contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Decorum” Tapis et tapisseries d’artistes
au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

du 11 octobre 2013 au 9 février 2014



www.mam.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 10 octobre 2013.

1115_Decorum1115_Decorum1115_Decorum

Légendes de gauche à droite :
1/  Anna Betbeze, Hoarfrost/i>, 2011. Cendres et laine, 284,48x203,2 cm. Coll. of Kate Werble. Photo: Elisabeth Bernstein.
2/  Pae White, Berlin B, 2012. Tapisserie coton, polyester et toile trevira, 290x440 cm. Courtesy Neugerriemschneider, Berlin .Photo : Jens Ziehe, Berlin.
3/  Caroline Achaintre, Moustache-Eagle, 2008. Tapis en laine tufté main, 235x150 cm.Saatchi Gallery, Londres © Caroline Achaintre.

 


1115_Decorum audio
Interview de Anne Dressen, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 10 octobre 2013, durée 12'23". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Directeur du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Fabrice Hergott

Commissariat de l’exposition
Anne Dressen assistée de Manon Gingold et Elsa Delage

Marc Camille Chaimowicz, directeur artistique invité


Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris met l’art textile en lumière avec l'exposition Decorum qui présente plus d’une centaine de tapis et de tapisseries signés par des artistes modernes (Fernand Léger, Pablo Picasso) et contemporains (Dewar & Gicquel, Vidya Gastaldon).

Decorum permet de découvrir les oeuvres tissées, souvent insoupçonnées, d’artistes majeurs et le travail d’artistes injustement méconnus (Guidette Carbonell). Des pièces anonymes de différentes époques et régions sont également exposées afin de déceler des influences et d’engager des confrontations.

Objets à la fois visuels et tactiles, esthétiques et fonctionnels, facilement transportables (Le Corbusier qualifiait ses tapisseries de « Muralnomad »), tapis et tapisseries transcendent les habituelles frontières des arts décoratifs et du design.

Jusqu’à la fin du XIXème siècle, les peintres se limitaient au dessin du carton destiné à être tissé ou à la représentation de tapis orientaux dans leurs tableaux (Lotto, Holbein, Delacroix). Au cours du XXème siècle, les avant-gardes artistiques européennes révolutionnent l’esthétique et la technique de l’art textile. Les artistes tissent eux-mêmes leurs tapis en faisant référence à des pièces anciennes ou en utilisant des motifs ethniques et géométriques.

Souvent porteurs d’un message politique ou féministe à partir des années 1960, tapis et tapisseries suscitent un regain d’intérêt sensible depuis les années 2000. De jeunes artistes contemporains comme Caroline Achaintre ou Pae White produisent des pièces tissées originales qui intègrent tradition, modernité ou influences extra-occidentales et expérimentent de nouvelles techniques, comme le tissage numérique.

L’exposition va ainsi à l’encontre des idées reçues présentant la tapisserie comme un art mineur ou anachronique. Elle permet par ailleurs de renouer avec une histoire peu connue du musée qui possédait un département Art et Création Textile dans les années 1980.

L’artiste londonien Marc Camille Chaimowicz, directeur artistique invité, a conçu la scénographie inédite de l’exposition en collaboration avec l’architecte Christine Ilex-Beinemeier. Jean-Philippe Antoine, professeur d’esthétique, propose une programmation de « musique d’ameublement », diffusée en fond sonore dans l’exposition.



Extraits du catalogue Anne Dressen, commissaire de l’exposition

L’art au tapis

Edgar A. Poe affirme dans The Philosophy of Furniture (1840) : « Le tapis, c’est l’âme de l’appartement. C’est du tapis que doivent être déduites non seulement les couleurs, mais aussi les formes de tous les objets qui reposent dessus. » Il renverse pour ainsi dire les habitudes qui font du tapis un élément secondaire, accessoire. On pourrait surenchérir et se demander si ce n’est pas même tout l’art du XXe siècle qui dérive du tapis, tant les artistes sont nombreux à s’y être intéressés. Ils en ont collectionné, tissé eux-mêmes, confié la réalisation, ou encore détourné en ready-made – que ce soit l’Arts and Crafts, le Bauhaus, l’Art déco, Lurçat et les peintres cartonniers des années 1940, la Nouvelle Tapisserie en 3D des années 1960, ou encore le mouvement Néo-Craft contemporain –, autant d’oeuvres insoupçonnées d’artistes très identifiés que de pièces majeures d’artistes encore trop méconnus.

Dans les années 1970, l’artiste Claude Rutault mettait en place une de ses « Définitions/méthodes », invitant le collectionneur à peindre sa toile vendue vierge de la couleur du mur qui allait l’accueillir. Le rapport au décoratif, même au sein de l’art dit « conceptuel », est bien plus complexe qu’on l’admet souvent. L’artisanat, le design et le décoratif représentent en effet les impensés, les refoulés de l’histoire de l’art, que ce soit par facilité ou du fait de quiproquos tenaces qu’il faut encore élucider.
Les tapis et les tapisseries semblent constituer une sorte d’hétérotopie pour les artistes, par leur côté fonctionnel et décoratif, garantissant l’utopie d’ancrer l’art dans la vie, de diffuser un style en le démocratisant. Du fait de sa technique, aussi, la tapisserie est à la fois plus et moins qu’une peinture, moins précieuse, puisque potentiellement multiple (Gérard Genette parle d’art « autographe multiple»), souvent déléguée à un tiers, engageant par là même une dimension de fait plus conceptuelle. Les artistes ont aussi pu être attirés par les présupposés dévaluant la tapisserie et les tapis au rang d’art mineur : anachronique, féminin, industrieux, ou encore oriental ou primitif. Ils ont été séduits par la souplesse de ces médiums, leur habilité à résoudre les contradictions, entre l’original et la copie, le conceptuel et le matériel, le fait-main et le machinique, le pictural et le sculptural, etc. Ils n’ont de fait pas hésité à transgresser ces médiums, à troubler les catégories pourtant bien ancrées, les émancipant vers l’installation, voire le décor. Productions ambiguës par excellence, c’est peut-être finalement l’irrésolution d’une forme oscillant entre le traditionnel et le radical qui les rend si fascinantes.

Ainsi, tapis et tapisseries apparaissent comme une parfaite troisième voie, entre les arts dits « majeurs » et « mineurs », ayant des implications autant dans le champ esthétique que social (voir les questions sous-jacentes de classes, ou de genres) ou encore économique (du fait de leur potentiel commercial).

[…]

Partis pris obliques

L’exposition « Decorum », détournant à dessein un terme pompeux et désuet, est organisée selon un parcours thématique plus que chronologique, où des oeuvres signées par des artistes modernes et contemporains côtoient des pièces anonymes, souvent plus anciennes et extra-occidentales, dont la juxtaposition brouille volontairement les pistes. Empruntant des notions clés de l’histoire de l’art, telles que « le pictural », « le décoratif », « le sculptural », mais aussi « orientalismes » et « primitivismes », les chapitres de l’exposition incitent à chaque fois à redéfinir ce que l’on croit acquis. Ainsi, l’orientalisme et le primitivisme, s’ils sont intrinsèquement liés à l’histoire de l’art du XIXe siècle et du début du XXe, s’abordent différemment dans ce contexte. Les sections de l’exposition permettent de souligner in fine ou a contrario certaines spécificités de l’histoire de l’art tissé. En outre, il semblait important de confronter dans l’exposition des oeuvres entretenant des rapports variés à la technicité et au savoir-faire (quitte à déplaire aux tenants de la grande tradition) et de mélanger productions d’artistes hand made (sur métier, en création directe ou tuftées à la main), réalisations déléguées à des manufactures (via des cartons peints ou des photographies agrandies), tissages mécaniques (parfois générés par ordinateur), installations ready-made (détournant des tapis existants), etc., des oeuvres renvoyant, selon les cas, à des pratiques amateurs, ponctuelles ou régulières, et ayant des statuts différents : créations originales, pièces uniques, éditions multiples ou illimitées, du vivant de l’artiste ou posthume, etc. Enfin, il est apparu évident que l’exposition devait s’envisager comme un travail collectif et transversal (à l’instar de la collaboration entre le peintre, le licier, le teinturier, le commanditaire). Ainsi, Marc-Camille Chaimowicz, un artiste qui a toujours revendiqué la part décorative de son approche conceptuelle, est le directeur artistique d’une scénographie qui, en complicité avec l’architecte Christine Ilex Beinemeier, entend habiter l’exposition – avec des accessoires fonctionnant comme des amorces de fictions et renvoyant à la valeur d’usage première de ces oeuvres. De même, le programme de « musique d’ameublement », conçu par Jean-Philippe Antoine, a pour vocation de meubler l’exposition, et de faire ressortir, en creux et en relief, les tapis et les tapisseries. Aborder l’histoire de l’art de biais et de travers permet non seulement de la penser autrement mais aussi de mieux comprendre le contemporain. Militons, plus que jamais, en faveur d’une matérialité spéculative.