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“Bruno Réquillart” Poétique des formes
au Château de Tours, Jeu de Paume Hors les Murs, Tours

du 22 juin au 20 octobre 2013



www.jeudepaume.org
www.tours.fr/139-chateau.htm

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Légendes de gauche à droite :
1/  Bruno Réquillart, Vers Portofino, Italie, 1977. © Ministère de la Culture — Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Bruno Réquillart.
2/  Bruno Réquillart, Luleå, Suède, 1975. © Ministère de la Culture — Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Bruno Réquillart.
3/  Bruno Réquillart, Île d’Unije, Yougoslavie, 1974. © Ministère de la Culture — Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Bruno Réquillart.

 

extrait du communiqué de presse

 

Commissaires
Michaël Houlette, commissaire et coordinateur d’expositions au Jeu de Paume, et
Matthieu Rivallin, chargé de collections à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine

 

 

L’exposition
Le parcours de Bruno Réquillart (né en 1947 à Marcq-en-Baroeul) débute en 1967 avec des reportages témoignant de l’état d’esprit libertaire et militant propre à sa génération et à son époque. Sa rencontre avec Maurice Béjart et le Ballet du XXe siècle, qu’il photographie pendant trois ans, reste à ce titre emblématique. Mais l’expérience photographique se poursuit bientôt chez lui en marge du document et de la commande pour se concentrer sur le quotidien et sur les lieux qui lui sont familiers.
Sa démarche se fait alors conceptuelle, relève de l’inventaire et de l’accumulation de sujets a priori insignifiants (les séries s’intitulent « Constats » et montrent des éléments urbains : rideaux de fer, panneaux publicitaires, troncs d’arbre, etc.) : « J’avais à l’époque une sorte de boulimie de l’image, je faisais des prises de vue mais je ne développais pas mes négatifs », raconte-t-il aujourd’hui. Mais sa curiosité visuelle est tout aussi révélatrice d’une histoire personnelle, d’un retour introspectif, d’un besoin « d’état des lieux ».

L’entreprise, nourrie de quelques voyages en Europe, s’arrête brusquement en 1979. Persuadé d’en avoir terminé avec la photographie, Bruno Réquillart se consacre alors à la peinture « pour essayer autre chose » et fait bientôt don à l’état (en 1993) de ses négatifs et de ses tirages.
Après une absence d’images qui dure presque vingt ans, s’opèrent un renouveau et un retour à la pratique. À partir de 2000, Bruno Réquillart photographie avec un appareil panoramique les paysages de son enfance passée dans le Nord-Pas-de-Calais, les ruelles de Pavia (Portugal), où il a désormais installé son atelier de peintre, et surtout Paris. La ville, son lieu de vie depuis 1970, est à nouveau scrutée comme un inépuisable matériel visuel mais sa représentation, sans doute en raison du format, s’est enrichie d’innombrables formes et détails observés lors de ses déambulations.
L’exposition et son catalogue proposent un regard rétrospectif sur une oeuvre passée et dévoilent pour la première fois un travail en devenir : deux périodes d’une démarche faite de recherches, de ruptures et d’interstices mais qui, paradoxalement, affiche une constance et une richesse peu ordinaires.

Parcours de l’exposition
Le parcours, composé de 133 épreuves jet d’encres, inédites pour la plupart d’entre-elles, respecte le découpage en deux parties de l’oeuvre. La première partie (le rez-de-chaussée du Château) présente la production réalisée entre 1967 et 1979 qui fit l’objet d’une donation à l’État (désormais conservée par la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine).
La seconde partie (le premier étage) rassemble exclusivement des images panoramiques prises par Bruno Réquillart depuis 2000, dont certaines sont en couleurs.

Génération
Étudiant en arts graphiques et en communication près de Tournai, Bruno Réquillart s’initie à la photographie en 1967. Cette année-là, le public du carnaval de Binche et ses Gilles dansant au son des fanfares lui fournissent un premier sujet. Ses images s’apparentent alors au reportage et, bientôt, la photographie mobilise toute sa vie. Il arpente les rues, accompagne des manifestations ou prend part à des rassemblements comme à l’île de Wight en 1971. Au mois de juillet 1968, il se rend en Avignon et photographie les spectacles et les débats autour d’un festival en pleine tourmente. Il se lie d’amitié avec certains danseurs de la troupe de Maurice Béjart qu’il va suivre pendant près de trois ans. Délaissant peu à peu les coulisses et la vie de la troupe, il s’attache à saisir, au cours des représentations, la gestuelle des danseurs se détachant sur le fond sombre et uniforme de la scène. Dès ces premières années, Bruno Réquillart met en place un langage photographique singulier, graphique et formel. Il essaie, recommence, expérimente, prend des chemins de traverse.

Séquences/Constats
À partir de 1972-1973, Bruno Réquillart s’éloigne définitivement du reportage. Il commence à travailler à des séries (photographiant des passants par exemple) et des séquences qu’il appelle « Constats ». Le recours à la série n’est pas un principe nouveau mais, au début des années 1970, celle-ci s’inscrit au coeur des recherches de photographes comme Bernd et Hilla Becher ou Duane Michals : chez Réquillart, la séquence n’est aucunement narrative, elle est un constat d’état. Il s’intéresse à son environnement immédiat, photographie des sujets ou objets a priori anodins comme les protections d’arbres ou un matelas abandonné dans une rue. Il structure son approche et son rapport au sujet en faisant preuve d’une grande rigueur plastique, multipliant les points de vue systématiques.

Espaces/Surfaces
De 1973 à 1975, Bruno Réquillart séjourne en Suède, avant de se rendre en Italie et en Yougoslavie, notamment sur l’île d’Unije. Il rejette toute image documentaire signifiante et photographie par exemple à Venise l’image d’une simple vague isolée sur la lagune. Il commence à produire des oeuvres autonomes comme le fameux plongeur, photographié au cours de l’été 1974 : au bout d’une jetée un homme semble suspendu entre ciel, terre et mer, la jetée s’alignant sur l’horizon. L’utilisation d’un film très sensible, qui accentue le grain de l’image, lui permet de dissoudre le sujet et de confondre les plans. Il poursuit ses explorations formelles, travaillant aussi à des gros plans, s’intéressant aux textures. Puis les personnages disparaissent peu à peu de ses images, cédant la place à différents lieux qui exercent une fascination sur lui comme le parc de son enfance, ou la place Denfert-Rochereau près de laquelle il s’est installé à Paris. Ces lieux, symboliquement forts, sont abondamment photographiés : Réquillart joue avec la géométrie, s’amuse à perturber l’organisation spatiale en faisant entrer dans son cadre le plus d’éléments possibles. Il crée ainsi une tension, intrigue et force l’attention. À la fin de l’année 1977, il consacre une série de photographies au parc de Versailles : composées à partir des obliques des bassins et des allées, scandés par les sculptures et les buis taillés, elles constituent le véritable aboutissement de son interrogation sur la perception des espaces. Bruno Réquillart est, dès cette époque, reconnu comme l’un des représentants de la nouvelle photographie française. Mais il a bientôt l’impression de se répéter, de tomber dans un systématisme et préfère « s’enfermer dans un atelier pour essayer autre chose ». À partir de 1979, il abandonne peu à peu la photographie pour se consacrer uniquement à la peinture.

La Seine
Vingt années séparent les deux sections de cette exposition. Vingt années au cours desquelles Bruno Réquillart ne réalise aucune prise de vue ni aucun tirage. C’est en instaurant d’abord un dialogue avec son passé, en renouvelant ce qui a déjà été photographié qu’il reprend, en 2000, son travail de photographe. Mais il se sent limité dans sa recherche par le format 24 x 36 qu’il pratique et qu’il connaît intimement ne lui permet pas d’englober tous les éléments qui retiennent désormais son attention. Il fait l’acquisition d’un appareil panoramique et peut ainsi envisager le réel autrement. Ce nouveau format le pousse à revoir sa méthode et à apprécier sa propre distance aux choses et aux lieux. La série qu’il consacre à la Seine présente certes quelques vues d’ensemble du fleuve, mais instaure principalement un dialogue entre un sujet et son reflet, entre un motif géométrique et son écho. D’autres prises de vues montrent des horizons obstrués par des premiers plans qui dissimulent le sujet et le détournent de toute représentation pittoresque. Le panoramique est utilisé comme un instrument de découpe : il ne s’agit pas de tout voir mais toujours de « choisir et d’éliminer ».

Paris
Bruno Réquillart est un « flâneur attentif », à l’instar d’André Kertész ou d’Édouard Boubat. Lors de ses déambulations parisiennes, il examine les motifs, apprécie les combinaisons et jauge les possibles dialogues : des cercles, des carrés et des triangles qui peuvent s’inscrire dans ce rectangle étiré, celui de son viseur panoramique. Sa photographie ressemble à une topographie, un art de la mesure où il dresserait pour ainsi dire son propre inventaire des sujets et des lieux. Il s’arrête sur des motifs, des lignes, des ombres, relève les anecdotes et redécouvre la ville par des moyens détournés, à travers le reflet des vitrines par exemple. Le cadrage est précis et rigoureusement composé comme un travail effectué à la chambre photographique. Pourtant, l’appareil est léger, la prise de vue toujours instantanée. L’image est avant tout une traduction d’une sensation immédiate.

Carency-Pavia
Parmi les sites et villes photographiés par Bruno Réquillart, deux lieux retiennent particulièrement son attention. Tout d’abord Carency (Nord-Pas-de-Calais) où il retrouve les sensations et les souvenirs liés à son enfance. Certains sujets (un porche, des arbres), certains points de vue déjà photographiés reviennent, rythment son oeuvre et s’imposent comme des idées fixes. Ces prises de vue répétitives permettent de valider le réel et sa structure, d’établir des comparaisons et d’apprécier les évolutions du décor et des sentiments. Ensuite un village du Portugal, Pavia, où il installe son atelier de peintre vers 2000. La photographie est alors une manière de s’approprier un lieu et d’explorer un nouvel objet de recherche. Les rues, les environs, les arbres et les brumes aussi, Bruno Réquillart veut tout englober par l’image. C’est à Pavia qu’il débute une série où apparaissent des figures humaines : les vieillards ne sont pas de simples silhouettes ou des « passants » comme dans ses travaux antérieurs mais des visages et des présences qu’il campe dans leur décor.

Oliviers
Le noir et blanc accuse les lignes et les formes. La couleur, quant à elle, révèle les volumes. C’est dans les environs de Pavia que Bruno Réquillart remplace les arbres de son enfance par de vénérables chênes-lièges et des oliviers dont il révèle la singularité et l’étrange physionomie : « J’avais tous les éléments pour n’y voir que des abstractions, des jeux de matières, de valeurs et de couleurs, et donc une infinie liberté de cadrage. C’est la série la plus proche de mes peintures. » Il garde néanmoins la structure de l’arbre au centre de l’image comme seul repère. La ligne d’horizon, à peine visible, laisse deviner, après un bref moment de réhabilitation, la position exacte des arbres, le sens de l’espace. Contrairement à l’idée que l’on pourrait s’en faire, la série consacrée aux oliviers résulte de prises de vue fugaces, rapides. Opérant tôt le matin ou tard le soir, Bruno Réquillart doit travailler vite pour œuvrer dans les conditions de lumière qui lui conviennent.