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“Félix Vallotton” Le feu sous la glace
au Grand Palais, Paris

du 2 octobre 2013 au 20 janvier 2014



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 1er octobre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Félix Vallotton, Portrait de Madame Vallotton, 1905, huile sur toile, 89x116 cm. Bordeaux, musée des Beaux-Arts, acquis en 1997 avec la participation du FRAM-Aquitaine © Rmn-Grand Palais / Michèle Bellot.
2/  Félix Vallotton, La Loge de théâtre, le monsieur et la dame, 1909 , huile sur toile, 46x38 cm. Suisse, collection particulière © collection particulière.
3/  Félix Vallotton, Portrait de Madame Vallotton, 1905, huile sur toile, 89x116 cm. Bordeaux, musée des Beaux-Arts, acquis en 1997 avec la participation du FRAM-Aquitaine © Rmn-Grand Palais / Michèle Bellot.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt

 

Le Grand Palais présente une rétrospective, la première à Paris de cette envergure depuis près de cinquante ans, de l’œuvre du peintre Félix Vallotton. En dix thèmes bien spécifiques, elle retrace 40 ans de la vie de cet artiste complet, peintre, dessinateur mais aussi critique d’art et dramaturge, toujours demeuré inclassable.

Réalisme photographique
S’il s’avère si difficile de le ranger dans un mouvement artistique particulier, c’est peut-être parce que sa peinture, nourrie d’influences, à commencer par celle d’Ingres, ne ressemble alors à aucune autre. À une époque encore marquée par l’impressionnisme et sa mouvante fugacité, les œuvres de Félix Vallotton s’apparentent plutôt à des instantanés photographiques d’un réalisme à la fois fascinant et dérangeant. D’abord dessinées puis remplies par les couleurs, ses figures, femmes nues alanguies et portraits comme exécutés sur le vif, se détachent avec une netteté troublante sur des fonds neutres et unis vides de tout ornement, avec toutes leurs imperfections. Les objets se révèlent tout aussi puissamment concrets, notamment grâce à d’habiles effets de lumière : la brillance d’un chapeau noir ou le jeu des reflets sur le goulot d’une bouteille en verre. Photographe amateur, le peintre sait aussi jouer des cadrages audacieux qui donnent une impression de perspective vertigineuse. Dans un intérieur bourgeois, une enfilade de portes ouvertes nous projette en avant dans une chambre dont on ne distinguera jamais que les coins d’un lit en désordre, quand une femme, dans une robe rouge flamboyante, nous tourne dédaigneusement le dos (Intérieur avec femme rouge de dos, 1903). Mais, parfois, la poésie et la féérie prennent le pas sur le réalisme, comme dans ces paysages aux couleurs douces où le soleil, souvent crépusculaire, baigne des scènes d’un onirisme mélancolique. Les arbres d’un vert éclatant courbent alors leurs formes longilignes sur un ciel rougeoyant qui annonce la tombée de la nuit (Derniers rayons, 1911).

Un regard acéré
Peintre de l’intimité troublée, Félix Vallotton se pose en voyeur, et force le spectateur à en faire de même. La femme, omniprésente et souvent nue, s’offre en pleine lumière et sans pudeur, à la fois sensuelle, aguichante et inaccessible, femme toxique et castratrice cristallisant un érotisme délétère, comme celle au regard provoquant de L’Automne (1908), dont le corps blanc coupé en deux par la ligne verticale d’un linge vert semble promettre l’anéantissement à celui qui succomberait à son désir. D’une ironie féroce, le peintre révèle aussi les vices d’un monde bourgeois gouverné par l’argent et la luxure. À cet égard, la série Intimité, composée de dix xylographies, se déroule comme un petit film que le spectateur est invité à interpréter grâce aux nombreux indices de dissolution, caractéristique de la vie mondaine du XIXe siècle, semés par l’artiste. Le noir et le blanc, s’ils permettent de se distancier de ces scènes ainsi exposées, laisse néanmoins apparaître un humour cynique et corrosif. Ironique et satirique, Félix Vallotton l’est aussi quand il s’attaque à la peinture dite « d’histoire ». Reprenant les thèmes classiques issus de la mythologie grecque, il en détourne les codes pour mieux les moderniser. Si l’on retrouve certains maniérismes propres à ce type de peinture, telle la teinte rosée de la chair d’une Europe aux formes généreuses (L’Enlèvement d’Europe, 1908), le peintre dépouille ses sujets de leur sérieux épique. La belle et jeune Andromède devient alors une matrone que Persée n’impressionne guère, et le dragon, un simple crocodile, quand la scène elle-même ne se pare pas de couleurs criardes. Mais que l’on ne s’y trompe pas ; chez Vallotton, tout, même le plus petit élément, est porteur d’un sens caché qui n’a rien, jamais, d’innocent.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaires :
Isabelle Cahn
, conservateur en chef au musée d’Orsay,
Guy Cogeval, Président des musées d’Orsay et de l’Orangerie,
Marina Ducrey et Katia Poletti, conservateurs à la Fondation Félix Vallotton à Lausanne

scénographie : Sylvain Roca et Nicolas Groult

À cheval sur deux siècles, sur deux cultures, Félix Vallotton (1865-1925) s’est formé à Paris, à la fameuse Académie Julian, berceau de nombreux artistes post-impressionnistes et nabis. À moins de trente ans, il se taille une renommée internationale grâce à ses gravures sur bois, petites images noir et blanc d’une ironie souvent féroce. Avant de conquérir le monde, elles font sensation au sein de l’avant-garde parisienne, valant à Vallotton son admission dans le groupe des Nabis et l’amitié de ses principaux représentants.

À partir de 1899, le graveur cède le pas au peintre, qui laissera plus de 1700 tableaux à sa mort, en 1925. Travailleur acharné, Vallotton a traité tous les genres : portrait, nu, paysage, nature morte, et même peinture d’histoire sous la forme de vastes toiles à sujet mythologique ou allégorique, ou encore compositions inspirées par le spectacle de la guerre moderne, en l’occurrence celle de 1914-1918. Son style reconnaissable entre tous se distingue par un aspect lisse, des couleurs raffinées, un dessin précis découpant la forme, des cadrages audacieux, des perspectives aplaties empruntées aux estampes japonaises et à la photographie.

La rétrospective Félix Vallotton. Le feu sous la glace revisite la production de l’artiste sous un angle inédit. Elle s’articule autour de dix axes aux intitulés évocateurs des motivations esthétiques, sociales et politiques de l’artiste comme de la personnalité complexe de l’homme : Idéalisme et pureté de la ligne – Perspectives aplaties – Refoulement et mensonge – Un regard photographique – « La violence tragique d’une tache noire » – Le double féminin – Erotisme glacé – Opulence de la matière – Mythologies modernes – C’est la Guerre !

Dans chacune de ces sections, les oeuvres sont regroupées par affinité avec le propos plutôt que par genre ou ordre chronologique. Cette lecture transversale met en lumière la progression opiniâtre du peintre vers l’édification pas à pas d’un mode d’expression résolument personnel et moderne, mais se réclamant de la tradition séculaire de l’art. Dans cette perspective, l’exposition présente au public non seulement les chefs-d’oeuvre les plus connus de Vallotton, mais aussi des tableaux rarement ou même jamais exposés auparavant. Elle le doit à la richesse de la collection du musée d’Orsay mais aussi aux prêts exceptionnels consentis par les musées suisses, à la générosité des principaux musées américains et européens, ainsi qu’à celle de nombreux collectionneurs privés, grâce à l’entremise de la Fondation Félix Vallotton, à Lausanne.

Il s’agit de la première rétrospective consacrée à l’artiste par un musée national à Paris depuis près d’un demi-siècle, puisque la dernière, à cet échelon, a eu lieu au Musée national d’art moderne en 1966. Dans l’intervalle Paris a hébergé une rétrospective présentée en 1979 au Petit Palais et une exposition monographique, de nus uniquement, au musée Maillol en 1997. En France, la dernière exposition remonte à 2001. Elle s’est tenue au musée des beaux-arts de Lyon et au musée Cantini, à Marseille, sous le titre « Le très singulier Vallotton ».

Un regard photographique par Katia Poletti - extrait du catalogue
Vallotton inaugure sa pratique de la photographie en été 1899 à Étretat, alors qu’il vient d’acquérir un appareil Kodak. Rien ne distingue ses images prises à des fins privées des clichés qu’il destine à des tableaux. Ses photographies d’intérieur comme de plein air – celles d’estivants ou de son univers familial – lui permettent de peindre d’une part La Chambre rouge, Étretat, d’autre part une suite de scènes de plage, parmi lesquelles Le Bain à Étretat et Sur la plage. Plus tard, il réalise, en amateur, des prises de vue à caractère domestique, principalement des instantanés de sa vie quotidienne. Les sujets qu’il traite en peinture et en photographie sont d’ailleurs les mêmes, pour l’essentiel des intérieurs animés par son épouse Gabrielle.
La photographie participe cependant intimement au processus créatif de Vallotton, dans la mesure où il en exploite le langage spécifique jusqu’à s’assujettir à un mode de vision particulier, source de formes picturales nouvelles. Points de vue audacieux, comme dans Le Ballon, cadrages évocateurs d’éléments hors champ ou encore effets de lumière inédits apparaissent désormais dans ses oeuvres. Ainsi le contre-jour dont il use entre 1899 et 1901 dans les intérieurs, à l’exemple du Dîner, effet de lampe et de Femme fouillant dans un placard. Il permet un traitement de la figure en silhouette privée du moindre modelé. En évacuant les qualités tridimensionnelles de la nature, le médium photographique est en effet en parfaite adéquation formelle avec l’esthétique de l’aplat chère aux Nabis.
L’une des particularités de l’instantané est sa capacité à saisir un sujet en mouvement tout en figeant l’élan en une forme immobile, comme dans Le Ballon. En l’absence d’esquisse connue pour ce tableau, tout laissait soupçonner qu’il dérivait d’une photographie. Cette hypothèse a été confirmée par la découverte d’un cliché de Vallotton inclus dans un lot de photographies envoyé à Vuillard en automne 1899 et qui a valu à Vallotton ces lignes : « Merci de votre lettre et des photos. Elles font mon bonheur et me font voir encore plus la vanité de certaines idées de peintures. » L’enfant y apparaît coiffé de son chapeau de paille, mais il a cessé de jouer. Le cadrage de la photographie sur l’allée de gravier incurvée recoupe la moitié droite du tableau, dans lequel coexistent cependant deux angles de vision divergents. En effet, si l’enfant est vu en plongée, ce n’est pas le cas des deux silhouettes féminines à l’arrière-plan, dont l’échelle exagérément réduite crée une illusion de profondeur. En bordure du chemin, la photographie ne montre toutefois qu’une végétation impénétrable, au contraire d’une vue prise par Alfred Athis Natanson où l’on voit une Misia Natanson minuscule, perdue sous de hautes ramures. C’est donc par le recours à la combinaison de deux photographies que s’explique la dualité manifeste de la composition.
Vallotton fera par la suite un usage plus traditionnel de la photographie. En 1901, il exécute le Portrait décoratif d’Émile Zola d’après un cliché issu de l’atelier Nadar. Le renoncement aux accessoires et autres fonds peints au profit d’un arrière-plan neutre laissait tout loisir au photographe de modeler un visage à l’aide de l’ombre et de la lumière pour rendre la vérité psychologique de la personne. Cette démarche, si proche de la sienne, n’a pu que séduire Vallotton. S’il reste fidèle à la composition de Nadar et travaille dans une gamme chromatique restreinte, proche du noir-blanc, il évacue de manière synthétique tout détail superflu et atténue les ombres. Plus que de restituer fidèlement la ressemblance physique de l’homme, il importe à Vallotton de saisir l’essentiel de la personnalité de l’écrivain.
Nu dans la chambre rouge enfin, pourtant signé de la main de Vallotton et daté par lui de 1897, détonne étrangement dans le contexte esthétique nabi, par comparaison avec la stylisation des physionomies et les invraisemblances morphologiques que dénotent les autres oeuvres de 1897, telles que Femme nue assise dans un fauteuil rouge ou Femmes à leur toilette. Le modelé réaliste du corps rapprocherait plutôt ce tableau des grands nus exécutés à partir de 1904. Cette date n’est pas fortuite au vu de la parenté évidente de la figure avec celle d’une photographie anonyme parue en 1904 dans la revue L’Étude académique, véritable catalogue de nus féminins photographiés dans les positions et sous les éclairages les plus divers auquel nombre d’artistes avaient recours. Devant de telles similitudes, il semble impossible que la photographie n’ait pas été à l’origine du tableau, lequel a probablement été exécuté vers 1909, date à laquelle Vallotton l’a vendu aux collectionneurs de Winterthour Arthur et Hedy Hahnloser. Conscient du prestige de cette collection et sachant le désir du couple d’acquérir un tableau nabi, il l’aura antidaté, sans doute parce qu’il tenait à leur proposer une oeuvre plus érudite et plus importante que ne l’étaient à ses yeux les tableaux de cette époque restés dans son atelier. Quant à savoir pourquoi il s’est nonchalamment servi d’une photographie de 1904 pour un tableau prétendument réalisé en 1897, il aura tout bonnement choisi le document le plus approprié à son idée de composition, sans se soucier d’être démasqué.