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“Initiés” bassin du Congo
au Musée Dapper, Paris

du 9 octobre 2013 au 6 juillet 2014



www.dapper.com.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 8 octobre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  NKANU, République démocratique du Congo, Statue Bois et pigments. H. : 71,5 cm. Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, Inv. n° EO.0.0.200-6/5. Photo de Roger Asselberghs, MRAC Tervuren ©.
2/  ROMUALD HAZOUMÈ, Le Vaudou (Voodoo), 1992. Plastique, graines, plumes, céramique, métal et acrylique, H. : 48 cm. Courtesy CAAC, Collection Jean Pigozzi, Genève, Photo de Claude Postel. © Romuald Hazoumè – ADAGP, 2013.
3/  METOKO, Statue funéraire kakungu du bukota, République démocratique du Congo. Bois et pigments. H. : 92 cm. Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, Inv. n° EO.0.0.32672. Photo de Roger Asselberghs, MRAC Tervuren ©.

 


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Entretien avec Christiane Falgayrettes-Leveau, directeur du Musée Dapper,
propos recueillis par Pierre Normann Granier, au Musée Dapper, le 8 octobre 2013, durée 2'06". © FranceFineArt.

 


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Entretien avec Romuald Hazoumè,
propos recueillis par Pierre Normann Granier, au Musée Dapper, le 8 octobre 2013, durée 3'14". © FranceFineArt.

 


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Entretien avec Anne-Marie Bouttiaux,
conservateur en chef de la section d’ethnographie du Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren (Belgique),

propos recueillis par Pierre Normann Granier, au Musée Dapper, le 8 octobre 2013, durée 2'52". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition :

Christiane Falgayrettes-Leveau, directeur du Musée Dapper

Anne-Marie Bouttiaux, conservateur en chef de la section d’ethnographie du Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren (Belgique)


Cette nouvelle exposition du Musée Dapper réunit des œuvres faisant partie des pratiques initiatiques de l’immense région que constitue le bassin du Congo. La plupart proviennent donc de République démocratique du Congo et ont été prêtées par le Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren qui entame une longue période de rénovation. Cette transition nous permet de présenter au public beaucoup d’objets exceptionnels qui ne quittent presque jamais le giron de leurs salles en Belgique et certainement pas en si grand nombre. Des pièces majeures du Musée Dapper sont également proposées ainsi que quelques exemples d’autres collections publiques et privées européennes.

Les artefacts – masques, statuettes, parures, insignes de dignité… – s’inscrivent dans le contexte des rites de passage qui étaient organisés pour les garçons, mais aussi régulièrement pour les filles. Ils étaient mis en scène dans les enclos de réclusion ou dans les villages, au cours des cérémonies qui scandaient les étapes du processus initiatique. Propriétés collectives de groupes ou d’associations secrètes, ils appartenaient, parfois, aux initiés eux-mêmes et symbolisaient leur grade.


Aujourd’hui, en République démocratique du Congo, ces rituels ont pour la plupart disparu. Des festivités et des sorties de masques exploitées dans un but profane ou touristique subsistent encore ainsi que quelques manifestations à propos desquelles les informations sont rares. Depuis l’accession à l’indépendance, en 1960, le pays est en proie à d’incessants conflits qui ont peu à peu laminé la vie politique, religieuse et sociale ; sans compter l’époque coloniale qui a précédé, éminemment déstructurante pour les institutions locales et dont les séquelles n’ont pas cessé de se faire sentir depuis.


Le plus souvent ne sont considérées que les initiations qui forment les jeunes au statut d’adulte, mais il faut également compter celles qui concernent des connaissances plus approfondies, thérapeutiques, politiques, religieuses ou pour le moins ésotériques et qui sont organisées sur une base volontaire.
Dans le bassin du Congo, les initiations contribuant à la formation d’êtres matures étaient obligatoires et préparaient notamment à la vie maritale, tandis que les autres dépendaient du désir des individus de parfaire un savoir, de posséder un pouvoir et de développer une emprise sur ceux qui n’avaient pas suivi le même parcours. Les deux catégories mettaient en jeu un nombre important d’objets. Masques, statuettes, instruments de musique, insignes et parures, souvent réalisés avec soin, permettaient d’accomplir le passage d’un état à un autre ou de prouver que la transition s’était produite.


Non seulement indispensable dans la formation des adultes, le rite de passage était aussi considéré comme une mise à mort symbolique (de la personnalité antérieure), suivie de la renaissance d’un être nouveau, conforme aux besoins de la société. Opérer ce franchissement se faisait au prix d’épreuves, de privations et d’humiliations. Il n’était pas question d’accéder au statut enviable et respecté d’initié sans avoir souffert : les corps et les esprits étaient marqués à jamais. Là où elles étaient pratiquées, les diverses mutilations sexuelles inscrivaient, dans la chair des jeunes impétrants, l’indéfectible preuve du passage réussi. Qu’elles soient invalidantes, comme les excisions féminines (peu courantes dans le bassin du Congo), ou non, comme les circoncisions que l’on retrouve en de très nombreux endroits, ces opérations représentaient une marque d’intégration sociale nécessaire à la construction d’un foyer fécond.


Les initiations du second type que les individus adultes étaient en droit de choisir ne procédaient pas autrement : il fallait le plus souvent souffrir pour devenir un initié aux grades supérieurs des diverses associations secrètes présentes sur le territoire congolais.
La culture matérielle qui accompagne ces épisodes décisifs varie d’une population à l’autre et d’une initiation à l’autre au sein d’une société, mais il arrive également que les mêmes objets soient impliqués dans des rôles différents en fonction du contexte initiatique (transition vers le monde des adultes ou formation ésotérique supplémentaire). Par exemple, les sculptures des Metoko (RDC) semblent avoir officié à la fois dans les cérémonies de circoncision et dans les rituels, notamment funéraires, de l’association secrète du bukota.


Parmi les pièces les plus propices à s’intégrer dans des environnements multiples se trouvent les masques. En tant qu’esprits incarnés et vivants lorsqu’ils étaient portés, ils pouvaient constituer – pour les sociétés qui en faisaient usage – des acteurs essentiels dans les camps de réclusion des jeunes ou dans les formations complémentaires d’adultes.



Produire des adultes


Le rite de passage qui consiste à produire un adulte à partir d’un enfant ou d’un adolescent, non encore pleinement assimilé à un groupe, relève des initiations les plus connues.
Dans le sud-ouest de la République démocratique du Congo ainsi qu’en Angola et en Zambie, « mukanda » est le nom générique d’une importante institution partagée par plusieurs peuples qui suivaient un processus commun pour introduire leurs adolescents mâles à la vie conjugale. Les camps de retranchement et la circoncision y furent longtemps organisés suivant les mêmes préceptes, mais aujourd’hui, comme mentionné plus haut, les manifestations ont à peu près déserté le territoire de la RDC alors qu’elles sont encore présentes ailleurs.
Le tambourinaire nkanu appartenait à un ensemble de sculptures et de panneaux figuratifs qui ornaient l’enclos initiatique. Il évoque l’opération que devaient subir les novices, car il représente le percussionniste qui les encourageait au moment de l’ablation du prépuce et qui, accessoirement, couvrait aussi leurs cris. Les masques en bois des Pende et leurs équivalents miniatures en ivoire, portés comme pendentifs, étaient, quant à eux, des acteurs et des accessoires essentiels en relation avec la mukanda telle que pratiquée par cette population.


Au nord de la République démocratique du Congo, près du fleuve Ubangi, chez les Ngbaka, garçons et filles étaient obligés de subir les cérémonies de la gaza. C’est l’une des rares régions congolaises où la clitoridectomie est pratiquée, mais, actuellement, cette mutilation a fortement tendance à disparaître alors que la circoncision se déroule le plus souvent dans les dispensaires et les hôpitaux locaux. Les périodes de réclusion, quant à elles, avaient déjà été réduites au maximum pour se conformer au système scolaire introduit lors de la colonisation et calqué sur le modèle occidental. En tant que novices, les garçons portaient des parures spécifiques en relation avec leur état transitoire et avec le fait qu’ils étaient tenus de garder les secrets qui leur avaient été enseignés : le disque du silence qu’ils devaient conserver devant la bouche et le bracelet en bois en témoignent parfaitement.


Compléter la formation des initiés


Beaucoup de sociétés ont prévu pour leurs initiés des formations complémentaires destinées à parfaire leurs connaissances et à les rendre utiles sur les plans religieux, politique, économique ou thérapeutique.
Certaines populations, comme les Lega ou les Salampasu, ont multiplié les difficultés et les grades pour monter dans la hiérarchie d’associations fermées jusqu’à obtenir une élite de sages, d’individus théoriquement supérieurs grâce à leurs savoirs et leurs compétences.


Leur parcours était validé par des objets – des statuettes, par exemple – qu’ils acquéraient puis portaient ou dont ils se paraient au nom de leur collectivité d’initiés. Nombre d’œuvres furent associées au statut politique comme les statues nkishi des Songye ou celles des Luluwa utilisées lors de cultes visant à raffermir la force vitale et l’autorité d’un chef. Les investitures de ceux habilités à exercer le pouvoir étaient, quant à elles, souvent organisées comme des épreuves initiatiques censées séparer les élus du commun des mortels, par le biais d’épreuves ou de ruptures d’interdits fondamentaux, comme l’inceste.


Lorsqu’une population empruntait une société secrète à un autre peuple, il était possible d’observer des glissements de fonction. Ainsi le kifwebe des Songye (RDC), associé aux manipulations parfois maléfiques du pouvoir politique, s’était-il vu conférer, chez les Luba voisins, un rôle de purification et de dépistage des agents du mal. Au coeur du kifwebe, la sorcellerie subsiste, mais d’un côté pour en abuser, comme fin justifiant les moyens (chez les Songye), et de l’autre comme connaissance ultime afin d’être éradiquée (chez les Luba). En effet, la plupart des populations considérées ne suivent pas la logique binaire du bien et du mal qui s’opposent. Mais elles adoptent le principe selon lequel il faut maîtriser les pouvoirs surnaturels avant de les utiliser à bon ou à mauvais escient.


Les masques de Romuald Hazoumè


La partie contemporaine de l’exposition est dévolue à l’artiste béninois Romuald Hazoumè à travers une série de ses célèbres créations : visages composés de plastique, de fils électriques et de rebuts divers.
Les populations qui créaient et utilisaient des masques occupant diverses fonctions au sein des initiations les chargeaient de l’énergie d’un corps humain pour les animer. Fantasmés par l’Occident et presque emblématiques d’une Afrique « authentique » et « traditionnelle » (avec ce que ces deux termes contiennent d’ambigu et de pervers), ils se voient transformés par l’artiste en métaphores visuelles interpellant la société de consommation et son gaspillage insensé. Les bidons, dont ils sont essentiellement composés, évoquent le continent africain transformé en poubelle et rappellent malicieusement, qu’en art, un objet bidon est un faux notoire.


Pour Romuald Hazoumè, les masques ne constituent cependant pas seulement un instrument de critique, ils représentent aussi des personnalités proches de l’artiste et qui l’ont bouleversé, ils évoquent la débrouillardise qui permet aux familles de survivre, ils parlent au nom des Béninois et surtout ils sont des créations plastiques conçues avec brio.


Romuald Hazoumè est yoruba, mais son éducation fut syncrétique, mâtinée de religion chrétienne et de vaudou. Initié au système de divination du fa, il n’est certes pas insensible à la thématique que nous développons dans l’exposition et qui justifie sa participation au projet.