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“Charles Ratton” L’invention des arts primitifs
au musée du quai Branly, Paris

du 25 juin au 22 septembre 2013



www.quaibranly.fr

 

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 24 juin 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Masque, Début du XXe siècle, Région de l'embouchure du Sepik ou du Ramu Bois, pigments ocre rouge. © musée du quai Branly, photo Claude Germain. Mentions obligatoires: Ancienne collection Charles Ratton. Guy Ladrière, Paris.
2/  Masque anthropomorphe, Début 20e siècle, Afrique, Côte d'Ivoire, Bete (population), Gouro (population). Bois, peau de singe, fibres végétales, métal, pigments, Dimensions: 42x28x15,3 cm, 410 g. © musée du quai Branly, photo Patrick Gries, Bruno Descoings.
3/  Portrait de Charles Ratton, Studio Harcourt, Paris, Années 1930. © musée du quai Branly, photo Claude Germain. Mentions obligatoires: Archives Charles Ratton. Guy Ladrière, Paris.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt

 

Le Musée du Quai Branly consacre une exposition au marchand d’art international Charles Ratton, la première de son genre. Plus qu’un déploiement d’œuvres hétéroclites, il s’agit surtout de présenter cet expert et son action, entièrement tournés vers la reconnaissance des arts premiers.

Fétiches et bizarreries
Charles Ratton était certes un grand marchand d’art, mais aussi un collectionneur averti. En ouverture, la reproduction de son bureau qui aligne masques africains et statues océaniennes donne le ton du reste de l’exposition : un cabinet de curiosités où ustensiles du quotidien s’exhibent aux côtés d’objets de cérémonie parfois étonnants. Si certains adoptent des formes simplifiées, voire simplistes, d’autres se distinguent par l’élaboration complexe de leur silhouette chargée de détails. Mais tous témoignent du même savoir-faire artistique, de la même habileté à manipuler de multiples matériaux. Le tambour figurant un bovidé, taillé d’un seul bloc dans le tronc d’un arbre, n’a ainsi rien à envier à la défense d’ivoire finement gravée de scènes rendant hommage à la puissance d’un chef de tribu africain. Plus incroyable encore, cette statue en métal datant de la première moitié du XIXème siècle représentant un guerrier prêt au combat, qui nous rappellerait presque le fidèle bûcheron en fer blanc du Magicien d’Oz. Du centre de l’Afrique aux îles du Pacifique en passant par la Chine, on aborde les cultures les plus diverses tout en constatant la rémanence de symboles universels. Ainsi la statuaire, qu’elle soit religieuse ou non, célèbre-t-elle souvent à la fois la virilité et la fécondité, par le biais de personnages dont la torsion des corps et les formes rondes sont devenues des marques facilement identifiables de l’art primitif.

Légitimité artistique
Mais les œuvres exposées, si elles le sont bien sûr pour leur valeur intrinsèque, soulignent surtout le combat de Charles Ratton pour la reconnaissance de l’art premier, ici rapporté par les comptes-rendus des expositions phares des années 1910-1930, stigmatisé parce que jugé obscène et inférieur à l’art occidental. De la somme des documents réunis ici, émerge la figure d’un expert, d’un érudit passionné et qui a permis de faire évoluer le regard de ses contemporains sur l’artisanat dit « premier ». Sont aussi dévoilés les liens étroits que le marchand a pu entretenir avec les surréalistes, Tristan Tzara et André Breton en tête, qui l’ont soutenu dans sa démarche, séduits par sa dimension provocatrice et subversive. Démarche qui se justifie lorsque l’on s’attarde devant cette collection de poids qui servaient lors de prosaïques échanges commerciaux et qui endossent pourtant des formes très élaborées d’êtres humains ou d’animaux, ou ce superbe malagan de Nouvelle-Irlande figurant en rouge, blanc et bleu sombre un visage d’homme au-dessus d’un oiseau conquérant déployant ses ailes. Si les masques africains et les idoles ventrues de la fécondité ont aujourd’hui leur place dans le paysage artistique moderne, c’est en grande partie grâce à Charles Ratton.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Philippe Dagen, auteur ; historien de l’art et professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 – Panthéon Sorbonne
Conseiller scientifique : Maureen Murphy, historienne de l’art ; maître de conférences à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne

 

« Les arts méconnus, c’est-à-dire ceux de l’Amérique précolombienne, de l’Afrique et de l’Océanie, commencèrent à l’intéresser vivement. Il se rendit compte que ces arts que l’on appelle improprement « primitifs » obéissent aux mêmes lois et sont dignes de la même estime que les arts classiques et que ceux de l’Asie, ces derniers n’étant eux-mêmes guère connus et appréciés que depuis une quarantaine d’années. Il décida de s’y consacrer entièrement. » Charles Ratton à propos de lui-même

Expert, marchand, collectionneur, Charles Ratton (1897-1986) marqua profondément l’histoire du goût et participa grandement à la notoriété des arts « primitifs » dans le monde. Le musée du quai Branly lui consacre sa première exposition et revient sur le parcours de cette figure historique du marché de l’art, grand promoteur des arts premiers, dont l’activité et la passion ont participé à l’avènement des objets « primitifs » au rang d’oeuvres d’art.
Sa sensibilité et son érudition, forgées par son activité de marchand d’objets « Hautes époques » (Moyen Age et Renaissance), ont conduit Charles Ratton à s’intéresser aux arts de cour d’Afrique - Danhomè, Ashanti, Grassfields - puis aux objets anciens d’Océanie et d’Amérique ou encore aux objets, atypiques pour l’époque, d’arts eskimo.
Plus de 200 oeuvres (d’arts premiers, anciens, asiatiques mais aussi d’avant-garde) et documents d’époque retracent le parcours en France et aux Etats-Unis de ce marchand à l’enthousiasme militant et évoquent ses amitiés avec les artistes surréalistes André Breton, Paul Eluard, ses collaborations photographiques avec Man Ray, son rôle majeur au côté de Jean Dubuffet dans la définition de l’art brut et ses liens avec les grands collectionneurs de son temps.

 

 

Parcours de l’exposition

 

L’univers de Charles Ratton, entre curiosité et érudition
Originaire de Mâcon, Charles Ratton vient suivre à Paris les cours de l’Ecole du Louvre avant que la Première Guerre mondiale n’interrompe pendant quatre ans ses études. Charles Ratton s’intéresse d’abord au Moyen Age et, plus largement, à ce que l’on nomme alors les « Hautes époques ». Conduit vers l’Afrique par des rencontres et la « mode nègre » lancée par les cubistes, il élargit dès les années 1920 sa curiosité aux Amériques et à l’Océanie.

Le premier espace de l’exposition, conçu comme un cabinet de curiosités, restitue le bureau de Charles Ratton avec les oeuvres et le mobilier toujours conservés dans la collection Ladrière. Cette reconstitution présente également des photographies de Charles Ratton, de sa famille ou de ses amis ainsi que ses notes et croquis qui témoignent de sa méthode de travail extrêmement précise.
Cette introduction est aussi l’occasion de revenir sur la situation des arts « nègres » vers 1920, les rôles joués par Guillaume Apollinaire, Paul Guillaume, les artistes André Derain, Georges Braque, etc. et sur les liens qui unissaient Charles Ratton au surréalisme dans les années 1920.
Un ensemble d’oeuvres de diverses époques – Antiquité, Moyen Age – et provenances – Extrême- Orient, Afrique, Océanie et Amériques - témoignent de sa curiosité et de son érudition.

Le marchand des surréalistes et l’activité avec les Etats-Unis
Établi au 76 rue de Rennes, au 39 rue Laffitte ensuite, et, de la fin des années 1920 à sa mort, au 14 rue de Marignan, Charles Ratton reçoit l’autorisation d’exercer le métier de « brocanteur à demeure » le 19 mars 1927. Il agit également comme expert à l’Hôtel Drouot à partir de 1931. Il s’y distingue très vite par son incessante activité de défenseur – de propagandiste même – des arts dits alors « primitifs » d’Afrique, d’Asie, des Amériques et d’Océanie.

Il s’impose comme le connaisseur érudit de cultures méprisées et mal connues en créant la figure du marchand érudit. Il développe ainsi un réseau d’acheteurs et de prêteurs dans lequel les grands amateurs fortunés côtoient artistes d’avant-garde et poètes surréalistes désargentés. Charles Ratton comprend très vite qu’il faut être international, qu’il doit s’implanter aux Etats-Unis et s’appuyer sur tous les moyens de communication modernes, presse, photographie et cinéma.
L’exposition s’articule autour des nombreuses expositions et ventes auxquelles il a participé.

1946 : Charles Ratton et l’art brut
Le 14 juin 1944, Charles Ratton se rend pour la première fois dans l’atelier de Jean Dubuffet. De ce moment à la fin des années 1950, les deux hommes se rencontrent souvent et correspondent. Charles Ratton présente Jean Dubuffet à Pierre Matisse, qui l’introduit aux Etats-Unis. Il l’initie à la sculpture africaine et lui montre des travaux de « fous ». Son rôle est décisif dans l’invention de la notion d’ « art brut » et la création de la Compagnie de l’art Brut en 1948. Il en est l’un des fondateurs avec André Breton et Henri-Pierre Roché et y fait adhérer l’ethnologue Georges Henri Rivière et l’un de ses grands collectionneurs, le baron Eduard von der Heydt, auquel il écrit : Vraiment vous seriez étonné de ce que nous avons découvert et de l’enrichissement que peut apporter à notre compréhension de l’art cette facette méconnue de la beauté dont nous poursuivons tous les reflets.
Cette section s’ouvre sur une peinture de Jean Dubuffet. Elle présente parallèlement des dessins d’enfants africains rassemblés par Charles Ratton qui se plaisait à y voir une corrélation avec l’art brut. Une partie de la correspondance entre Charles Ratton et Jean Dubuffet est également exposée.

Après la guerre
Après la guerre, Charles Ratton, qui est resté à Paris durant l’Occupation, renoue avec les surréalistes de retour de leur exil américain et poursuit son activité de marchand international. Expert des grandes ventes parisiennes, on le voit aussi régulièrement à Londres, à New York, en Suisse et en Allemagne. Il apparaît alors comme la référence suprême en matière d’Afrique et d’Océanie et sa galerie de la rue de Marignan est fréquentée par tous ceux qui comptent dans le monde des amateurs et des savants. Jusqu’à la fin des années 1970, en dépit de son âge et l’apparition d’une nouvelle génération de marchands globetrotteurs, il se maintient au premier rang des marchands, participant au triomphe, tant en terme de notoriété que de valeurs sur le marché de l’art d’objets qui sont de plus en plus universellement considérés comme des chefs-d’oeuvre du patrimoine mondial.

Le mystère, malgré tout
Dans les années 1980, Charles Ratton souhaite offrir le meilleur de sa collection au musée du Louvre. L’institution n’ouvrira pourtant ses portes aux arts extra-occidentaux que 20 ans plus tard, après avoir refusé à plusieurs reprises les propositions de dons du marchand. Si Charles Ratton contribue à faire connaître certains aspects de la création artistique extra-occidentale et en particulier les arts de cour, la nature des rapports qu'il entretient avec les oeuvres reste mystérieuse.

Soucieux d'en conserver la mémoire mais aussi d'en contrôler l'image, il photographie chaque oeuvre passée entre ses mains. Il en est un dont il ne se sépare jamais et qui pourrait offrir quelques clés d'interprétation des liens entretenus par le collectionneur à l'art : cette oeuvre représente un homme assis, frappé d'immobilité tandis que sa tête est happée par la gueule d'un serpent cornu.
OEuvre rare, sans doute réalisée à l'attention des Européens, et qui incarne la discrétion et le secret d'un homme qui ne voulut jamais rien révéler ni de son parcours, ni de son activité. Étrange et contradictoire, expression de la prédation et de la dévoration, elle peut être interprétée comme un reflet déformé du rapport entretenu par Charles Ratton à l'art et au marché : passionnel, parfois aveuglant mais toujours maîtrisé et chargé d'émotions. En 1980, le marchand participe à 6 ventes d’art primitif, une en 1981 et deux en 1982. Son nom figure encore sur 2 catalogues de vente en 1983 et 1984. Il s’éteignit sur la Côte d’Azur en 1986 où il s’était retiré, à la veille de ses 90 ans.