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“Mark Cohen” Dark Knees, 1969-2012
au Bal, Paris

du 27 septembre au 8 décembre 2013



www.le-bal.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse avec Mark Cohen et Diane Dufour, le 26 septembre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  © Mark Cohen, Blackberries, 2008 / Courtesy ROSEGALLERY.
2/  © Mark Cohen, Woman with red lips smoking, 1975 / Courtesy ROSEGALLERY.
3/  © Mark Cohen, Bare thin arms against aluminum siding, 1981.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt

 

Pendant une quarantaine d’années, l'artiste américain Mark Cohen a photographié quotidiennement, les rues de sa petite ville de Wilkes-Barre. Il nous plonge dans un univers poétique et étrange qui ne peut laisser indifférent.

Poétique de la fragmentation
Si Mark Cohen photographie dans les rue de sa ville natale Wilkes-Barre ce n’est nullement pour documenter le déclin de cette ancienne ville minière. Ce n’est pas la représentation du réel qui l’intéresse. Au contraire chez lui celle-ci semble impossible. Avec l’appareil tenu au niveau de la hanche, il coupe dans le réel des fragments de corps et d’espace, en couleur ou en noir et blanc, et cela n’a finalement que peu d’importance. Il s’agirait plutôt de libérer ces éléments pour leur donner une autre vie. L’espace devient la matière d’une poésie. La fragmentation pousse l’image vers l’abstraction, nous incite à la regarder différemment, créant ainsi un rapport au monde inhabituel.

Déséquilibre
Mark Cohen cherche à faire apparaître quelque chose de nouveau en se tenant à la limite, du confortable. La distance entre lui et son sujet devient dérangeante créant ainsi une forte tension. “Rien de nouveau n’est créé si on reste dans une zone de sécurité” dit- il. Il se passe quelque chose lorsque l’on envahit l’espace privé de quelqu’un. Rentrer dans le jardin d’un particulier et photographier quelques tomates sur une table, se rapprocher un peu trop d’un visage, c’est l’action de franchir cette limite, l’angoisse qui en résulte et que l’on retrouve palpable, qui l’intéresse. Cette pression psychologique est pour lui plus importante que le sujet même de l’image. Il faut être sur le fil du rasoir, c’est ce déséquilibre qui est fécond. Il rentre en collision avec son sujet et nous aussi.

Un récit étrange et absurde
Dans la salle du sous-sol, les cadres ont été placés côte à côte, sans espaces, un peu comme si une bande de film se déroulait devant nos yeux. Les titres sont écrits à la main dans une ligne presque continue, et la photographie devient écriture. Chaque image pourrait être le début d’un film ou d’une narration, l’ensemble construit un récit étrange et absurde proche de l’univers des surréalistes. Mark Cohen révèle l’étrangeté de ces lieux qui lui sont pourtant si familiers, un peu comme Atget l’avait fait avec Paris. Morceaux de neige, petit garçon au ballon dont on ne peut saisir le visage, l’artiste nous offre des images ambiguës entre rêve et réalité. Le spectateur peut chercher en vain à décrypter la séquence qui s’offre à lui. La photographie s’affirme ici comme matériau de création pure.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

Le Bal présente cet automne la première exposition majeure en Europe du photographe américain Mark Cohen.
L’exposition est accompagnée d’un livre co-édité par le Bal et les éditions Xavier Barral.


Mark Cohen est né en 1943 à Wilkes-Barre, petite ville minière de Pennsylvanie.

Au début des années 70, tout en s’inscrivant dans la droite ligne de la «Street photography», genre dominant de la photographie américaine à cette période, il invente une écriture singulière marquée par un agencement fulgurant des lignes et, au même moment, une saisie instinctive de la qualité organique, sculpturale des formes.

Dans son atelier, se font face deux photographies: l’une de la période surréaliste d’Henri Cartier-Bresson et l’autre d’Aaron Siskind. On retrouve la géométrie élégante de l’un et la plénitude aride de l’autre dans l’oeuvre de Mark Cohen, exposée par John Szarkowski au MoMA dès 1973.


Arpentant inlassablement depuis 40 ans les rues de sa ville natale et de ses environs, Mark Cohen capture, ou plutôt prélève, des fragments de gestes, postures ou corps. Dans ses images, de nombreux torses sans visage, des enfants souriants, complices mais aussi effroyablement vulnérables, des jambes aux lignes furtives, des manteaux comme des armures. En coupant et sculptant ainsi dans l’épaisseur du monde, la photographie de Mark Cohen impose par touches successives une vision kafkaïenne, impitoyable et poétique, d’un territoire avec lequel il fait corps. Une vision de l’intérieur.


Cet ensemble remarquable, construit le plus souvent sans viser - l’appareil photo tenu à bout de bras - repose sur des impulsions de quelques fractions de seconde. Parfois éblouies par la lumière artificielle d’un flash, ces visions distillent une inquiétante étrangeté. Les corps semblent mal à l’aise, menacés, perdus, trop hilares ou réduits à leur dimension érotique. Les objets communs apparaissent isolés, mystérieux, menaçants. Le déclin de la petite ville minière est bien là, dans les arrières-cours, aux arrêts de bus, sous les porches mais la quête de Mark Cohen est dénuée d’intention documentaire.

Répétitif jusqu’à l’obsession, il ne sait ni ce qu’il cherche ni pourquoi il est venu, mu par la beauté d’une rencontre fortuite, par les tourments ou délices qu’il devine dans la substance de l’autre. 
Il y a dans la brutalité de son oeil, une âpreté, une énergie nerveuse, une équivoque et une grâce qui font de l’acte de photographier l’expression d’une révélation.