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“Voyage dans l’ancienne Russie” article 1111
au musée Zadkine, Paris

du 9 octobre 2013 au 13 avril 2014 (prolongée jusqu'au 18 mai 2014)



www.zadkine.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 8 octobre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky (1863-1944), Chapelle édifiée sur le lieu de fondation de l’ancienne Belozersk, sur la rive sud du lac Beloïe, [juillet-août 1909]. © Bibliothèque du Congrès Washington - collection Procoudine-Gorsky/Famille Procoudine-Gorsky.
2/  Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky (1863-1944). La Volga à sa source, [printemps 1910]. © Bibliothèque du Congrès Washington - collection Procoudine-Gorsky/Famille Procoudine-Gorsky.
3/  Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky (1863-1944), Meule de foin, [juillet-août 1909]. © Bibliothèque du Congrès Washington - collection Procoudine-Gorsky/Famille Procoudine-Gorsky.

 


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Interview de Véronique Koehler, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 8 octobre 2013, durée 8'16". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition

Véronique Koehler, Responsable des collections du musée Zadkine, adjointe à la directrice des musées Bourdelle et Zadkine


Le 3 mai 1909, Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky (1863- 1944), pionnier d’un procédé de prise de vues restituant les couleurs avec une fascinante précision, est reçu au palais impérial à l’instigation du Grand duc Mikhaïl Alexandrovitch, à Saint-Pétersbourg.
Grand amateur de photographie, le tsar qui assiste à la projection, est émerveillé par les images qui apparaissent sur la grande pièce de tissu de plusieurs mètres, tendue pour l’occasion. A l’issue de la projection, Procoudine-Gorsky obtient de sillonner l’Empire et de s’engager dans l’ambitieux travail de reportage dont il rêvait.


Installé à bord d’un wagon spécialement aménagé, empruntant un bateau à faible tirant d’eau, souvent seul moyen de progression possible, Procoudine-Gorsky réalise entre 1909 et 1916, des milliers de clichés sur verre ; voyage dans les régions de l’Oural, de la Volga, de Mourmansk, en Sibérie, au Daghestan, dans le Caucase, au Turkestan, séjournant dans les villes mythiques de Boukhara et de Samarkand.


Sorties de Russie en 1918, près de 2000 de ces plaques de verre furent acquises par la Bibliothèque du Congrès à Washington, en 1948. Les images dont elles sont le support fragile, stockées dans des malles, demeuraient ignorées depuis près d’un siècle.
La puissance d’évocation d’une centaine d’entre elles, que seule la technologie du virtuel permet aujourd’hui de restituer, est à découvrir cet automne au musée Zadkine, en l’année de commémoration du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Procoudine-Gorsky.
Etonnamment contemporaines, ces images d’une Russie d’avant la Révolution, sont celles d’une Russie qui fut pour partie celle de Zadkine, né à Vitebsk, en 1890. Leur présentation sur les lieux où celui-ci vécut est une invitation à un saisissant voyage, à la croisée d’une double géographie. Celle d’un monde que l’on croyait à jamais disparu et d’un territoire – la mémoire emportée par un artiste de sa terre natale - que l’on ne pouvait imaginer atteindre. L’un et l’autre se trouvant révélés par la magie d’images abolissant le temps, qui, à un siècle de distance, par la grâce de leurs couleurs, font se conjuguer le passé au présent.



Sur les traces d’un pionnier de la photographie couleurs

Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky 1863-1944


Petit-fils du dramaturge Mikhaïl Ivanovitch Procoudine-Gorsky, Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky est né à Mourom, en 1863, au sein d’une famille de la vieille noblesse russe établie à Founikora Gora, dans la province de Vladimir. Il est le représentant d’une élite, férue de science et de technologie.


Élève du prestigieux Lyceum impérial, étudiant en physique et mathématiques à l’Université de Saint-Pétersbourg puis à l’Académie militaire de médecine, il reçoit une solide formation scientifique, doublée d’une éducation artistique. Nommé à la tête du conseil d’administration de la Société d’état des hauts-fourneaux et fonderies de Gatchina, à la suite de son mariage, en 1890, avec la fille du général Alexandre Stepanovitch Lavrov, représentant de la puissante industrie de l’acier et chercheur éminent, il fréquente très tôt la Société impériale Russe de technologie, dont il intègre la Cinquième section consacrée à la photographie en 1898. Il en deviendra président, en 1906.


Ses premiers articles sur la photographie datent de 1897. En août 1901, Procoudine-Gorsky ouvre un studio de photozincographie et de technique photographique, à Saint-Pétersbourg. Très vite son goût pour la recherche le pousse à s’intéresser à la photographie en couleurs, qui demeure en ce début de siècle, un domaine expérimental. À l’automne 1902, il décide de se rapprocher du physicien et astronome allemand Adolph Miethe, titulaire de la chaire de photographie, de photochimie et d’analyse spectrale à l’École supérieure de technologie de Charlottenburg, afin de s’initier au procédé de prise de vues trichromes que celui-ci vient de mettre au point.



Le procédé de la trichromie

Ce procédé découle directement du principe de séparation des couleurs constitutives de la lumière blanche, mis en évidence, en Angleterre, par James Clerk Maxwelle, en 1861. La méthode mise au point par Miethe consiste - pour un sujet donné - à réaliser successivement trois négatifs, à l’aide de trois filtres de couleur distincte. Puis, à partir de ces négatifs, à réaliser, par contact, trois positifs, eux-mêmes sur plaque de verre, dont la projection simultanée à l’aide d’un appareil spécifiquement conçu, permet, par interposition des trois mêmes filtres, la restitution de l’image définitive en couleurs. Le procédé est remarquable, mais la sensibilité de l’émulsion des plaques utilisées n’est pas égale dans tous les champs du spectre et les couleurs restituées sont aléatoires et peu fidèles. À son retour en Russie, Procoudine-Gorsky, décide de travailler à l’élaboration d’une émulsion offrant une photosensibilité égale à l’ensemble des rayonnements émis par les couleurs du spectre. En chimiste émérite, il y parvient, dès 1905 et s’impose dès lors, tant en Russie qu’en Europe, comme le spécialiste incontesté du procédé trichrome. C’est aux exceptionnelles propriétés photosensibles de ce mélange, que ses « vues optiques en couleurs », ainsi que Procoudine-Gorsky les appelait doivent leur incomparable rendu chromatique.

Les premières projections des « vues optiques en couleurs » 
En février 1905, Procoudine-Gorsky organise à Saint-Pétersbourg, une première présentation de soixante-dix de ces images à l’aide d’un appareil de projection spécialement fabriqué en Allemagne. D’autres séances suivent – en avril 1906 au VIe Congrès de chimie appliquée à Rome, en décembre 1907, à l’Institut de physique de Saint-Pétersbourg – suscitant l’enthousiasme et l’émerveillement. Le 30 mai 1908, Procoudine-Gorsky est invité à faire la démonstration de son travail, pour lequel il a obtenu une médaille d’or à l’Exposition internationale d’Anvers, deux ans plus tôt, devant les représentants du Conseil d’État et de la Douma. Le Grand-duc Alexandre Mikhaïlovitch, frère du tsar, assiste à cette présentation. Conquis, le Grand-duc persuade Nicolas II de recevoir le photographe.



Sa rencontre avec le Tsar


Le soir du 3 mai 1909, Procoudine-Gorsky est reçu au palais impérial, à Tsarkoïe Selo. Cette rencontre avec le tsar est décisive. Procoudine-Gorsky, à cette date, a déjà beaucoup voyagé et abondamment photographié. Il sait qu’il tient un moyen exceptionnel de fixer les splendeurs naturelles, patrimoniales et artistiques de cette ancienne Russie dont il mesure tant la richesse et souhaiterait s’engager dans ce recensement d’une manière systématique. Le tsar, grand amateur de photographie, subjugué par les images qu’il découvre, lui accorde instantanément son soutien. Des lettres de mission lui sont délivrées, un wagon spécialement aménagé en laboratoire, mis à sa disposition. Reçu par le ministre des Transports, Procoudine-Gorsky établit un programme de prise de vues de dix mille images sur dix ans, qui doit le conduire de la Baltique au Pacifique. La Première guerre mondiale et la Révolution de 1917 l’empêcheront de mener ce dessein à son terme. Le nombre des images engrangées n’en est pas moins considérable. Entre juillet 1909 et l’été 1916, date de sa dernière mission, avant son départ en exil, Procoudine-Gorsky réalise environ 3500 vues. Seules 1902 de ces images, sorties de Russie à une date qui reste aujourd’hui indéterminée et achetées par la Bibliothèque du Congrès à Washington en 1948, sont conservées.



Les missions de Procoudine-Gorsky dans les espaces du musée Zadkine


Procoudine-Gorsky connaissait l’existence des autochromes des frères Lumière ses contemporains qu’il rencontra à Lyon et dont il fit l’exposé des travaux, en octobre 1906, devant les membres de la Société impériale Russe de technologie. Mais il considérait que le procédé trichrome tel qu’il l’avait perfectionné était le seul permettant de restituer les couleurs avec une parfaite précision. Bien qu’elle n’en soit que le reflet indirect, la centaine d’images montrée dans cette exposition, en constitue l’éclatante démonstration.


Seuls les négatifs des vues réalisées par Procoudine-Gorsky, étant conservés, les images qu’il fixa de sa terre natale doivent, pour être montrées aujourd’hui, être nécessairement recomposées. Les positifs sur verre qui permettaient de les faire exister sous forme de projections ne sont pas conservés, pas davantage que l’appareil que Procoudine-Gorsky utilisait pour les montrer. Sans la décision de la Bibliothèque du Congrès en 2000, de scanner les négatifs de ces vues en couleurs devenues fantômes et de traiter les fichiers de leur conversion numérique par digichromatographie, celles‑ci auraient continuer de rester images mortes.


Restituer un peu de la magie qui s’attacha autrefois à leur apparition, l’émotion de ceux qui les découvrirent à Saint-Pétersbourg, à Moscou et ailleurs, il y a un siècle, telle est l’ambition de cette exposition évoquant les missions et voyages dans les différentes régions de l’Empire au cours desquelles Procoudine-Gorsky effectua leur collecte.


Réaliser des tirages papier de ces images éminemment contemporaines, serties dans leurs aplats warholiens de couleurs pures, aurait été contresens. Elles n’existèrent jamais sous cette forme. Un autre parti devait être pris. Dans le cadre de cette exposition commémorant le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Procoudine-Gorsky, celui de les présenter sur caissons lumineux pour restituer leur splendeur conservée à l’état virtuel, en dire l’irréalité, – en les faisant comme flotter dans l’espace – s’imposait le plus juste. C’est celui qui a été adopté.