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“Sergio Larrain” Vagabondages
à la Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris

du 11 septembre au 22 décembre 2013



www.henricartierbresson.org

 

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 10 septembre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Sergio Larrain, Rue principale de Corleone. Sicile, 1959. © Sergio Larrain/Magnum Photos.
2/  Sergio Larrain, Bar, Valparaiso. Chili, 1963. © Sergio Larrain/Magnum Photos.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt

 

La fondation Henri Cartier Bresson présente  128  tirages  du photographe chilien Sergio Larrain dont le travail  troublant et unique est cependant mal connu en partie par sa résistance à être mis en avant. Une très belle exposition organisée par Agnès sire qui ne le rencontra jamais mais maintint avec lui une correspondance de plus de 500 lettres. Les tirages dont de nombreux d’époque, reflètent  ses vagabondages du Chili à Paris en passant par Londres, l’Italie, le Pérou.  Sergio Larrain était un mystique qui a traversé le paysage photographique d’une manière fulgurante avant de se retirer dans sa maison d’Ovalle,  où il se consacra principalement à sa vie de famille, à l’écriture, la méditation et le yoga, continuant à photographier épisodiquement

Hors des conventions
Un peu comme Robert Frank il semblait ne pas vouloir s’enfermer dans des règles et conventions photographiques.  Il multipliait les points de vue différents. Plongées, contre plongées, il photographiait avec son corps, se positionnant souvent au ras du sol. Derrière une vitre, derrière un arbre, il donne une visibilité à ceux qu’il photographie comme ces enfants  abandonnés de Santiago, son premier grand reportage, et semble lui devenir invisible. Son utilisation du contre jour donne lieu à des images saisissantes, comme dans cette photographie de Paris ou de multiples figures noires semblent danser sur les pavés, ou bien encore dans les rues du Pérou cette femme  de face qui en croise une autre en contre jour,  telle une rencontre fortuite avec son double. Le cadre n’est pas toujours droit, les visages souvent coupés. Les péruviens qui marchent dans les rues ont souvent un pied hors cadre comme s’il se refusaient à l’enfermement et nous poussaient à imaginer ce qui est hors champ. Il jouait avec les limites du cadre, soulignant peut être inconsciemment que l’acte photographique est bien une coupure dans l’espace, un choix, quand bien même  celui-ci ne serait pas calculé mais guidé par l’intuition.

La photographie comme concentré de conscience
Pour lui, accueillir une bonne image  nécessite d’être dans un état de grâce.
Invité à rejoindre l’agence Magnum par son héros Henri Cartier Bresson qui voit en lui un génie, il s’essaye pendant quelques années au photojournalisme. Cependant il se rend vite compte que  sa conception de la photographie et les besoins du reportage de commande sont incompatibles. Pour lui  la photographie et l’état de grâce qui la permet nécessitent une grande liberté. Elle nécessite aussi du temps, le temps d’attendre que la bonne photo se présente. Ils voient ses images comme des satori des petits miracles. Ses deux petites filles qui descendent un escalier à Valparaiso en sera le premier, la première image qui vint à lui. Pour photographier il faut pour lui garder un regard neuf comme un enfant, cultiver une  certaine qualité d’esprit, de pureté, de lâcher prise, comme si le photographe était le médium d’autre chose.
Il  trouva cette disposition d’esprit  dans l’errance, le vagabondage. Cette quête ,  il décidera finalement de la poursuivre autrement, laissant derrière lui de petites merveilles, des images uniques et particulières dont l’étrange beauté nous fait penser qu’il avait peut être raison.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Agnès Sire


« Une bonne image naît d’un état de grâce »


Du 11 septembre au 22 décembre, la Fondation HCB présente une exposition exceptionnelle du photographe chilien Sergio Larrain. Cet ensemble retrace l’essentiel de son parcours singulier. Des images rares, une approche poétique, un photographe brillant qui a inspiré toute une génération de photographes.
L’exposition de la Fondation HCB, différente de celle des Rencontres d’Arles, présente sur deux étages, 128 photographies en noir et blanc, dont un ensemble précieux de tirages d’époque de la collection Magnum Photos et quelques inédits. Les enfants abandonnés de Santiago, Londres, Paris, l’Italie, Valparaiso et l’Amérique du Sud en général comptent parmi les séries présentées. Dans les vitrines du deuxième étage, les visiteurs pourront découvrir la documentation sur les livres et les parutions dans la presse. Au troisième étage, est présenté un album réalisé en 1995 par Sergio Larrain. Il réunit textes, dessins et photographies – sa cosmogonie personnelle – et concentre toutes les préoccupations des dernières années de sa vie. 
Cette exposition est accompagnée d’une monographie très complète publiée aux Éditions Xavier Barral.

Sergio Larrain (1931-2012) grandit dans une famille de la haute société chilienne. Son père, architecte est très sensible à l’art et tout le milieu culturel de l’époque se retrouve dans la maison familiale pour débattre sur les idées modernistes. La bibliothèque familiale est très riche, composée de livres d’art, architecture et littérature. Cet ensemble permettra à Sergio Larrain d’éduquer son oeil et de développer son goût pour l’art. Les relations avec son père sont difficiles et Sergio Larrain ne se sent pas à l’aise dans ce monde bourgeois et frivole. 
En 1949, il décide de partir étudier aux États-Unis, d’abord en Californie puis dans le Michigan. Cette même année, il achète, à crédit, son premier Leica, A l’époque, j’ai acheté mon premier appareil sans imaginer que la photographie allait devenir mon métier. En 1951, suite au décès accidentel de son jeune frère, Sergio Larrain, qui a abandonné ses études aux Etats-Unis, décide d’accompagner sa famille dans un long voyage qui les mènent en Europe et au Moyen-Orient. Suite à ce périple, il se recentre sur la photographie et s’installe à La Reina où il s’intéresse à la philosophie orientale et pratique de longues séances de méditation. Cet éloignement est compromis en 1952 par le service militaire obligatoire qui lui laisse de mauvais souvenirs : Au sein du régiment, je me sentais humilié, brutalisé. Tout ce à quoi j’aspirais, c’était un peu de tranquillité.


Il se lance alors dans son premier travail conséquent en s’intéressant aux enfants abandonnés de Santiago qui errent dans les rues et sur les rives du fleuve Mapocho. Comme le souligne Gonzalo Leiva Quijada dans son essai, à travers son objectif, son regard de compassion saisit ces exclus qui deviennent des personnes. Sergio Larrain ne fait qu’un avec eux. Il est leur ami, leur alter ego, lui aussi vagabond, découvrant l’invisibilité. En 1954, Sergio Larrain devient photographe free-lance et décide d’envoyer un portfolio de ses meilleurs clichés à Edward Steichen au MoMA qui lui achète quatre tirages. Deux ans plus tard, il devient photographe pigiste pour le magazine brésilien O Cruzeiro Internacional. 


Très concerné par la scène culturelle de Santiago, Larrain se lie d’amitié avec de nombreux artistes chiliens. Il voyage avec l’artiste américaine Sheila Hicks dans le sud du Chili à la fin de 1957. Le fruit de ce voyage sera présenté en 1958 lors d’une exposition commune au Palacio de Bellas Artes de Santiago puis à Buenos Aires. Dès 1952, Larrain réalise ses premières images de Valparaiso et rend un vibrant hommage à la ville qu’il qualifie de balcon chilien face au Pacifique. Il retournera plusieurs fois dans cette ville jusqu’en 1963 pour obtenir, au fil des ans, un essai photographique d’une puissance exceptionnelle.


Au cours de l’hiver 1958-1959, 20 ans après Bill Brandt qu’il admire, Larrain passe quatre mois à Londres grâce à une bourse du British Council. Dès le début de sa carrière, le photographe rêvait d’intégrer l’agence Magnum et c’est lors de ce voyage en Europe que son rêve va se concrétiser. En effet, il rencontre Henri Cartier-Bresson en 1959 et ce dernier lui propose de rejoindre l’agence après avoir vu ses images des enfants abandonnés. Pour Larrain, le photographe français est « le maître absolu, un génie, appartenant à une catégorie à part ». Pour plus de facilité, Larrain s’installe pendant deux ans à Paris et les commandes vont alors se multiplier, il va couvrir de nombreux sujets, tous très différents ; le mariage du shah d’Iran, la guerre d’Algérie, le tremblement de terre au Chili en 1960, la mafia sicilienne…. Mais très vite, Larrain a des doutes sur les prouesses qu’il faut déployer pour réaliser des sujets publiables pour la presse. Je crois que la pression du monde journalistique – être prêt à sauter sur n’importe quel sujet – détruit mon amour et ma concentration pour le travail, écrit-il à Henri Cartier-Bresson en 1965. Il décide finalement de rentrer au Chili.


Son premier livre, El rectangulo en la mano, entièrement conçu par lui, est publié en 1963. En 1965, le photographe réalise les photos et la mise en page de En el Siglo XX, publication soutenue par la Fondation Mi Casa et destinée à solliciter l’aide des donateurs pour venir en aide aux enfants abandonnés. L’année suivante, il photographie la maison du poète Pablo Neruda à la Isla Negra ; accompagnées de textes du poète, les images sont publiées dans le livre Una casa en la arena. Au milieu des années 1960, il fonde une agence de communication artistique et s’entoure de nombreux artistes, il collabore également aux magazines Paula et Vea. Il rejoint la communauté d’Arica en 1969 pour y suivre l’enseignement d’Oscar Ichazo et décide, à partir de 1972, de poursuivre seul sa quête spirituelle ; en 1978, il s’installe définitivement à Tulahuén. Il mène une vie discrète et fuit les sollicitations. À partir de cette date, il poursuit sa quête à travers le yoga et la peinture tandis que Magnum continue à diffuser ses archives. C’est à cette époque qu’Agnès Sire découvre son travail et commence à entretenir une longue correspondance avec le photographe. Grâce à cette relation épistolaire et au travail de Magnum, Larrain accepte de publier un ouvrage sur Valparaiso (1991) puis Londres (1998). Le medium photographique devient alors un accompagnement pour les nombreux textes qu’il rédige, un moyen pour tenter de communiquer son goût pour l’essentiel. Ses rares images deviennent des sortes de haïku, des satori, accompagnant avec des dessins les nombreuses lettres qu’il adresse à ses amis. L’exposition organisée en 1999 à l’IVAM, Valencia est le dernier évènement important organisé autour de l’oeuvre de Larrain, le photographe ayant refusé tous les autres projets.
Selon Agnès Sire, les termes employés par Sergio Larrain pour décrire l’état de grâce dans lequel il faut nécessairement se trouver pour « accueillir » une bonne image, sont ceux du mysticisme, voire du spiritisme comme si les images étaient déjà là dans le cosmos et que le photographe agissait comme un medium : « libéré des conventions », « pureté », « concentration », « miracle »… et si les conditions sont réunies « les images arriveront comme des fantômes, des esprits ».