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“Natacha Nisic” écho
au Jeu de Paume, Paris

du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014



www.jeudepaume.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 14 octobre 2013.

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Natacha Nisic, f, 2013. Projection vidéo HD, couleur, son, 17 min 37 s. Courtesy Galerie Florent Tosin, Berlin. © Natacha Nisic 2013 .

 


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Interview de Natacha Nisic,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 14 octobre 2013, durée 3'22". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition
 : l’artiste et Marta Gili


A propos de l’exposition par Marta Gili, directrice du Jeu de Paume

(Extrait de l’avant-propos de Marta Gili, in catalogue de l’exposition Natacha Nisic. Écho, coédition Jeu de Paume / Actes Sud.)

Quelle est la relation entre un geste et un paysage ? Ou entre un paysage et une voix ? Entre plusieurs voix et un seul corps ? Existe-t-il un lien entre la Bavière et la Corée, entre l’indice Nikkei et les esprits, entre une catastrophe naturelle et des dommages collatéraux ? Toutes ces questions, en apparence décousues, trouvent un « écho » dans le travail de Natacha Nisic à travers des récits sinueux, qui changent sans cesse de direction et dont les multiples facettes se trouvent réunies dans cette exposition.
Son travail participe de l’intérêt croissant que certaines pratiques artistiques contemporaines portent à l’analyse de la tension entre le pouvoir de fait et le pouvoir diffus, entre le visible et l’invisible.
Dans son cas particulier, l’oeuvre de Nisic explore d’une part les paradoxes de la croyance, de la peur de l’inconnu ou de la réversibilité / irréversibilité de la perception. D’autre part, elle oscille de manière subtile et critique entre l’analyse des effets du colonialisme et les tentations de l’orientalisme. Sa découverte du Japon en 1999 fut décisive dans sa carrière.
Depuis son premier Catalogue de gestes jusqu’à ses derniers travaux tels qu’Indice Nikkei, e, et surtout, f et Andrea en conversation, produits spécifiquement pour l’exposition, les images de Nisic appellent une infinité d’associations symboliques, perceptives et sensorielles, que le spectateur observe nécessairement de manière kaléidoscopique, à la lumière du passé et du présent.



L’exposition

Dans l’oeuvre de Natacha Nisic (née à Grenoble en 1967) s’exerce une recherche constante du rapport invisible, voire magique, entre les images, les mots, l’interprétation, le symbole et le rituel. Son travail tisse des liens entre des histoires, récits du passé et du présent, pour révéler la complexité des rapports entre le montré et le caché, le dit et le non-dit. Lauréate de la Villa Kujoyama en 2001 et de la Villa Médicis en 2007, Natacha Nisic met en jeu la question de l’image à travers différents médiums : super-8, 16 mm, vidéo, photographie et dessin. Ces images fixes ou en mouvement fonctionnent comme substrat de la mémoire, mémoire tendue entre sa valeur de preuve et sa perte, et sont autant de prises de position sur le statut des images et les possibles de la représentation.

Poursuivant sa réflexion sur le processus de l’image, le visible et l’invisible, le document et la narration, Natacha Nisic présente plusieurs installations réalisées depuis 1995, dont Andrea en conversation et f, deux nouvelles créations produites spécifiquement pour l’exposition.

Invitant le spectateur à une relecture du monde sensible par la mise en résonance de récits intimes, historiques ou mythologiques, le parcours de l’exposition débute avec Catalogue de gestes. Commencé en 1995, ce vaste projet oscille entre cinéma et arts plastiques. Des gestes, des mains uniquement, sont filmés avec une caméra super-8. Les séquences, montées en boucle, montrent en répétition le déroulement d’un seul et même geste comme autant de « figures muettes ».

[…] se coiffer, feuilleter un livre, se nettoyer les ongles, éplucher un marron, claquer des mains, creuser un trou, arracher les feuilles d’un laurier… Ce sont des gestes de femmes, d’hommes, d’enfants ou de personnes âgées. Pour chacun, il s’agit d’observer une façon d’être, une articulation particulière des gestes et du langage, des gestes et du travail, des gestes et de la pratique du quotidien. Chacun est filmé de façon rigoureuse sur les lieux de son activité. L’ensemble de ces images constitue une banque de données qui ne constitue pas un objet fini, mais un ensemble ouvert. Natacha Nisic, 2012

Dans Indice Nikkei (2003-2013), installation sonore réalisée en 2003 et remise en espace dans les salles du Jeu de Paume, deux chambres insonorisées se font écho. Cette nouvelle pièce est réalisée en collaboration avec la créatrice interprète Donatienne Michel-Dansac, qui invente en une écriture vocale singulière les courbes des indices boursiers des monnaies et entreprises affectées par les dernières crises. Dans ces deux salles rigoureusement identiques, baignées dans une atmosphère colorée saturée, se joue une partition sonore d’une étonnante fragilité.

Installation vidéo à neuf écrans, Andrea en conversation (2013) présente deux personnages formant un couple impossible : Andrea Kalff, jeune Bavaroise devenue chamane en 2007, et Norbert Weber, missionnaire bénédictin de Bavière, auteur des premières images cinématographiques de la Corée (Im Lande der Morgenstille, 1925). À un siècle de distance, leur rencontre commune avec ce pays lointain se traduit pour l’un et l’autre par une révolution intérieure profonde. Fasciné par la singularité culturelle des Coréens, Norbert Weber travaille à leur conversion alors que la jeune femme, moderne, d’éducation catholique, entretient avec la Corée une conversation inverse. Initiée par Kim Keum-hwa, la grande chamane coréenne, Andrea est chargée de faire perdurer ce « trésor national », cette ultime poche de résistance culturelle via sa propre conversion. L’installation met en dialogue leurs deux parcours singuliers et opère ainsi un décentrement de notre regard. Sur les traces de l’expansionnisme colonial européen et de l’évangélisme chrétien, la désignation et la conversion d’une Allemande au chamanisme coréen semble être un renversement sidérant. Tournée en Bavière, cette oeuvre présente une vision fragmentée de la Corée contemporaine où les héritages d’époques différentes se côtoient, de la tradition chamanique aux séquelles de la guerre froide :

Si le monde vacille et résonne, alors nous sommes au coeur de cet écho. Il faut en accepter la fragilité et se saisir du doute comme la chance d’une perception accrue et affinée. Natacha Nisic, 2012

Dans e (2009), qui signifie image en japonais, l’artiste livre le récit d’un voyage dans le Nord du Japon, près de Fukushima, à la recherche d’un territoire inaccessible meurtri par le tremblement de terre de juin 2008. Aux images du tremblement de terre, Natacha Nisic substitue celles de son retentissement sur les lieux et ses habitants. Ce récit se présente sous la forme d’une installation de trois projections fonctionnant alternativement comme une partition sonore. Pour l’exposition, l’artiste réalise une réponse à cette oeuvre, intitulée f, comme Fukushima (2013) :

Entre le temps du premier événement de 2008 et la double catastrophe du tsunami et du nucléaire, les possibilités du regard et de la représentation ont profondément changé ; f en est une expression de la limite. Natacha Nisic, 2012

Deux ans après la catastrophe, l’artiste se rend à Fukushima et pose son regard sur les paysages, les villages et les êtres qui ont subi les ravages du tsunami et l’irradiation de la centrale. Grâce à un dispositif composé d’un travelling de 25 mètres et de miroirs verticaux de 30 centimètres de large installés à différents intervalles, l’artiste permet au regard d’englober dans le même temps le champ et le contrechamp, l’avant et l’après. Lorsque la caméra passe devant un miroir, une image mobile du contrechamp se déplace en un travelling horizontal de sens inverse dans la largeur du miroir. Il constitue, sans trucage, le jeu d’une image dans une autre, d’un mouvement dans un autre, d’un paysage et de son vis-à-vis. Le dispositif permet de conjuguer le temps des déplacements et des espaces en un seul regard.

Filmer à Fukushima n’est pas une tentative de réflexion sur le sublime car le nucléaire ne laisse pas de traces visibles, il ronge définitivement l’homme dans son intégrité physique et morale ainsi que les institutions. On parle de l’impossible démocratie du nucléaire : lorsque la catastrophe advient, toutes les décisions doivent être prises de manière arbitraire, sans concertation, sans opposition. La menace est totalitaire. Invisible. Face à ce point d’achoppement, je propose un simple geste de résistance du regard. Natacha Nisic, 2012