contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Dove Allouche” Point triple
au Centre Pompidou, Paris

du 26 juin au 9 septembre 2013



www.centrepompidou.fr

 

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse en présence de Dove Allouche, le 25 juin 2013.

1005_Dove-Allouche1005_Dove-Allouche1005_Dove-Allouche

Légendes de gauche à droite :
1/  © Dove Allouche, 2 140 m (Squelette d’un glacier, la Mer de glace aux environs du Montenvers), 2011. D’après une illustration héliogravée de l’ouvrage Haute montagne de l’alpiniste Pierre Dalloz, 1931. Mine de plomb, encre de Chine et encre pigmentaire sur papier Velin BFK Rives. Dimensions : 85x115 cm. Courtesy Gaudel de Stampa.
2/  © Dove Allouche, Déversoirs d’orage_4, 2009. Héliogravure, encre sur papier Velin BFK Rives. Edition de 3/5. Dimensions : 60x50 cm. Courtesy Gaudel de Stampa.
3/  © Dove Allouche, L'ascension au bas de la planche_gauche, 2013 . Oxyde d'argent, noir de gaz, éthanol et encre pigmentaire sur papier Velin BFK Rives. Dimensions : 130x146 cm. Courtesy Gaudel de Stampa. © cadre en Seine.

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt

 

Dove Allouche joue avec la matière photographique. Il la transforme, la décompose, la recompose et la réinvente. Il joue avec ses éléments : le temps, la lumière, la chimie pour proposer un travail graphique (chimique même) qui, en tendant vers l’abstraction, pose la question de la représentation du sujet.

L’artiste saisit le domaine de la photographie pour rappeler que c’est une matière travaillée par le temps, une matière avec une texture, un objet que l’on regarde après transformation, souvent après inversion. Justement, avec sa série sur les clichés stéréoscopiques de la guerre de 14-18,  le temps photographique est décuplé par sa transcription graphique à la mine de plomb. La matière obtenue évoque à la fois une feutrine imprimée et le négatif photographique. L’illusion stéréoscopique est mise à plat par la représentation cote-à-cote des deux éléments du cliché. Les champs de bataille sont dilués dans des nuances de gris.

Granulation nous plonge dans une autre dimension de la matière photographique, sorte d’accumulation granuleuse, fruit d’une succession d’inventions. Dove Allouche parvient à réaliser des images en réinventant l’un des premiers procédés de Niepce, jamais reproduit jusque là. Des « physautotypes » aux vapeurs de pétrole, éthanol et essence de lavande reproduisent sur plaques de cuivre l’Atlas des photographies solaires (1903) de Jules Jansen, scientifique engagé dans la constitution de la carte photographique du ciel, il y a déjà plus d’un siècle. Cette décomposition du photographique l’amène encore plus  en avant dans l’exploration historique du travail de ses précurseurs. A partir des autochromes des Frères Lumière, Dove Allouche présente un travail autour de la lumière et de sa décomposition en couleurs (Les derniers couleurs) qui défie l’idée de constitution monochromatique. Avec Man, child and two women, ou Frayures, l’artiste se risque à la lente disparition de l’image, issue de la transformation du zinc pour l’un et de la poudre d’argent pour l’autre.

C’est une disparition de l’image qui fait écho à l’effacement progressif du sujet et le glissement vers l’abstraction dans le travail d’Allouche, comme dans sa mise en espace au Centre Pompidou. Dans la première salle qui présente des œuvres encore figuratives, l’artiste assume le jeu de reflet produit  par la vitre du cadre. Un jeu qui disparait intentionnellement des œuvres de la seconde salle grâce à un verre traité. Ainsi, l’abstraction permet la disparition de l’obsédante réflexion du sujet, lorsqu’il contemple une image figurative. C’est ce que suggère l’œuvre de Dove Allouche, qui grâce à un travail exigeant sollicite tant notre regard optique qu’haptique, et tout aussi bien nos aptitudes conceptuelles que la force de notre imagination. Il parvient ainsi peut-être à nous délivrer de l’illusion de la recomposition de la réalité par l’image photographique.

 

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Jonas Storsve, Conservateur au musée national d’art moderne, chef du cabinet d’art graphique

 

Le Centre Pompidou consacre une exposition à l’oeuvre dessiné le plus récent de Dove Allouche. Énigmes pour l’oeil, pénombres vertigineuses impossibles à reproduire par l’impression, les oeuvres de Dove Allouche jouent de techniques et d’images venues de la photographie. Elles délaissent encre et mine de plomb au profit de poudres métalliques, de noir de fumée et d’éthanol, ou encore même de poudre d’argent qui voue certaines de ses oeuvres à l’inexorable assombrissement et au mystère.
« Il y a deux ans j’achetais une boîte contenant neuf photographies stéréoscopiques sur plaque de verre. J’ignorais les sujets de ces images : des scènes de la Première Guerre mondiale. Parmi ces vues de champs de bataille, assauts et charniers… s’en trouvait une qui attira mon attention : un double éclair striant la nuit noire. Ce fût le point de départ d’un nouvel ensemble de dessins de grands formats. »Le Diamant d’une étoile a rayé le fond du ciel, premier dessin de cette dernière série à la mine de plomb, représente un orage au-dessus d’une forêt de sapins. Les deux vues stéréoscopiques sont placées côte à côte sur une feuille, présentant la même vue légèrement décalée.
Photographe, graveur, dessinateur, Dove Allouche produit des images énigmatiques, mise en abyme de la photographie par le dessin. Ambrotypes, plaques stéréoscopiques, physotautypes, héliogravures… l’artiste réactive les expériences photographiques oubliées, ratées, abandonnées pour créer une image-objet, savant mélange de temps et de matière. Le sujet se substitue au matériau employé. Déversoirs d’orage, photographies prises dans le réseau égoutier de Paris, fait appel à l’héliogravure, procédé d’impression en creux. L’utilisation de poudre d’argent diluée à l’alcool pour les deux Frayures – images de fusées éclairantes précédant les assauts nocturnes – implique une lente disparition du dessin dans le temps, par oxydation. Pour Man, child and two women, le plus grand dessin de l’exposition et également le plus figuratif, représentant le plus explicitement la mort, les propriétés du zinc entraîneront le blanchiment de l’oeuvre jusqu’à effacement complet.
En fusionnant ainsi le sujet et la matière, Dove Allouche confère une forte dimension poétique à son oeuvre. L’image offre une lecture sur plusieurs niveaux qui mène presque invariablement à la notion de perte.

 

 

Plan de l’exposition

Acide nitrique, éthanol, éther, hyposulfite de soude, iodure de potassium, jaune de plomb, noir de gaz, oxyde d’argent, poudre de zinc, vapeurs de pétrole... Cette liste de matières et de substances est extraite de descriptions des matériaux dont sont constituées les oeuvres de Dove Allouche, présentées au Centre Pompidou. Si ces derniers témoignent de la complexité et du raffinement de son travail, ils permettent surtout de comprendre le caractère composite de son oeuvre qui se joue de rapports ambigus entre le dessin et la photographie.

Né en 1972, Dove Allouche vit et travaille à Paris. À travers une cinquantaine de pièces, cette exposition révèle les stratégies complexes de son oeuvre, fondée depuis le début des années 2000, sur ses traversées de la photographie vers le dessin et inversement. Ainsi, pour une oeuvre de ses débuts, l’artiste photographie au Portugal les ruines encore fumantes d’une forêt d’eucalyptus incendiée. Puis les cinq années suivantes, de 2003 à 2008, il reproduit très exactement, à la mine graphite, ces cent-quarante photographies.
À l’extrême rapidité de la prise de vues photographique s’oppose la lenteur du travail sur le dessin. Cette exposition témoigne des évolutions de l’oeuvre de Dove Allouche, qui ne cesse de réinventer ses propres procédés, de varier ses formats, et qui, tel un artiste-chimiste, explore l’énigme du monde visible et le vertige de l’obsolescence des images.

« Déversoirs d’orages »
Les oeuvres de Dove Allouche dépendent le plus souvent des choses du monde et de l’état dans lesquelles il les trouve. L’artiste ne prétend aucunement à la position de démiurge ou d’inventeur de ce qui n’existerait pas sans lui. Son rapport au monde s’inscrit dans le réel. Il en est ainsi de la série Déversoirs d’orage de 2009, réalisée à partir de photographies prises dans le réseau d’égouts de Paris. Tout au long de l’année, l’artiste a parcouru les égouts parisiens en suivant le sens d’évacuation des eaux. Muni d’une lampe torche, au fil d’une longue descente, il a photographié les déversoirs d’orage qui servent à dévier les effluents. À partir de ces photographies, il a réalisé par la suite une série d’héliogravures, technique d’impression, contemporaine de la création du réseau, qui nécessite l’usage de l’acide pour attaquer et révéler une image sur une plaque de cuivre. Dans sa production, le médium n’est jamais utilisé par hasard et chacun des sujets qu’il choisit de traiter donne lieu à un long travail d’investigation. Associant ici par analogie le circuit souterrain de la ville et l’entaille de la gravure, Dove Allouche révèle les sillons que le temps aurait imprimés sous la ville, tout comme l’acide attaquant en creux la plaque de cuivre sert à produire l’image.
Avec la série des Retours de 2003-2005, Dove Allouche numérise les fiches de retours de livres du secteur poésie de la bibliothèque de Sarcelles. Ces fiches sont rassemblées sous la forme de dix ouvrages qui constituent sur cinquante ans la mémoire des habitants lecteurs de poésie. La succession de dates tamponnées tout au long de ces dix fois 360 pages apparaît ici comme une mesure du temps. Ici, comme souvent dans l’oeuvre de Dove Allouche, les informations ou les images ont été recueillies par d’autres de telle sorte que leur valeur de traces et de témoignages relèvent d’une forme de neutralité.

« Le Diamant d’une étoile a rayé le fond du ciel »
En 2011, Dove Allouche réalise son premier dessin monumental, Le Diamant d’une étoile a rayé le fond du ciel, après l’achat, dans un marché aux puces, d’une boîte de neuf photographies stéréoscopiques datées de la Première Guerre mondiale. Frayures droite et Frayures gauche de 2012 ou Stéréo chimie droite et Stéréo chimie gauche de 2013 découlent de ce même lot d’images trouvées. Les plaques photographiques, destinées à être regardées dans un appareil spécial, permettaient à l’origine de voir une image en relief par la superposition optique de deux images identiques. L’artiste met à mal cette invention en juxtaposant côte à côte les deux images sur deux papiers distincts. Par la simple répétition du motif, il crée une nouvelle image, irréelle, troublante, détournée de sa destination première. Dans Le Diamant d’une étoile a rayé le fond du ciel, on reconnaît le tracé d’un éclair striant la nuit noire. Les Frayures, quant à elles, représentent des fusées éclairantes qui se trouvaient sur la plaque stéréoscopique d’origine.
Elles apparaissent telles des interruptions à peine marquées dans la surface opaque, réalisées par estompe avec des poudres métalliques diluées dans l’alcool. En abandonnant encre et mine de plomb au profit de poudres, de noir de fumée et d’éthanol, Dove Allouche rend secondaire la question de la représentation. Le sujet est éludé au profit de l’élaboration d’une émulsion sensible au contact de l’air. Le dessin évoluant par évaporation, puis par oxydation, le tracé des fusées éclairantes est voué à un inexorable assombrissement.

« Granulation »
Dans une récente série de dessins, Dove Allouche s’intéresse aux expériences de la photographie primitive en se tournant vers les recherches de l’astronome et ingénieur anglais Isaac Roberts (1829-1904). Il agrandit largement les petites plaques de verre de celui-ci, conservées à la Bibliothèque de l’Observatoire de Paris. Ces plaques sont soit surexposées soit sous-exposées et ne représentent que l’émulsion elle-même, avec ses zones de clarté et d’obscurité. Bien qu’ayant été impressionnées, ces plaques de verre sont des tentatives ratées de photographies d’étoiles. Elles ne contiennent rien d’autre que des inscriptions, numéro d’inventaire, coordonnées en temps sidéral, date de prise de vue et les stigmates  du temps. Avec la série qu’il intitule Granulation, Allouche réalise des physautotypes. Cette technique date de la naissance de la photographie. On ne la connaît aujourd’hui qu’à travers la correspondance entre Niepce  et Daguerre, ainsi que par le travail de recherche du chimiste Jean-Louis Marignier. Il s’agit de l’unique procédé photographique capable de produire des images à la fois positives et négatives. En travaillant avec de l’essence de lavande, de l’éthanol et des vapeurs de pétrole sur des plaques de cuivre argenté, Dove Allouche reproduit les trente images extraites de l’Atlas de photographies solaires publié par Jules Janssen en 1903. Il nomme ces images Granulation, car elles représentent les granulations et les taches noires de la surface du soleil. Il ne s’agit plus ici pour lui de faire de la photographie un moyen de découverte du réel, comme c’était le cas aux 19e et 20e siècles, mais bien de produire des images-objets dotées de qualités spécifiques liées à la matérialité des plaques d’argent.