contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Bronzes de la Chine Impériale” du Xe au XIXe siècle
au musée Cernuschi, Paris

du 20 septembre 2013 au 19 janvier 2014



www.cernuschi.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 19 septembre 2013.

1068_Bronzes1068_Bronzes1068_Bronzes

Légendes de gauche à droite :
1/  Brûle-parfum (xianglu) à anses en forme d’oiseaux fantastiques, Dynastie des Ming, probablement XVIe siècle. H. 17,5cm x L. 16,5 cm. MC 00177, legs Henri Cernuschi, 1896. Alliage cuivreux foncé. Patine brune avec concrétions noires. Dorure. Couvercle en bois. Bouton en jade. © Stéphane Piera/Musée Cernuschi/Roger-Viollet.
2/  Vase en forme de double bélier (shuangyang zun), Dynastie des Qing, XVIIIe ou XIXe siècle. H. 30,5 cm x L. 33 cm. MC 00585, legs Henri Cernuschi, 1896. Alliage cuivreux orangé. Patine grise mate. Incrustations d’argent et d’or. Pigments roses et verts appliqués avec de la cire. ©Stéphane Piera/Musée Cernuschi/Roger-Viollet.
3/  Vase en forme de zun, Dynastie des Ming, XVe ou début du XVIe siècle. H. 11,3cm x D 12,5 cm. MC01018, legs Henri Cernuschi, 1896. ©Stéphane Piera/Musée Cernuschi/Roger-Viollet.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt

 

Le musée Cernuschi présente une toute petite partie de sa collection de bronze, l’une des plus importantes au monde, rapportés par le banquier et collectionneur Henri Cernuschi après un voyage en Chine en 1872. Longtemps oubliées dans le fond du musée, ces pièces, dont certaines sont exposées pour la première fois, remettent en lumière le savoir-faire et les traditions d’une civilisation chinoise alors déjà très développée.

Objets précieux
Des bronzes présentés, l’on retiendra d’abord la grande variété. Les vases, de formes très diverses, à fleurs ou à flèches, s’avèrent certes les plus nombreux mais les brûle-parfums, outils de lettrés et traditionnelles statuettes sont loin d’être en reste. Et quelque soit l’usage auquel on a pu les destiner, ils empruntent souvent des aspects très élaborés où domine la représentation d’un bestiaire à la fois domestique et mythologique. Aux côtés d’un vase façonné sur l’image d’un canard colvert dressé sur ses pattes, cou et ailes repliés, sa queue déployée avec un certain panache, l’on retrouve les immuables dragons aux longs corps sinueux qui s’enroulent sur eux-mêmes ou encore ces lions cornus, esprits bienveillants et protecteurs si présents dans la tradition chinoise. Qu’ils soient d’une élégante sobriété ou déploient une profusion d’enjolivures, ces objets se distinguent toujours par leur raffinement et la finesse de leurs ornements. Marqués par l’oxydation du métal, ils arborent des taches tirant sur le rouille ou le vert jade qui piquent un bronze aux multiples nuances, quand ils ne sont pas tout simplement incrustés de cuivre ou décorés à la feuille d’or. Ainsi en va-t-il de ce vase en forme d’oiseau céleste, daté de l’époque Qianlong (1735-1796), pièce magnifique et luxueuse où l’or vient souligner certains détails, alors comme éclaboussés de lumière.

Retour à l’antique
Objets du quotidien, un quotidien ritualisé, ces bronzes remplissent des fonctions qui leur sont bien particulières et auxquelles répondent souvent leur apparence. Quand certains vases servent de gobelets lors des festins (ces étonnants vases jue, récipients tripodes aux larges becs verseurs), d’autres sont destinés à recevoir les offrandes, généralement sous forme de nourriture. Principalement liés à la figure de l’empereur, on les utilise lors de cérémonies censées manifester le pouvoir de l’administration impériale. Reproduits dès le Xe siècle sur le modèle de bronzes antiques grâce aux catalogues réalisés sur la foi de découvertes archéologiques par les lettrés de l’époque, ces objets tentent d’en copier, parfois un peu maladroitement, les caractéristiques : textes en langue archaïque ou ornements aux formes géométriques. Afin de restituer cette « couleur antique » si particulière et alors si appréciée, les artisans leur donnent une patine ancienne grâce à différents procédés qui semble vieillir l’objet. Les statuettes des huit Immortels de la croyance taôiste (XVIIe siècle), avec leurs visages lunaires si reconnaissables et leurs longues toges aux plis ondoyants, comme les superbes bassins aux motifs floraux semblent alors avoir traversé les siècles, cachés sous terre ou dans les chambres funéraires des ancêtres. Et s’ils ne sont que le résultat d’un habile travail de copiste, ils n’en possèdent pas moins leur propre poétique originalité.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Michel Maucuer, conservateur en chef au musée Cernuschi


Le bronze a été, en Chine, un matériau de prédilection pour la confection d’objets rituels depuis les premières dynasties. 
Au Xe siècle, après plusieurs siècles de prédominance de la religion bouddhique, afin de renforcer l’autorité impériale de la dynastie des Song (960-1279), les rites antiques liés aux Ancêtres impériaux, au Ciel et à la Terre, prennent une importance nouvelle. La collecte des vases rituels antiques, leur catalogage, le déchiffrement de leurs inscriptions deviennent une occupation de nombreux lettrés. Les bronzes comptent désormais, après les peintures et les calligraphies, parmi les objets les plus coûteux et les plus recherchés des collectionneurs.
Recettes de restauration, d’imitation et de contrefaçon fleurissent à partir de cette époque. La mode des motifs et des formes antiques s’étend bientôt à de nombreux domaines et imprègne tout l’art de la Chine : ustensiles d’usage quotidien ou de décoration, objets de lettrés ou de culte, notamment. 


Pour la première fois en France, une exposition est consacrée à ce domaine encore peu étudié. 
Elle décline trois thèmes : L’empire des rites (les rites et les vases rituels, la restauration des cultes et des vases dans leur forme originelle), La couleur de l’antique (le rôle des lettrés et des livres archéologiques pour répertorier, classer, nommer, relever les imitations et contrefaçons des techniques antiques et des patines), Le passé pour l’éternité (objets de lettrés, ustensiles pour l’encens, vases à flèches, petite statuaire religieuse, bassins et plats d’offrande). 
C’est donc un ensemble très varié de bronzes chinois des collections du musée Cernuschi qui sont montrés, souvent pour la première fois. 
Riche de plus de mille oeuvres, cette collection est l’une des plus importantes au monde pour les bronzes de cette période.


L’histoire d’une collection 

La totalité des oeuvres ici exposées provient de la collection réunie par Henri Cernuschi (1821-1896) au cours de son séjour en Chine, au début de l’année 1872, auprès d’antiquaires de Shanghai, de Yangzhou et surtout de Pékin. Elle n’aurait certainement pas pu être rassemblée sans l’aide de marchands ou d’experts rencontrés sur place.
Cette collection demeure par la cohérence de ses thèmes et de ses formes, la diversité des styles et des époques représentés, l’une des plus importantes dans le domaine des bronzes des époques Song à Qing. 

Délaissés par les chercheurs occidentaux du XXe siècle qui se passionnaient pour les pièces archaïques, les bronzes des Xe au XIXe siècle ont souvent été qualifiés par ceux-là mêmes de « tardifs » ou d’ « archaïsants ». 
Cependant, depuis environ une vingtaine d’années, les historiens de l’art et les chercheurs se sont à nouveau intéressés à ces objets, et grâce à de nouvelles sources archéologiques ont p modifié le regard qui leur était porté. Ces nouvelles études ont permis de replacer les objets dans leurs contextes religieux, culturel et administratif depuis l’époque des Song jusqu’à l’époque des Qing.

L’empire des rites

La pratique de sacrifices et d’offrandes est attestée en Chine depuis la Haute Antiquité.
Ils étaient destinés aux ancêtres d’un clan, au Ciel et à la Terre, aux esprits tutélaires du territoire et des moissons, ainsi qu’aux dieux domestiques. La grande variété de récipients employés durant l’Antiquité (vases destinés aux boissons fermentées, aux aliments solides, vases à eau) reflète la complexité de ces cérémonies. 
Cependant, on ne connaît aucune inscription qui décrit précisément le déroulement des cérémonies au cours des premières dynasties chinoises. Il faut attendre le début de la dynastie des Han (206 av.J.-C. - 220 apr.J.-C.) pour que trois ouvrages consacrés au cérémonial (li) et au protocole de la Chine ancienne y fassent référence: « les Rites des Zhou » (Zhouli), les « Livres des rites » (Liji) et les Rites protocolaires (Yi li). 
A l’époque des Song (960-1279), la restauration des rites liés aux dogmes antiques constitua l’un des principaux desseins de l’empereur.
Afin de réinventer les vases des rituels, il fut donc fait appel à l’épigraphie, à la philologie et à l’archéologie selon des démarches scientifiques mises au point sous les Song du Nord (960-1127). 
En effet, à la faveur des découvertes archéologiques faites sous le règne de l’empereur Huizong (1101-1125), les récipients antiques étaient venus enrichir les collections impériales et privées. Ils avaient fait l’objet de catalogues, dont le plus ancien est le Catalogue illustré pour étudier l’Antiquité (Kao gu tu), composé par Lü Dalin et préfacé en 1092. Le Catalogue illustré des Antiquités (Bo gu tu) est, quant à lui, attribué à Wang Fu et daté de 1125. 
Ces ouvrages comportaient des dessins, des descriptions, des relevés d’inscriptions, des essais d’interprétation et des recherches sur la terminologie des vases. Leurs planches xylographiées, bien que parfois maladroites ou erronées, servirent à la reproduction de bronzes archaïques.

La couleur de l’antique 

Le goût pour la collection d’antiques a culminé en Chine au cours de diverses périodes, en particulier sous le règne de l’empereur Huizong (1101-1125) des Song, à la fin de la dynastie Ming (seconde moitié du XVIe siècle–début du XVIIe siècle) et sous le règne de l’empereur Qianlong (1736-1795) des Qing. La constitution des grandes collections ne se limita toutefois pas à la cour impériale. Elle fut aussi le privilège de collectionneurs particuliers: différentes sépultures du XVIIe siècle, récemment découvertes, ont livré des bronzes archaïques enterrés aux côtés des défunts. 
Ces collections suscitèrent des copies, les unes faites pour apprendre, d’autres pour compléter une collection ou restaurer un ensemble, mais également des contrefaçons.

Dès la période des Song, la couleur était un des éléments d’appréciation des bronzes. Elle était non seulement un critère d’authenticité, mais également de qualité. Elle permettait de situer le bronze au sein d’une échelle de valeurs précises. Savoir reconnaître et apprécier la « couleur antique » (gu se) était essentiel. 
Les artisans du bronze, entre le Xe et le XIXe siècle, mirent donc en oeuvre plusieurs procédés afin de ressusciter cette « couleur antique » et donner une patine ancienne aux productions contemporaines. Ils utilisèrent la méthode dite « à froid » (hanfa) et la méthode dite « à chaud» (yunfa). La première permettait d’obtenir des patines presque noires, en appliquant à froid un épais enduit, composé d’un matériau corrodé noir recouvert d’une couche semi-translucide brunâtre. La seconde était une patine incorporée au corps de l’objet et donc difficile à détecter à l’oeil nu. Sans doute connue à l’époque des Yuan (1260-1367), celle-ci fut utilisée à grande échelle à partir de la fin des Ming (1368-1644).

Le passé pour l’éternité 

L’influence que la culture matérielle de l’Antiquité a exercée sur l’ensemble de la production artistique de la Chine est essentielle et les transpositions de modèles anciens dans divers matériaux, tels que la céramique, le jade ou l’ivoire en témoignent. La référence au passé apparaît tout au long de l’Histoire chinoise comme une nécessité impérieuse. Le bronze en est l’un des exemples les plus notables. Il devint en quelque sorte une allégorie de la période antique, symbole de durabilité, de pérennité et d’éternité. 

Cette vénération pour l’Antique n’eut pas seulement pour conséquence de transmettre une technique et un savoir-faire de génération en génération. Ils permirent de perpétuer des formes et des décors, tout en détournant les pièces de leur fonction originale. La répétition d’un même motif ne fut pas constante dans le temps, mais apparut sporadiquement, selon les modes et le goût du moment. 
L’intérêt que suscitèrent les vestiges du passé eut pour conséquence une innovation dans le domaine des arts décoratifs.
Une « esthétique du fragment » apparut : des fragments d’objet pouvaient suffire à évoquer un objet dans son intégralité, ou l’assemblage de fragments d’objets anciens pouvait servir à composer une oeuvre nouvelle. Ce concept esthétique de lettrés, qui privilégiait l’étrange ou le bizarre, « le rejeté », fut également transposé dans l’art du métal.