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“Une préface” article 970
Le Plateau, Frac Île-de-France, Paris

du 6 juin au 28 juillet 2013



www.fracidf-leplateau.com

 

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage, le 5 juin 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Pedro Barateiro, People Looking at things (The Drawing) , 2013. Crédit Pedro Barateiro et courtesy galerie Filomena Soares, Lisbonne.
2/  Paul Sietsema, Figure 3, 2008. Photogramme du film 16 mm, N&B et couleur, muet, 16 min. Courtesy de l'artiste et Matthew Marks Gallery.
3/  Philippe Fernandez, Conte philosophique (la Caverne), 1995-1998. Photogramme du film 35 mm transféré en vidéo HD, N&B, muet, 14 min. Courtesy de l'artiste, crédit photo : Jean-Christophe Garcia.

 

extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition : Elodie Royer et Yoann Gourmel

 

Avec Pedro Barateiro, Stéphane Barbier Bouvet, Richard Brautigan, Michael Crowe, Jimmie Durham, Philippe Fernandez, Mark Geffriaud, Ruth Krauss & Antonio Frasconi, Guillaume Leblon, Zoe Leonard, Paul Sietsema, ainsi qu'une exposition organisée par Triple Candie

Enfant, je n’avais pas d’ami imaginaire, j’avais une photographie imaginaire. J’étais sinon un enfant tout ce qu’il y a de plus normal, pour ne pas dire ennuyeux. Je ne considérais pas cette photo comme quelque chose de particulièrement spécial, mais je savais que je devais la garder pour moi. Curieusement, je pensais que quelqu’un pourrait me la voler s’il en entendait parler. J’ai observé cette image pendant des heures, et pourtant aujourd’hui, je ne pourrais pas vraiment vous la dessiner, pas correctement en tout cas. Elle semblait m’aider. Chaque fois que je me sentais seul, j’y jetais un oeil et elle m’envahissait. Autant que je sache, j’ai toujours tenu l’image à l’envers. Cela n’avait pas d’importance, c’était mon petit abri de fortune.

J’ai découvert ce qu’était cette image seulement des années plus tard à l’école. J’avais seize ou dix-sept ans, un élève typique, mauvais et indifférent. Ma grande idée était de ne lire que les préfaces des livres pour en couvrir un plus grand nombre. Pas recommandé. Aller à l’école était déprimant. J’avais l'impression de m’enfoncer de plus en plus profondément dans une caverne. Seule une professeure m'intéressait, Mme Padgett. La première chose dont elle nous ait parlé fut l’hypothèse des cinq minutes de Bertrand Russell. « Il n’y a aucune impossibilité logique à la supposition que le monde ait jailli il y a cinq minutes, exactement tel qu’il était à ce moment là, avec une population se souvenant d’un passé complètement irréel. » Elle avait toute mon attention.

Elle nous demanda d’imaginer ce à quoi Bertrand avait pu penser cinq minutes avant d’avoir eu cette idée. Elle nous demanda d’imaginer le premier et le dernier plan s’intervertir. Elle nous demanda d’imaginer qu’il pleuvait des grenouilles, puis des poissons, puis des photographies du soleil. Elle nous demanda de regarder les choses comme si nous étions de mauvais détectives sur le point de se faire virer. Je me souviens qu’une fois, alors que nous disséquions des pierres (à la place de crapauds), elle nous dit : « une bulle de savon est aussi réelle qu’une dent fossile ».

Un jour, elle déclara « Positrons ». Je pensai à ma photographie imaginaire. Je sus soudainement qu’elle représentait un positron. Le mot avait simplement l’air juste. Elle donna une image à Marie et lui demanda de la faire circuler. J’eus le sentiment que ma chaise d’écolier oscillait comme une balançoire. Mon esprit se mit à faire des bonds.
J’écoutai : « Cette photo d'un positron a été prise par Carl Anderson en 1932. Un des grands mystères de la physique était de comprendre (je m’imaginais l’entrée de l’école) pourquoi tous les électrons sont apparemment identiques. Feynman a émis l’idée (la sortie de l’école) que tous les électrons puissent en fait être le même électron, rebondissant (un visage, deux battements de paupière) d’avant en arrière entre (un flash d’appareil photo) le début et la fin des temps. Un électron voyageant (une balle de baseball) à rebours dans le temps est ce que nous (sculptures, dessins, films) appelons un positron. Ils existent vraiment. On croit rêver, je sais… Mais ce dont il faut se souvenir (une autre salle de classe), c’est… » Sa voix s’évanouit peu à peu. La salle de classe se retourna sur elle-même et se remplit d’ambre tandis que l’on me tendait l’image.

Michael Crowe

 

 

 

Car le début est à coup sûr la fin – puisque nous ne savons rien, c’est évident, en dehors de nos propres complexités.
William Carlos Williams, Paterson, 1946, Préface au Livre 1

Reprenons depuis le début. Une des plus anciennes définitions de l’image est donnée par Platon appelant sous ce terme « d’abord les ombres ensuite les reflets qu’on voit dans les eaux, ou à la surface des corps opaques, polis et brillants et toutes les représentations de ce genre ». Au-delà de leurs surfaces, qu’entendons-nous aujourd’hui par images à l’heure où leurs origines sont ambigües, oubliées au profit de leurs usages, de leurs trajectoires ou de leurs destinations supposées, à l’heure où tout semble capturable. Une image est-elle un fichier jpeg dans un disque dur ? La trace de pigments sur un mur ? Une impression sur papier ? Un arrangement d’objets dans un espace ? De couleurs sur une toile ? Un masque en cire ? Une projection mentale ?

Pour les artistes réunis dans l’exposition, la production d’images est indissociable de leur processus de fabrication et de leur matérialité. Utilisant des médiums variés, ils mènent chacun une réflexion sur leur apparition et l’instabilité de leurs significations en fonction de leurs conditions d’organisation, de présentation et de circulation. Du fait main au faire image, des images « source » à leurs usages, des idées vagues aux images claires, ils nous invitent à cerner les dynamiques de perception et d’interprétation qu’elles sous-tendent, soulignant aussi bien la subjectivité et la responsabilité de celui qui donne à voir que de celui qui regarde.

Partager le récit d’une photographie imaginaire, transposer la caverne de Platon dans une salle de cinéma, photographier le soleil dans les yeux, façonner des objets anciens à partir de leurs reproductions pour les filmer et les remettre en circulation, réunir des fragments d’exposition à partir de substituts faits main d’oeuvres d’art, agencer des objets qui soient leurs propres spectateurs ou au contraire sculpter un espace à contempler comme un paysage depuis un belvédère, donner vie à une bibliothèque de livres fictifs, délivrer les pierres des fonctions que l’homme leur a attribuées pour les considérer comme des formes sculpturales indépendantes sont certains des gestes qu’il sera possible de rencontrer dans cette préface.

Si par définition une préface est toujours placée avant un texte que l’on s’apprête à lire, en ayant pour fonction d’en amorcer ou d’en prolonger l’expérience, elle est pourtant toujours écrite et souvent lue après. Autrement dit, une préface introduit au moment où l’on termine la lecture d’un ouvrage tout en étant généralement placée au début de celui-ci. Dans l’esprit non linéaire et digressif de Laurence Sterne, qui, disposant « d’un certain loisir » au chapitre XX du 3e livre de Vie et opinions de Tristram Shandy, décide de le « mettre à profit pour écrire (sa) préface », s’apercevant que celle-ci vient à manquer à son ouvrage, une préface est ici le dernier volet d’une série d’expositions. Car la fin est à coup sûr le début.