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“Jordaens 1593-1678” La gloire d’Anvers
au Petit Palais, Paris

du 19 septembre 2013 au 19 janvier 2014



www.petitpalais.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 18 septembre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Jacques Jordaens, (1593-1678), Le satyre et le paysan, vers 1645. © Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles/Photo J.Geleyns/ www.roscan.be
2/  Jacques Jordaens, (1593-1678), Autoportrait de l’artiste avec sa femme Catharina van Noort, leur fille Elisabeth et une servante dans un jardin, 1621-1622. © Madrid, Musée national du Prado.
3/  Jacques Jordaens, (1593-1678), Servante avec une corbeille de fruits et un couple d’amoureux, vers 1628-1630. ©CSG CIC Glasgow Museums Collection.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt

 

Le petit Palais présente la première rétrospective française du peintre Flamand Jacob Jordaens, trop souvent éclipsé par ses compatriotes Rubens et Van Dyck. L’exposition, à travers une centaine de peintures, dessins et gravures, cherche à lui redonner sa juste place en tant que peintre primordial de son époque.

Une oeuvre riche et variée
Surtout connu pour ses banquets, aux convives joufflus et amateurs de vin, il a n’a souvent été perçu que comme le peintre de la vie et de la joie. Jordaens a cependant produit au sein de son atelier d’Anvers une œuvre riche et bien plus variée qu’on le pense tout d’abord. Ses joyeuses scènes de débauche se révèlent souvent moralisantes et bien loin de leur gaieté, il réalise un grand nombre de peintures religieuses dont les personnages arborent gravité et retenue. Il s’essaiera aussi au genre mythologique et bien que restant dans l’ombre de Rubens, il se permettra des libertés qui rendent son œuvre tout à fait originale, comme dans Candaule faisant épier sa femme par Gygès, tableau dans lequel l’expression de la reine est tout à la fois incroyablement drôle et énigmatique. L’exposition présente enfin un grand nombre de ses portraits et de ses remarquables tapisseries. Ce qui frappe dans l’ensemble de son œuvre, c’est l’authenticité sans complaisance avec laquelle il dépeint ses personnages. Quand bien même il se représente lui même dans le tableau comme dans Le joueur de cornemuse, il livre une image pleine de réalisme avec une attention au détail surprenante.

Une scénographie remarquable
L’ensemble de l’exposition est soutenu par une très belle scénographie et de nombreuses activités pédagogiques viennent l’enrichir. Une salle évoque l’ambiance des maisons bourgeoises d’Anvers au XVII ème siècle alors que plus loin on peut découvrir un atelier de l’époque où nous sont dévoilées les techniques de préparation de la toile et de la peinture. Plusieurs jours par semaine un plasticien y accueille le public pour les accompagner dans une réalisation personnelle inspirée du travail de Jordaens. A la fin de l’exposition un superbe cabinet de curiosités permet aux adultes, sans oublier les non-voyants, de percer les secrets du peintre. D’une manière ludique, on peut ainsi découvrir en tirant des tiroirs, le matériel du peintre ou du tapissier. On peut sentir les mets figurés dans ses tableaux ou bien encore toucher des étoffes similaires à celles que portent ses personnages. Enfin, un cycle de conférence permet d’approfondir l’œuvre de ce peintre majeur.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :

Alexis Merle du Bourg, historien d’art

Maryline Assante di Panzillo, conservateur en chef au Petit Palais


Du trio de tête de la peinture flamande du XVIIe siècle, Rubens - Van Dyck - Jordaens, ce dernier est peut-être moins connu en France faute d’y avoir jamais bénéficié d’une grande rétrospective. Le défi est relevé par le Petit Palais qui fait de l’exposition Jordaens, la gloire d’Anvers l’évènement majeur de la rentrée parisienne dans le domaine de la peinture ancienne.


Grâce aux prêts d’oeuvres exceptionnelles consentis par les plus grands musées français et internationaux, ainsi qu’à une scénographie très évocatrice, Jacques Jordaens (1593-1678) devrait retrouver son statut de gloire de la peinture anversoise. Sa longue carrière - elle se prolongera plus de trente ans après la mort de Rubens en 1640 - et la facilité de l’artiste à brosser de vastes toiles aux couleurs étincelantes lui permettront, avec le renfort d’un atelier en ordre de bataille, de fournir une partie de l’Europe entière en tableaux d’autel et en grandes compositions mythologiques. Alors qu’Anvers perdait son statut de capitale économique du continent, Jordaens en maintint le prestige artistique grâce à ses productions placées sous le signe de l’abondance et de la splendeur du coloris.


Venues de Belgique mais aussi de Russie, d’Amérique, de Suède, de Hongrie, de Jérusalem comme de Madrid et de Vienne, les cent vingt œuvres rassemblées au Petit Palais permettent d’évoquer la richesse et la variété de son inspiration, des portraits de famille aux grandes compositions religieuses, des fameux Proverbes et scènes de banquet (Le Roi boit !) aux cartons de tapisseries. Ainsi verra-t-on combien ce bourgeois anversois qui n’a presque jamais quitté sa ville natale, a su puiser à des sources multiples où Rubens voisine avec le Caravage et les maîtres vénitiens de la Renaissance avec l’héritage antique, et comment il conquit une réputation internationale en les combinant à une verve toute personnelle.
Jalonnant le parcours de l’exposition, des propositions pédagogiques inédites offrent au visiteur la possibilité d’entrer dans l’intimité des œuvres et d’appréhender concrètement les secrets du métier de peintre. L’exposition est par ailleurs accompagnée d’un catalogue scientifique richement illustré.

 


Parcours de l’exposition

Section I - Anvers au XVIIe siècle

Anvers était au XVIe siècle une place commerciale et financière de tout premier plan. Dans son port affluaient des marchandises venues du monde entier. Les guerres de religion et la sécession des Provinces-Unies du Nord entraînent toutefois le déclin économique de la ville qui se vide d’une grande partie de sa population active.

Au début du XVIIe siècle, Isabelle, fille de Philippe II d’Espagne, et Albert d’Autriche, gouverneurs des Pays-Bas méridionaux, tentent de rétablir la paix et la prospérité dans ce bastion avancé du catholicisme à la frontière des provinces-unies protestantes. La production locale de produits de luxe demeure parmi les plus florissantes, surtout dans le domaine textile et dans celui des oeuvres d’art. Anvers recense plusieurs centaines d’artistes : peintres et sculpteurs, ébénistes, verriers et imprimeurs.

Section II - Jordaens Pictor Antverpiae : l’artiste, sa famille, et les peintres d’Anvers

Anvers fut le cadre privilégié de l’existence de Jordaens et le théâtre de son éclatante réussite professionnelle. Si l’on omet le traditionnel voyage en Italie, son cursus ne détonne guère dans le brillant milieu artistique anversois. L’accès à une profession qui comptait de véritables dynasties d’artistes et de marchands d’art présupposait des appuis familiaux qui ne lui firent pas défaut. Bien que son père ait pratiqué le commerce du drap, la famille de Jordaens avait compté des encadreurs et des artistes dès la fin du XVe siècle. Dirck de Moy, son parrain, appartenait à une lignée d’amateurs d’art, et son maître Adam van Noort (1561-1641), qui deviendra son beau-père, est aussi un parent éloigné. La solidité des alliances familiales croisées et le parrainage sont le lot du milieu des artistes du temps : on s’étonne à peine de découvrir que Jordaens avait un lien de parenté avec Rubens par sa première femme, Isabella Brant.

Section III - La Bible et la vie des saints
L’essor de l’art religieux à Anvers
Entre les années 1560 et 1580, les édifices religieux d’Anvers ont beaucoup souffert de la diffusion de la Réforme, les protestants s’ingéniant à faire disparaître les symboles de « l’idolâtrie catholique ». Reconquise par les armées espagnoles en 1585, la ville située désormais sur la ligne de front entre les Flandres du sud et les provinces protestantes du nord devient le fer de lance du catholicisme. Avec le soutien des archiducs Isabelle et Albert qui gouvernent les Pays-Bas du sud en étroite intelligence avec l’Espagne, les congrégations religieuses anciennes ou nouvelles, notamment les Augustins et les Jésuites, se réinstallent à Anvers.
Au début du XVIIe siècle, à la faveur de la Trêve des douze ans (1609-1621) conclue avec les Pays-Bas septentrionaux, la ville devient un vaste chantier. Architectes, menuisiers, ornemanistes, sculpteurs et peintres sont mobilisés pour restituer sa splendeur passée à la vieille cathédrale gothique, construire de nouvelles églises, réaliser mobiliers liturgiques et tableaux d’autel. Les aménagements sont d’abord sobres, dans l’esprit de la Contre-Réforme.
Mais lorsqu’en 1620, les Jésuites font appel à Rubens pour décorer l’intérieur de leur nouvelle église, Saint-Ignace (actuelle Saint-Charles-Borromée), l’artiste conçoit un programme fastueux qui exprime la puissance de l’Eglise triomphante. L’époque des grands décors baroques a commencé.
Jordaens, peintre religieux
La popularité des scènes du quotidien peintes par Jordaens a occulté une activité de peintre religieux aussi brillante que féconde dans laquelle l’artiste s’engagea d’emblée et qu’il poursuivit jusqu’à la fin de sa longue carrière. Les sympathies du maître pour la Réforme, sa conversion au calvinisme (avérée au milieu du siècle), ont, en outre, obscurci notre appréhension de cette partie cruciale de son oeuvre.
Traversée par des accents naturalistes, elle fait notamment de Jordaens l’un des plus profonds émules du Caravage au nord des Alpes. Jordaens donna longtemps tous les signes extérieurs de catholicité au même titre que ses parents, ses beaux-parents, frères et soeurs, parmi lesquels un moine et trois religieuses…
Empreinte de pragmatisme, l’attitude de Jordaens et des siens était d’abord le gage d’une vie paisible dans ce bastion du catholicisme qu’était Anvers. Ses choix confessionnels ne l’empêchèrent pas de travailler constamment pour l’Église, grande pourvoyeuse de commandes, et pour une clientèle catholique dont il eut été impensable de se priver pour un peintre d’histoire.

Section IV - Les décors profanes

Les commandes de décors pour l’organisation des festivités urbaines et l’ornement des demeures princières étaient très prisées par les artistes qui y voyaient une occasion de faire montre de leur culture et d’acquérir de la « réputation » comme on dit alors. Jordaens fut à bonne école puisqu’il oeuvra largement à la réalisation des décors éphémères conçus par Rubens pour l’entrée solennelle à Anvers du nouveau gouverneur des Pays-Bas espagnol, le cardinal infant Ferdinand, en avril 1635.
Dans la première moitié des années 1660, il eut l’occasion de réaliser plusieurs compositions pour l’Hôtel de Ville d’Amsterdam. Deux compositions marquent l’apogée de sa carrière dans ce domaine : Le Temps fauchant la Calomnie et le Vice et la Mort étranglant la Jalousie et l’immense Triomphe du prince Frédéric-Henri d’Orange-Nassau (1652) réalisées pour la salle d’apparat de la « Maison au Bois » (Huis ten Bosch), résidence princière aux environs de La Haye (in situ). Jordaens y pratique avec aisance ce langage allégorique « baroque » que Rubens contribua largement à définir dans toute l’Europe.

Section V - L’Atelier
À la fois école et manufacture, lieu d’exposition et « boutique », l’atelier constitue le coeur de la production artistique des grands peintres d’histoire anversois. Jordaens fut à la tête de l’un des ateliers les plus rentables de la ville entre le début des années 1620 et la fin des années 1660, accueillant de nombreux apprentis parmi lesquels aucune personnalité forte n’émergea pourtant. Rodés au travail en équipe, ses élèves étaient à même de l’épauler dans la réalisation de compositions religieuses ou profanes monumentales et dans l’exécution de grands cartons de tapisserie. Ils pouvaient, en outre, décliner les compositions à succès du maître.
Véritable « collaboration verticale », plusieurs mains concouraient, de manière anonyme, à produire « un Jordaens » dont la qualité pouvait être fort variable. L’examen de son oeuvre dans la durée trahit une organisation du travail qui atteint une forme de standardisation devenue manifeste dans la production tardive. L’ensemble substantiel de dessins et d’esquisses jalousement conservés au sein de l’atelier constituait une ressource fondamentale pour le fonctionnement de cette véritable entreprise.

Section VI - « Quotidien » et proverbes

Le nom de Jordaens demeure associé aux scènes de festivités souvent débridées que sont les diverses déclinaisons du Roi boit ! et de « Comme les vieux ont chanté, ainsi les jeunes jouent de la flûte ». Ces deux thèmes sont issus de la riche culture littéraire et proverbiale des Pays-Bas, du Moyen Âge et de la période moderne. À une époque où la haute culture était rendue particulièrement exclusive par sa sophistication même, les proverbes constituaient l’un des rares lieux de rencontre entre le savoir des élites et celui du plus grand nombre. Les expressions proverbiales avaient une fonction didactique qui en faisait un outil très apprécié des pédagogues. Jordaens s’inscrit dans cette tradition visant à éduquer une société demeurant, par bien des aspects, fort peu policée. Loin d’être prosaïque, immédiate, la représentation du quotidien chez l’artiste recèle presque toujours un arrière-plan moral.

Section VII - Portraits et figures

On peut qualifier la production de portraits dans l’oeuvre de Jordaens de marginale. Au début de sa carrière, il s’inscrit pourtant aux côtés de Rubens et du jeune Van Dyck parmi les maîtres qui contribuèrent de manière décisive à faire évoluer les formules traditionnelles du portrait bourgeois flamand. Le peu d’investissement de l’artiste dans ce genre pictural par la suite s’explique notamment par le fait que ses collègues captèrent la clientèle la plus huppée.
Quant aux membres de la bourgeoisie, ils pouvaient s’adresser à des spécialistes comme Cornelis de Vos. Beaucoup de modèles de Jordaens faisaient partie de son entourage proche ; il s’agit souvent, autrement dit, de portraits de famille ou d’amis. La plupart des effigies de la maturité se signalent avant tout par leur vacuité psychologique, l’artiste se contentant d’enregistrer l’individu « extérieur », discrètement flatté, sans questionner sa substance, même s’il existe quelques heureuses exceptions, dont le portrait d’Elisabeth Jordaens montrant un bijou que l’on peut admirer dans l’exposition.

Section VIII - Histoire profane et mythologie

Jordaens excelle dans la représentation des tribulations des créatures et des dieux de « la fable », mais aussi dans la représentation de l’histoire de l’Antiquité. En tant qu’interprète de l’héritage antique, il n’a pas toujours bénéficié d’un jugement équilibré, la comparaison avec son mentor Rubens qui paraissait toujours le surpasser par l’ampleur de son érudition et par la hauteur de son inspiration, jouant immanquablement en sa défaveur. Évoluant dans une cité où les attentes d’une clientèle érudite, pétrie de culture humaniste, exerçaient un effet stimulant sur les peintres d’histoire, Jordaens sut pourtant trouver, dans son rapport à l’héritage antique, une voie personnelle et parfois étonnamment subversive. Maîtrisant les sources grecques et latines par le biais de traductions et par un corpus visuel hétérogène, il emprunte autant à la statuaire classique ou à la numismatique qu’à Rubens et à l’art vénitien de la Renaissance.

Section IX - Modèles, cartons de tapisserie et tentures

Les travaux des historiens ont démontré l’importance à la fois qualitative et quantitative de la contribution de Jordaens à l’histoire de la tapisserie dans les Pays-Bas espagnols au XVIIe siècle où il n’est guère surpassé que par Rubens. Remarquablement actif dans ce domaine dès la fin des années 1620 jusqu’aux années 1660, Jordaens conçut des modèles dans des registres fort divers : littérature proverbiale, thèmes équestres, mythologie, histoire antique ou médiévale. Les liens étroits de sa famille avec le commerce du tissu et la spécialisation initiale de l’artiste qui fut reçu francmaître à la guilde de Saint-Luc (1615-1616) comme peintre à la détrempe, l’avaient probablement préparé à oeuvrer dans la réalisation de cartons de tapisserie historiés. « Cartonnier » de premier ordre, Jordaens illustre la convergence croissante entre l’art des lissiers et celui des peintres, rapprochement qui marquera de manière fondamentale l’évolution de la tapisserie au XVIIe siècle.

Section X - Le Cabinet de curiosités (espace pédagogique)

Un grand meuble s’inspirant des « cabinets de curiosités », véritable « chambres des merveilles » très en vogue au XVIIe siècle dans toute l’Europe, présente un ensemble d’objets qui évoquent l’oeuvre de Jordaens. Le dispositif, accessible au public déficient visuel, fait appel à la multi-sensorialité, en écho à la sensualité de l’art de Jordaens. Outre la vue, le toucher, l’ouïe et l’odorat sont aussi sollicités. La présentation s’organise selon trois thématiques : les divers procédés techniques, les caractéristiques de l’art de Jordaens, la culture et l’art de vivre en son temps. Les visiteurs sont invités à examiner les objets en vitrines et ouvrir les tiroirs pour percer les secrets des tableaux du maître. Ce « cabinet de curiosités » est décoré d’après des gravures d’Erik Desmazières que nous remercions de nous avoir laissé librement réemployer.