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“La Renaissance et le Rêve ” Bosch, Véronèse, Le Greco…
au Musée du Luxembourg, Paris

du 9 octobre 2013 au 26 janvier 2014



www.museeduluxembourg.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 7 octobre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Ludovico Carracci, Le Songe de sainte Catherine d’Alexandrie, 1600-1601, huile sur toile ; 138,8 x 110,5 cm. Washington, National Gallery of Art, Samuel H. Kress Collection. © Courtesy National Gallery of Art, Washington.
2/  Pâris Bordone, Vénus endormie et Cupidon, peinture sur toile ; 86 x 137 cm. Venise, collection G. Franchetti à la Cà d’Oro. © 2013. Cameraphoto/Scala, Florence - Photo Scala, Florence - courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali.
3/  Paolo Caliari, dit Véronèse, La Vision de sainte Hélène, vers 1570-1575, huile sur toile ; 197,5 x 115,6 cm. Londres, The National Gallery. © The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.


Le Musée du Luxembourg présente une collection d’œuvres de la Renaissance sur le thème du rêve. Ou comment les artistes de l’époque, toutes nationalités et toutes spécialités confondues, ont interprété un mystère de la psyché qui ne cesse de fasciner.

Saisir l’insaisissable

« Comment représenter ce qui, par essence, ne peut pas l’être ? », voilà la question que pose l’exposition. Et force est de reconnaître que les réponses sont aussi nombreuses que diverses, surtout à la Renaissance, cette période si florissante pour le renouveau de l’art. À une époque où l’humanisme replace la figure de l’Homme au centre de l’univers, l’allégorie devient l’un des moyens privilégiés de représentation. Quoi de plus pertinent, d’ailleurs, que d’utiliser un procédé qui, tout comme le rêve, signifie une chose par une autre ? Allégories de la Nuit, source de terreurs mais aussi mère des songes bienheureux, déclinée à l’infini sur le modèle d’une sculpture toute en rondeurs pensives de Michel-Ange, allégories du Sommeil qui multiplient les figures mythologiques (Allégorie du Sommeil, Lelio Orsi, 1575-1580) ou font de la sensuelle Vénus l’image même de l’innocence et de l’amour parfait (Vénus endormie et Cupidon, Pâris Bordone, 1540)… Souvent pourtant, c’est le rêveur, entouré d’un cortège de créatures fantasmagoriques, qui établit le lien entre le spectateur et l’idée du songe, telle cette belle et grande endormie de L’Allégorie de la Nuit de Battista Dossi (1543-1544), plongée dans le sommeil, ignorante du ciel qui s’enflamme au-dessus d’elle. Mais quand le rêve devient cauchemar, alors il envahit toute la toile pour mieux aspirer le spectateur dans son maelstrom de feu, comme dans cette Vision apocalyptique (1595), où les démons entraînent des humains terrifiés dans une sarabande effrénée alors que le monde semble prendre fin dans un déluge de flammes.

Rêve et vision
Renaissance oblige, les artistes s’inspirent des mythes et figures antiques, et ce quel que soit leur nationalité et leur support. Ce sont alors les textes, grecs et romains, et même bibliques, qui donnent les clés de lecture de chaque œuvre et qui constituent un corpus et un ensemble de rapports de signification universels. Le Songe d’Énée (Nicolò Dell’Abate, 1540), qui se développe ainsi comme une succession de petites scènes théâtrales, débutant par la représentation du héros troyen visité lors de son sommeil par le dieu du Tibre, est-il directement tiré d’un épisode de l’Énéide de Virgile. De même, peintres et sculpteurs s’appuient-ils sur des symboles reconnaissables par tous ; les pavots d’Hypnos ou le chariot d’Apollon qui lentement chasse la nuit constituent tout autant de références qui permettent de décrypter les œuvres et les propos de l’artiste. Mais quand des saints illustres prennent la place des héros et dieux de l’Antiquité, le rêve devient vision, révélation. De ces instants de communion avec le divin, l’on retient surtout la lumière, lumière qui descend du ciel dans la magnifique représentation du rêve de Jacob par Ludovico Cardi (Le Songe de Jacob, 1593), et la douceur, celle du sommeil d’une jeune femme aux courbes voluptueuses veillée par une Vierge à l’Enfant (Le Songe de Sainte Catherine d’Alexandrie, Ludovico Carracci, 1600-1601). Et si Hieronymus Bosch livre dans ses Visions de l’Au-delà (1505-1510) une vision tragique et désespérée du sort qui attend les damnés traînés en Enfer, c’est pour mieux nous montrer l’ascension des justes vers la lumière. Et le rêve, éveillé ou pas, devient le lieu de tous les possibles.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : 
Alessandro Cecchi, directeur de la Galleria Palatina et du Jardin de Boboli au Palazzo Pitti, Florence
Yves Hersant, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris 
Chiara Rabbi-Bernard, historienne de l’art


Issue elle-même d’un rêve de vie nouvelle, la Renaissance a conféré aux songes, à leur interprétation, à leur représentation, une extraordinaire importance : dans la vie politique et sociale, avec le renouveau des pratiques divinatoires ; dans la littérature, tant en prose qu’en poésie (Francesco Colonna et Rabelais, l’Arioste et le Tasse, la Pléiade et d’Aubigné…) ; dans les débats médicaux et théologiques, notamment lors de la terrible chasse aux sorcières qui du XVe au XVIIe siècle a sévi en Europe. Alors a fleuri ce que l’on pourrait appeler l’« ancien régime » du rêve, fondé sur l’idée que le sommeil et les songes nous mettent en relation avec les puissances de l’Au-delà : en rêvant, l’homme s’évade-t-il des contraintes de son propre corps pour entrer en contact avec le divin ? Ou bien se trouve-t-il livré à des « démons » étrangers ? Quel crédit accorder à l’oniromancie ? Est-il possible d'établir un lexique du rêve, comme dans les « clés des songes »?

Ces problèmes, les peintres et graveurs de la Renaissance les ont affrontés à leur manière : artistique et non théologique, philosophique ou médicale. Les questions qu’ils posent, et qui leur sont propres, vont bien au-delà des débats de l’époque et demeurent fascinantes : d’une part, entre les images de l’art et les images oniriques, existe-t-il une profonde affinité ? D’autre part, comment s’acquitter de l’impossible tâche de représenter ce que rêve un rêveur ? Aux XVe et XVIe siècles, si certains explorent le rêve en tant que révélation d’un autre monde, saint ou infernal, et si d’autres l’utilisent pour transfigurer le vécu quotidien ou montrer sa dimension érotique, chez les plus exigeants il est perçu comme une métaphore de l’art lui-même. Alors la vie devient un songe et l’artiste un rêveur.

À une célèbre exception près — celle de Dürer, évoquée à la fin de l’exposition —, les artistes de la Renaissance ne peignent pas leurs propres rêves. Ils peignent ceux des autres, ou ceux qu’ils pourraient avoir ; ils représentent tantôt des récits de rêve, tirés de la mythologie et de l’histoire sainte, tantôt des visions reconstruites qui se font parfois cauchemardesques. Mais tous se heurtent à la même difficulté : peindre le rêve, c’est-à-dire non l’apparence mais l’apparition, c’est vouloir objectiver l’inobjectivable. Le songe échappe à la saisie. Or l’impossibilité même de le représenter a suscité, chez les artistes les plus soucieux de pousser leur art à ses limites, le désir de relever un défi ; de montrer leur habileté à représenter un irreprésentable, plus spectaculaire encore que les tempêtes ; et de conférer ainsi à leurs oeuvres une puissance accrue, en frappant l’imagination et les yeux par une représentation particulièrement vive. Tenter de peindre l’onirique, comme l’avaient déjà fait des artistes médiévaux (mais dans un contexte différent), c’est donc, à bien des égards, transgresser les frontières de l’art ; c’est en élargir considérablement le domaine et en affirmer les nouveaux pouvoirs.

Selon le sujet, les périodes et les régions, suivant aussi leur talent particulier, les artistes ont apporté à ce défi des réponses fort différentes : l’écart est grand entre un Songe du Quattrocento et un Songe du siècle suivant, de même qu’entre une oeuvre du Nord et une oeuvre méridionale, comme le montre la variété des artistes convoqués – illustres comme Bosch, Dürer ou Michel-Ange, ou moins connus comme Mocetto ou Naldini. Logiquement et chronologiquement, le parcours conduit de la nuit à l’endormissement, de l’aurore  où pour l’homme de la Renaissance se manifestent les vrais rêves  au réveil final ; l’essentiel étant consacré aux rêves et visions. Ainsi le visiteur verra-t-il successivement des figurations de la nuit (comme celles de Michel-Ange et Battista Dossi) et de belles endormies dont l’âme est « en vacance » (comme celle de Pâris Bordon), avant que ne soit franchie l’étape décisive : celle où l’artiste représente non seulement le corps du dormeur-rêveur, mais le phénomène onirique lui-même. Tantôt pour montrer des « songes vrais », tirés de la Bible (Jacopo Ligozzi) ou des vies de saints (Garofalo, Véronèse…), tantôt au contraire pour offrir des visions infernales (Jan Brueghel, Jérôme Bosch…). Certains juxtaposent en un même lieu le rêveur et le rêve (comme l’a fait Giotto), d’autres imaginent des médiations (Le Greco), tandis que les artistes du Nord nous font entrer de plain-pied dans le cauchemar. Dans la nuit aussi, on voit des choses ; loin d’éteindre le visible, l’obscurité fait surgir d’autres espaces, de jeu, de liberté ou d’inquiétude.

Le propos de l’exposition, qui appelle aussi l’attention sur quelques oeuvres énigmatiques (Le Songe de Raphaël du graveur Raimondi, Le Songe du docteur de Dürer), n’est pas seulement historique. Sans doute importe-t-il de rappeler l’intérêt de l’ « ancien régime » du rêve, largement effacé de nos mémoires par les révolutions successives et antagonistes de la psychanalyse et des neurosciences ; mais il importe plus encore, en offrant pour la première fois au public un tel ensemble d’oeuvres de la Renaissance, de l’inviter à rêver lui-même. À laisser libres et ouvertes les voies de son imagination.