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“Kanak” L’art est une parole
au musée du quai Branly, Paris

du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014



www.quaibranly.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le lundi 14 octobre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  « Le pilou-pilou new-dance pour piano », illustration de Charles Clérice (1865-1912), 1907. Partition, édition A. Bosc, 35 × 26cm. © DR, Collection particulière
2/  Sculpture anthropomorphe, début 19e siècle, Nouvelle-Calédonie. Bois enduit, 29,5 x 8,7 x 6,74cm ; 542 g. Usage de l'objet : De rares témoignages laissent supposer que ce type de statuettes servait de support à des magies. En dehors de cette sollicitation, la statuette était soigneusement enveloppée pour conserver son pouvoir. © musée du quai Branly, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado.
3/  Carte postale ancienne, Nouvelle-Calédonie - Houaïlou : Le Chef Mindia et ses lieutenants. Agence de développement de la culture kanak, Centre Tjibaou, Nouméa, Nouvelle-Calédonie. © ADCKT-CCT.

 

extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition

Emmanuel Kasarhérou, Conservateur en chef du patrimoine, chargé de mission à l’Outre-mer au musée du quai Branly, ancien directeur de l’Agence du Développement de la Culture Kanak et du Centre Culturel Tjibaou en Nouvelle-Calédonie

Roger Boulay, ethnologue, spécialiste de la culture océanienne



Cette exposition, la plus importante réalisée sur la culture kanak, rassemble plus de 300 oeuvres et documents exceptionnels issus de collections publiques d’Europe (Autriche, Suisse, France, Allemagne et Italie) et de Nouvelle-Calédonie. Elle dévoile de nombreuses pièces inédites et spectaculaires parmi les grandes œuvres classiques du monde de l’art kanak : chambranles sculptés des Grandes maisons, haches ostensoirs de jade, sculptures faitières, statuettes et ornements d’une large diversité.

22 ans après De jade et de nacre consacrée au patrimoine kanak et présentée à Nouméa puis à Paris sous le commissariat de Roger Boulay, le musée du quai Branly propose une exposition fondée sur des informations et des corpus d’objets inédits. Elle s’appuie sur les nouvelles données muséographiques (inventaire complet des objets des collections publiques mondiales, repérés durant 30 ans de recherches par Roger Boulay), vernaculaires (collecte du patrimoine kanak immatériel menée depuis 10 ans) et issues de la recherche anthropologique et historique.


L’inventaire raisonné du patrimoine kanak dispersé, réalisé par les 2 commissaires a permis de découvrir des objets inédits de premier plan, parfois oubliés dans les réserves de musées et qui seront présentés pour la première fois au public.

L’exposition - qui sera présentée au Centre Culturel Tjibaou à Nouméa en 2014 - ouvre alors que la Nouvelle-Calédonie se trouve politiquement à la croisée des chemins.

L’autodétermination prévue par l’Accord de Nouméa doit avoir lieu entre 2014 et 2018, et renvoie la société kanak contemporaine à un « destin commun » à bâtir, tout en préservant et en réinventant son identité.


L’exposition

Dans le monde kanak, riche d’un patrimoine immatériel ancestral (discours, épopées, légendes, chants, danses…), la culture est avant tout parole. La parole ordonne les sensations et concepts, qui se combinent et se régénèrent par le jeu dynamique des sons et des sens pour offrir une compréhension du monde toujours mouvante. Les commissaires ont ainsi tenu à manifester l’importance de la parole, car c’est par la langue que s’exprime et se transmet une vision du monde. Aussi, les titres des sections de l’exposition sont des mots ou des figures du discours empruntés à la langue ajië, l’une des 28 langues kanak encore parlée aujourd’hui.

Le parcours de l’exposition, ponctué de nombreux multimédias, est ensuite structuré par la confrontation des « visages et reflets », némèè ma koomèè, qui constituent les deux faces d’une même réalité.
Le public est invité à pénétrer dans l’exposition en circulant parmi les appliques qui ornaient autrefois la porte des Grandes maisons, et en entendant le son de la flûte, interprétation du chant du monde préalable à toute parole.

Némèè, « le visage », renvoie à notre image et à l’image que nous nous donnons : il exprime ici la manière kanak de se penser.
Dans l’exposition, 5 visages présentent 5 des principes fondamentaux qui forgent la conception du monde kanak et guident leur action :

Le Verbe et la Parole Nô

L’importance de la parole se manifeste à travers la personne du chef (dit aussi « le grand aîné »). Elle s’exprime dans ce que l’on convient d’appeler la Coutume.

La maison et le pays Mwâ ma mwâciri

Le pays kanak traditionnel s’organisait autour de 3 réalités visibles dans le paysage : les lieux d’origine, les Grandes Cases installées en haut d’une allée paysagée, les autels aux esprits et les traces des maisons d’origine.

Le taro et l’igname, l’importance du lien au végétal Mwa ma mëu

Le cycle immuable de la culture de l’igname, nourriture fondamentale, est un des symboles les plus importants de la vie kanak.

Les ancêtres et les « esprits », l’importance du lien aux ancêtres Bèmu ma rhee

Le religieux et le sacré s’expriment et se concentrent autour de la figure ancestrale.

La personne et ses liens Kamö ma vibéé

La personne est fortement vécue dans le monde kanak, mais jamais l’importance des liens sociaux qui la font vivre n’est oubliée. Ces liens sont rappelés à chaque grande occasion de la vie.

Koomèè, « le reflet », est ce qui apparaît à celui qui n’est pas nous : il rassemble dans l’exposition les objets et documents qui témoignent de l’évolution de la perception des Kanak par l’Occident, et par la France en particulier. Chaque visage kanak fait face à son reflet : regard des Lumières, description scientifique, propagande coloniale, réappropriation de notre image et permanence de la parole. Alors que les visages sont situés hors du temps pour exprimer la continuité de la culture kanak, les reflets se succèdent chronologiquement, illustrant l’évolution de la perception selon les vicissitudes de l’Histoire.

A la fin du parcours, visages et reflets se rencontrent pour se fondre dans le temps présent, autour de la figure emblématique de Jean-Marie Tjibaou, la plus grande figure politique de Nouvelle-Calédonie.



Visages et reflets, avant-propos d’Emmanuel Kasarhérou

Comme les deux faces d’une même réalité, némèè ma koomèè, “le visage” et “le reflet”, constituent la dualité qui structure l’exposition.

Némèè, le visage, renvoie à l’image que l’on a de soi. C’est aussi l’image que l’on se donne. Les visages sont ici la manière kanak de se penser. Aussi les titres des parties de l’exposition que nous appelons « Visages » sont-ils des mots ou des figures du discours empruntés aux langues kanak. Notre intention n’est pas ici de distribuer concepts et objets en un exercice de classification scientifique, mais tout au contraire de nous laisser guider par les classements de la langue elle-même. Car c’est par la langue que s’exprime et se transmet une vision du monde. Elle ordonne les sensations et les concepts, qui se combinent et se régénèrent par le jeu dynamique des sons et des sens pour offrir au locuteur une compréhension jamais figée du monde. Le jeu intellectuel de composition et de décomposition des mots de la langue est dans le contexte kanak particulièrement riche.

Les langues, en ramenant souvent les idées fondamentales à des monosyllabes, offrent un superbe objet de ce jeu intellectuel auquel tous peuvent participer. Remonter à la source ou à l’essence de la langue se dit rechercher “l’os ou l’ossature de la langue”, juu mêrêa’. La langue de tous les jours s’exprime par l’image de la peau ou de l’écorce, kârâ-mêrêa’. C’est l’enveloppement superficiel vivant mais contigu à sa structure interne qui ne peut jamais totalement se dévoiler. Est-ce un hasard si la notion de “Parole” est si centrale dans cette culture ? Ici la culture est avant tout “Parole”. Koomèè est ce reflet du visage tel qu’il apparaît à celui qui n’est pas soi. Nous avons rassemblé ici les objets et les documents qui témoignent de l’évolution de la perception des Kanak par l’Occident et la France en particulier.

Alors que les Visages sont situés hors du temps pour exprimer la continuité de la culture kanak, les Reflets se succèdent chronologiquement, illustrant une évolution de la perception, les deux finissant par se rencontrer pour se fondre dans le temps présent. La belle complexité de la culture kanak, que nous exprimons ici au singulier par souci de compréhension, buissonne en réalité en de multiples ramifications, chacune toujours singulière. Impossible d’en rendre compte, sinon en utilisant l’un des rameaux comme guide. C’est ce que nous avons choisi ici de faire en utilisant, dans les textes d’introduction aux Visages, les mots et les concepts de la langue ajië, une des vingt-huit langues kanak parlées en Nouvelle-Calédonie aujourd’hui. Que les locuteurs des autres langues n’en prennent pas ombrage et ne me tiennent pas rigueur de ce choix, dicté simplement par le fait que c’est celle que j’ai reçue en héritage avec mon nom.

Ancrés dans un terroir spécifique, celui de la “vallée longue” de la Houaïlou, ces textes introductifs, au ton plus personnel, n’ont d’autre ambition que d’offrir au visiteur un accès plus sensible à la culture kanak, et ainsi de tenter de partager avec lui un peu de son “ossature” et de s’approcher de la structure parfois complexe et toujours mouvante de la culture mélanésienne.