contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Jérusalem, Izmir, Alger...”  une question de point de vue
à la Galerie Les Douches, Paris

du 11 septembre au 12 octobre 2013



www.lesdoucheslagalerie.com

 

 

© Anne-Frédérique Fer, le 12 septembre 2013.

1055_Jerusalem1055_Jerusalem1055_Jerusalem

Légendes de gauche à droite :
1/  © André Mérian, Waterfront, Tanger, Maroc, 2012.
2/  © Stéphane Couturier, Baie d'Alger - Diar El Mahçoul - Céramique n°1, Alger, 2012.
3/  © André Mérian, Waterfront, Izmir, Turquie, 2012.

 

extrait du communiqué de presse :

 

Avec : Olivier Cablat, Alexis Cordesse, Stéphane Couturier, André Mérian et Ezra Nahmad


Cette exposition collective réunit cinq photographes qui nous livrent leur point de vue autour de quelques pays du bassin méditerranéen. Certaines photographies de paysage ne se contemplent pas. Elles donnent à voir un spectacle d'une nature désolée. D’autres, racontent la force organique de territoires et d’architectures laissés à la dérive. Et il y celles enfin, qui se révèlent des espaces imaginaires et utopiques.

Olivier Cablat : Temples égyptiens

Le projet d’Olivier Cablat s’est construit à partir d’un séjour en Egypte pendant lequel il photographiait les découvertes des archéologues du CNRS à Karnak. Approfondissant la relation complexe, faite de fascination et d’étonnante liberté, que les Égyptiens entretiennent avec leur passé, il a été amené à s’intéresser aux avatars auxquels les stéréotypes de l’architecture pharaonique ou gréco-romaine donnent lieu dans les hôtels, les boutiques pour touristes ou les administrations. Il a ainsi assemblé une typologie formelle des citations de pyramides, pylônes, de temples égyptiens ou gréco-romains.

Intitulé Temples Égyptiens, ce travail est centré plus particulièrement sur les façades peintes inspirées de l’antique, omniprésentes dans les sites touristiques comme Gourna près de Louxor. Située au flanc de la montagne thébaine, cette petite ville de vingt mille habitants est construite au dessus des tombeaux qui le plus souvent leur servent de cave. La majeure partie de ces habitants sont guides, gardiens de tombeaux ou travaillent à la fabrication et la vente d’objets souvenirs en albâtre pour les touristes. Les façades des ateliers, des boutiques et même de certaines maisons privées sont ornées de peintures multicolores directement inspirées de représentations ornant les temple et les tombes de l’époque pharaonique auxquelles se mêle une iconographie populaire d’inspiration musulmane. Aux figures de divinités du panthéon égyptien sont juxtaposés minarets, mosquées, évocations du pèlerinage de la Mecque, aussi bien que des représentations contemporaines des travaux quotidiens : paysans aux champs, femmes à la lessive, cuisson des poteries. Vivant dans la proximité physique de leurs lointains ancêtres, les villageois ont aussi concilié leur passé culturel antique et leur pratique religieuse actuelle. Les peintures commémorant le voyage à la Mecque du propriétaire d’une fabrique, avec figuration de bateaux, de voitures ou d’avions survolant la Kaaba, ne sont pas sans évoquer les représentations des principaux événements de la vie de tel ou tel pharaon sur les murs de son tombeau.
`
Gourna n’existe pratiquement plus aujourd’hui : depuis 2006, ses habitants sont contraints de s’installer à Gourna Al-Gadida (la nouvelle Gourna située à quelques kilomètres, pour laisser place aux fouilles archéologiques qui s’annoncent prometteuses. Les nouvelles habitations aux murs ocre et rouge impeccables, équipés de l’eau et de l’électricité inexistants dabs l’ancienne ville, ne semblent pas toutefois empêcher certains villageois de regretter les peintures aux couleurs chatoyantes de l’ancienne Gourna. Les photographies d’Olivier Cablat constituent donc un témoignage sur un village sacrifié et sur des œuvres disparues révélatrices de la prégnance, aujourd’hui encore, des archétypes séculaires de l’expression artistique populaire.


Jean-Christian Fleury

Alexis Cordesse : Border Lines
Après avoir couvert, comme photoreporter, les conflits majeurs du Moyen Orient, d’Afrique ou d’Europe, Alexis Cordesse a décidé de rompre avec la pratique du photojournalisme, désireux d’introduire dans son approche la distanciation et la durée qui sont incompatibles avec la production de l’information en continu. Aussi est-il retourné sur certains des lieux qu’il avait photographié (Rwanda, Bosnie, Palestine) avec de nouvelles exigences plastiques et déontologiques. C’est justement parce que ces régions du monde avaient fait l’objet d’un traitement surabondant qu’il a choisi d’en donner une vision plus personnelle, plus responsable, débarrassée des contraintes formelles du reportage journalistique.

Pour réaliser Border Lines, il s’est rendu à plusieurs reprises en Israël et dans les territoires palestiniens. De ce « théâtre de l’actualité », il va justement réaliser une mise en scène d’images, une fiction qui brouille les frontières historiques, politiques, identitaires qui déchirent une terre et le quotidien de ses habitants. À Jérusalem, à Hébron, à Jaffa, en Cisjordanie, il réalise de faux panoramiques de sites urbains dont les fragments, tous pris depuis un même point de vue, ont été réalisés à des moments différents. Dans le cadre d’une topographie bien réelle, il introduit une temporalité qui ne l’est pas et construit ainsi un espace utopique où se côtoient ceux qui d’ordinaire s’ignorent ou sont séparés. La « borderline » prend ici toute sa valeur polysémique : ligne de démarcation entre deux territoires, limite entre norme et folie, entre vérité et mensonge, réalité et rêve, constat photographique et invention visuelle.

Ce « mentir-vrai », Alexis Cordesse le revendique : raccords visibles entre les images, personnages redoublés, ombres dont les orientations ne concordent pas sont autant d’indices d’une manipulation assumée du réel grâce aux moyens numériques. En se jouant des gens (reportage, portrait, paysage), l’auteur intègre à ses images une réflexion critique sur leur valeur de témoignage comme sur celles des stéréotypes médiatiques.

Jean-Christian Fleury

Stéphane Couturier : Alger
"On ne peut se faire une idée de la Méditerranée sans se rattacher à notre propre mémoire, si ce n’est à nos propres impressions. Pour tous ceux qui vivent loin de ses bords, la Méditerranée est un assortiment d’images, de poncifs et d’effets qui s’accordent mal mais qu’on visite les yeux fermés, à l’affût des souvenirs. Trop de choses se bousculent quand on emporte avec soi les images de ce Grand Tour ". François Cheval, Les choses du côté de ce monde, MuCEM, 2013

Début d’une recherche sur les cités construites par Fernand Pouillon juste avant l’indépendance, ce travail photographique voudrait reconstituer une sorte d’atlas de ces territoires. Ces photographies faites dans la cité de Diar El Mahçoul, "la Cité de la Promesse tenue", construite par Fernand Pouillon en 1954, oscillent entre une vision d’une ville rêvée, sorte de paradis perdu, et la dure réalité de la vie quotidienne d’aujourd’hui.

Stéphane Couturier

André Mérian : Waterfront
Certaines photographies de paysage ne se contemplent pas. Ce qui s’y passe relève de la simple description. L’objectivité et la rigueur descriptive se moquent du sublime pour nous livrer le spectacle d’une nature désolée par une suite d’actions catastrophiques. Les sensations pures n’en sont pas rejetées pour autant. Un haut-le-coeur nous prend devant ce spectacle barbare. Les panoramiques n’ont rien de pittoresque et se refusent même à l’art de la carte postale et du chromo. Nous sommes en face d’objets qui se refusent à la belle photographie, phénomène nouveau dans la culture occidentale ! Le paysage-spectacle, s’il existe encore, est confisqué. Il faut entrevoir les compositions architecturales des fronts de mer, étendues à perte de vue, comme des spéculations, au sens philosophique du terme, des visions concertées de l’espace. La satisfaction immédiate, les égoïsmes et les intérêts privés ont ceci de remarquable qu’ils ont rendu flagrantes les prescriptions esthétiques d’une modernité affligeante. (…)

Que penser de ces alignements de cités mortes, bâties à l’identique, avec des palmiers, objets décoratifs, poussant le long de rues sans âme ? Ce qui dérobe à la vue l’essentiel, c’est-à-dire la mer, ce sont des métropoles abandonnées par la raison et la poésie. A perte de vue, les fronts de mer s’organisent, ordonnés et géométriques, selon un plan précis et contrôlé. Mirage de bonheur et de calme, désolation réconfortante, nous contemplons les résidences, serrées les unes contre les autres, et notre regard recouvre ces longues rues conformes au schéma et à la loi du foncier. Ils aimeraient bien être uniques ces lotissements, ces quartiers résidentiels, - paradis de l’harmonie -, avoir les couleurs rassurantes de la protection maternelle et de sa douceur. Mais quand, médusés, on fait face à ces palais de pacotille, à ces rues qui appellent au désoeuvrement, à ces maisons jamais uniques mais unifiées, on cherche désespérément ce qui pourrait laisser une place au pardon. (…)

Tout est uniforme sur ces images. Cela semble mettre en joie le photographe moderne qui dispose d'une vision de rapace. Ici, la proie n’est plus le beau mais le banal. Pour ceux qui les ont connus, nos yeux, ceux des Fauves, ne retrouvent pas les teintes, celles que l’on a aperçues chez Derain et Matisse. Nos yeux exercés, mais bornés par l’amour de l’art, étaient sensibles à un éventail de couleurs plus étendu. Sur les pourtours de la mer, on pouvait distinguer des tons offrant l’opale et la terre d’ombre, l’ambre et l’orangé, et puis, à côté de cela, des fonds sombres, avec des rochers presque noirs. En regardant la mer, on convoquait Valtat. C’était chic ! Mais chacun avait les mots et conversait avec les flots. Nous ne voyons plus rien et nous sentons encore moins. On imagine que ces paysages méditerranéens ont perdu leurs arômes avec leurs couleurs. Il n’y a plus que l’aveuglement et la réverbération d’un grand mur blanc ceinturant la mer entière et chaque jour barrant l’horizon.


Extraits de la préface de François Cheval paru dans l'ouvrage Waterfront, Marseille, 2013

Ezra Nahmad : Sans
Toujours plus près de la frontière, elle est partout, tu marches et tu vois combien la lumière est défaite. Pour sentir le vent ou le parfum de la sauge, il te faut lutter contre l'angoisse. Tu regardes la beauté autour et l'impression d'être observé, peut-être ciblé, ne te quitte pas. Tu es confiné et tu cherches encore la terre, en Israël.

Ezra Nahmad