krebs, deux artistes suisses nés en 1979 et vivant à Berlin, se répondent et se font face.  Toutes deux oscillent entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Toutes deux activent la substance « readymade » d’un objet ou  d’un corps placé devant la caméra ou l’objectif. Toutes deux convoquent la froideur de l’art conceptuel et, au même moment, l’absurdité du comique burlesque. Toutes deux cherchent l’harmonie et la trouvent, par la pauvreté des moyens. Toutes deux nous livrent des faits énigmatiques, sans cause ni conséquence, métaphores de notre passage sur terre. Toutes deux provoquent  délibérément « l’accidentellement vrai ».
Bien sûr, me direz-vous, l’un chute tandis que les autres érigent. Et la gravité des films de l’un, dans tous les sens du terme, trouve son contrepoint dans l’apesanteur facétieuse des installations des autres. À la logique implacable du « climax » dramatique des films de Bas Jan Ader répondent les hasards heureux et à répétition d’Onorato et Krebs.
Pourtant il s’agit bien ici dans les deux cas de prendre la mesure de notre humaine condition. La fragilité de l’action en vient à révéler toute sa dimension existentielle. L’expérience du monde plutôt que son interprétation. L’absurdité du geste qui ne condamne pas, mais remet en question. « L’absurde n’est pas le non-sens. C’est le non-sens face à quelqu’un qui demande du sens. » (Frédéric Worms)
Ou la rencontre fortuite de Marcel Duchamp avec Buster Keaton ...
Diane Dufour

 

 

 

Bas Jan Ader

Gravité par René Viau*
Redécouverte à la fin des années quatre-vingt, la figure de cet artiste d’origine hollandaise, qui a émigré en Californie à l’âge de 23 ans, fait aujourd’hui l’objet d’un véritable culte. Le Camden Arts Centre à Londres (2006), le musée Boijmans van Beuningen à Rotterdam (2006), et le Musée d’art contemporain de Bologne (2012) lui ont consacré une rétrospective, accompagnée d’un catalogue Bas Jan Ader – Please don’t leave me.
« L’art de Bas Jan Ader fait cohabiter et se rencontrer l’ensemble des valeurs d’emploi de ce mot. Il joue du déplacement de sens, et cette gravité dont il est question concerne autant celle «qui peut entraîner les pires conséquences » que la qualité quelque peu sentencieuse d’un ton, d’une attitude. Et surtout cela a à voir avec le phénomène physique des lois de l’attraction. Chez Bas Jan Ader ces trois sens accolés à ce même terme cohabitent et se rencontrent en une dimension à la fois laconique et poétique qui participe de l’insaisissable.
Maniant une forme extrême d’ironie et de distance, Bas Jan Ader allie la neutralité « informationnelle » des procédures d’expérimentation et des modes d’opération de l’art conceptuel à une posture « mélancolique » voire « romantique » détonante.
I’m too sad to tell you (1971), l’une des oeuvres les plus connues de l’artiste, montre bien la façon toute personnelle avec laquelle Bas Jan Ader expérimente le tragique. L’artiste s’est filmé en train de pleurer à chaudes larmes. Bas Jan Ader se conforme au mode d’emploi écrit au générique, et qu’il s’est lui-même prescrit : « Pleurer pendant toute la durée du film ». Dépourvue de toute motivation plausible, en l’absence de contenu narratif, l’émotion ne deviendrait dans ce film qu’une abstraction, un concept. En lieu et place, Ader fait de l’art la possibilité d’une vérité vécue en propre. Combien de fois a-t-on entendu dire que l’art conceptuel était « aride et sans émotion » ? Intitulée Romantic conceptualism, une exposition de nombreux artistes, dont Bas Jan Ader, à la Kunsthalle de Nuremberg en 2007, contredisait cette affirmation : un certain néo-romantisme et le recours au sentiment peuvent irriguer l’art conceptuel, souvent marqué par l’esthétique du sublime.
Dans ses films Fall 1, Fall 2, Broken Fall (Geometric) et Broken Fall (Organic), les performances filmées de ce cascadeur de l’absurde qu’est Bas Jan Ader témoignent d’une certaine forme d’héroïsme dandy. On retrouve ce romantisme de l’exploit inutile, mais en version grandiloquente, dans le land art, que désapprouvait Ader, et chez nombre d’autres artistes conceptuels de l’époque. On peut penser en particulier à l’ascension du Kilimandjaro de Richard Long. A contrario, comme Matta-Clark, qui récusait cette forme atemporelle de tourisme esthétisé, ou Chris Burden, Ader, en se faisant le sujet et l’objet de ses dérisoires et sérielles entreprises icariennes, détourne à vide toute quête d’héroïsme qui ne correspond plus au monde dans lequel il intervient.
Se condamnant à la chute et affrontant la catastrophe ordinaire, il n’envisage que l’exploit en pure perte. Se laisser tomber d’un arbre ou du toit d’une maison n’est pour Ader qu’un face-à-face avec l’épreuve. Son entreprise, dès lors, ne peut se réduire à une approche de la dérision ou au spectacle de l’échec.
Dans ces scènes où il ne fait que tomber à répétition, Ader tente de comprendre par lui-même les mécanismes qui président tout autant à nos mouvements les plus simples qu’à nos rêves les plus héroïques. À l’époque où les hommes envoient d’autres hommes sur la lune, Ader reprend tout à zéro. Son exercice est celui de la fondation. Ce que met à nu son refus de tout spectaculaire, c’est bien la limite de ce que valent nos rêves, de ce que peut le corps, les limites de son énergie comme de ses ressources. En d’autres termes, ni plus ni moins que le réel.
On connaît la suite. La biographie de Bas Jan Ader nous renvoie à ce zéro insupportable et définitif de l’accident. Parti de Cape Cod, l’artiste entreprend en 1975 la traversée de l’Atlantique en solitaire. Un petit voilier de 13 pieds doit l’amener à Land’s End au Royaume-Uni. Ader veut faire de ce périple une performance intitulée In Search of the Miraculous II. À son arrivée aux Pays-Bas, une exposition prévue au Musée de Groningen doit en rendre compte. L’embarcation fait naufrage. Bas Jan Ader meurt, âgé de 33 ans.»

* René Viau est critique d’art. Il a collaboré à de nombreuses publications, tant en France qu’au Québec. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur des artistes québécois.

 

 

Taiyo Onorato et Nico Krebs

Les apprentis sorciers, par Urs Stahel, Directeur du Fotomuseum Winterthur en Suisse.
« Onorato & Krebs sont des photographes «de la deuxième ou troisième génération». Ils ont grandi dans une nature peuplée, retournée et utilisée par l’homme mais sont aussi nés dans un monde d’images qui, en croissance exponentielle, imprègnent les esprits. Le monde disparaît ainsi derrière de si nombreux écrans photographiques, il est affecté par les interférences d’un si grand nombre de réalités que la différence entre être et paraître est devenu difficile voire souvent impossible à faire. Le philosophe français Jean Baudrillard parlait d’une « hyperréalité », un ciel peuplé de signes, dans lequel nous ne pouvons plus guère nous référer à ce qu’on appelle la « réalité ».
Taiyo Onorato et Nico Krebs réagissent à cela comme des enfants d’humeur à jouer : ils se construisent leur propre monde dans lequel la réalité et la fiction, ce qui a été vu et ce qui a été imaginé, ce qui est documenté et ce qui est une construction, l’image et l’illusion, la voie tracée et la voie libre se nourrissent les uns les autres et se coupent en même temps l’herbe sous le pied. Du sommet d’un amas de gravats ou d’une échelle, ils testent, dans Blockbuster, la réalité et la solidité du monde bâti en tapant allègrement dessus. Mieux encore : de leurs univers iconographiques surgit dans Grow Homes une nouvelle nature.
Où sommes-nous? »

The Great Unreal par Taiyo Onorato et Nico Krebs
« Une bourse de la ville de Zurich nous a amené en Amérique à l’été 2005. La grande tradition américaine de la photographie de paysage et le mythe du «road trip» avaient été des références très présentes lors de nos études. Alors, nous décidâmes de partir nous aussi vers l’ouest.
Lors de ce premier voyage nous nous sommes sentis photographiquement «perplexes». Les vastes horizons, la répétition des motifs de l’architecture consumériste, la beauté sans fin de la nature, l’échelle démesurée de toute chose, tout ceci était bien sûr excitant mais nous ne parvenions pas à photographier. Tout paraissait déjà vu. Dans des films, des romans, des livres de photographies. Tout était «déjà là». Pour surmonter la déconvenue de toute cette imagerie, nous avons décidé de la tordre, de la déminer de l’intérieur, de lui injecter une dose mortelle de «réalité». En créant des objets, des choses que nous fabriquions nous-mêmes avec deux bouts de cartons et trois bouts de ficelles achetés au Home Depot local, en les plaçant devant notre objectif, nous allions intervenir dans le paysage. Il s’agissait de nous l’approprier tout en restant dans le temps et l’espace contraints de la prise de vue, donc du medium photographique.
En 2006 et 2008, plusieurs voyages ont été l’occasion de faire d’autres images, collages et montages, guidés par notre intuition et le bonheur des coïncidences. Bientôt la frontière entre le réel et l’imaginé devint floue et ces morceaux disparates en sont venus à former notre Amérique».

 

 

En parallèle de l’exposition Ready (To Be) Made, un cycle de rencontres, de conférences, de projection (cinéma des cinéastes) et de performance est programmé.
Tout le programme sur Le Bal LAB – www.le-bal.fr