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“Allegro Barbaro” Béla Bartók et la modernité hongroise 1905-1920
au Musée d'Orsay, Paris

du 15 octobre 2013 au 5 janvier 2014



www.musee-orsay.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 14 octobre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Anonyme, Béla Bartók chez lui avec des tentures au mur, 1915. Photographie, 13,8 x 9 cm. Budapest, Archives Bartók, Institut de musicologie, Centre de recherche en sciences humaines de l’Académie des sciences de Hongrie, Fonds Ditta Pásztory. © Archives Bartók, Institut de musicologie, Centre de recherche en sciences humaines de l’Académie des sciences de Hongrie. © Droits réservés.
2/  János Mattis Teutsch (1884-1960), Paysage, vers 1917. Huile sur carton, 50 x 50 cm. Budapest, Szépmővészeti Múzeum – Galerie nationale hongroise. © Galerie nationale hongroise, Budapest. © Droits réservés.
3/  Róbert Berény (1887-1953), Nu féminin couché, vers 1907. Huile sur toile, 33,5 x 44 cm . Budapest, Szépmővészeti Múzeum – Galerie nationale hongroise. © Musée des Beaux-Arts – Galerie nationale hongroise, Budapest 2013. © Róbert Berény.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.

 

« Allegro barbaro », c’est d’abord le titre d’une pièce du célèbre compositeur hongrois, Béla Bartók, écrite en 1911. C’est aussi le point de départ de cette exposition qui retrace quinze ans d’un renouveau artistique révolutionnaire dans la Hongrie du début du XXe siècle.

Élan vers la modernité
Autour de la figure du compositeur, l’exposition présente un large éventail d’artistes et d’œuvres demeurés dans l’ombre de leurs modèles ouest-européens. Elle révèle ainsi l’importance d’un mouvement qui, à l’instar du romantisme, a marqué tous les domaines de l’art et en particulier celui de la peinture. Un dialogue constant s’effectue entre les toiles des représentants les plus emblématiques de cette période (Ödön Márffy, Dezsö Czigány ou encore József Rippl-Rónai) et la musique percussive et parfois dissonante de Bartók. Tantôt bercés, tantôt violemment secoués par un fond sonore omniprésent, l’on découvre aussi bien une série d’autoportraits que des nus, des paysages et des natures mortes, mais aussi des scènes d’une vie parisienne colorée et animée, autant de sujets et de thèmes qui font entrer l’art hongrois dans la modernité. Cette même modernité que l’on perçoit dans l’usage décomplexé des couleurs. Vives, très souvent en contraste, celles-ci illuminent les toiles autant qu’elles perturbent les perceptions et les repères visuels, surtout lorsqu’elles sont étalées à coups de pinceaux clairement visibles. Les Soldats français en marche de József Rippl-Rónai (1914), uniquement constitués de rapides traits de tons différents et sans contour, se fondent ainsi les uns dans les autres dans une masse de couleurs abstraite.

Sous influence
Cet emploi de teintes acides et tranchées s’explique par la puissante influence des impressionnistes, d’abord, puis des fauvistes. Les paysages urbains se dessinent grâce à des effets de luminosité que n’auraient pas reniés le groupe de Monet, comme cette Rue à Paris de Béla Czóbel (1905) où se détache la silhouette d’un homme plongé en pleine lecture, seule tache sombre dans un boulevard inondé de lumière. Mais, de tous, ce sont bien Gauguin et Matisse des jeunes années qui semblent avoir le plus marqué cette génération d’artistes hongrois. Les visages et les corps se font anguleux et s’inscrivent dans un décor très souvent chargé d’éléments aux couleurs soutenues. Émergent pourtant des singularités, des spécificités qui prennent leurs racines dans un vaste ensemble de traditions folkloriques. Quand Bartók nourrit sa musique de chants traditionnels où se mélangent des voix d’hommes aux graves intonations, les peintres choisissent de représenter les rituels encore profondément ancrés dans la vie campagnarde ou d’utiliser des motifs picturaux propres à la culture hongroise. Le Coussin Ady d’Anna Lesznai (1912), magnifique broderie, déploie ainsi un bouquet exubérant qui se noie dans un fond lui aussi empli de fleurs. Et bientôt, d’épais traits noirs viennent délimiter les formes, comme pour retenir ce débordement de couleurs. Et si celles-ci se font parfois trop présentes, au point parfois de fatiguer l’œil, elles n’empêchent pas certains instants de grâce, tel ce paysage serein d’Émile Othon Friesz (Automne à Honfleur, 1906) empreint d’une poésie mélancolique où le rouge et l’orange des feuilles se mêlent au bleu paisible du ciel.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : 
Claire Bernardi, conservateur au musée d'Orsay
Gergely Barki, historien de l’art à l’institut d’histoire de l’art, centre de recherches en sciences humaines de l’académie des sciences de Hongrie
Zoltán Rockenbauer, historien de l'art indépendant


Dans la lignée des manifestations que le musée d’Orsay a consacrées aux grands noms de la musique (Mahler, Debussy et les arts), cette exposition, intitulée Allegro Barbaro en hommage à la composition éponyme réalisée par le jeune Bartók en 1911, a pour ambition de faire revivre, cent ans plus tard, la richesse du dialogue entre les arts dans la Hongrie du début du siècle. Transdisciplinaire, elle propose au spectateur, en convoquant la musique de Béla Bartók au sein même des espaces d'exposition, un parcours historique sensible parmi ces oeuvres « allègrement barbares » en lesquelles s'exprime la liberté conquise par une nouvelle génération d'artistes.

Ödön Márffy, l'un des peintres du groupe des Huit (Nyolcak) qui a marqué la peinture hongroise à l'orée du XXème siècle, soulignait déjà les liens qui unissent ces acteurs de l'entrée de la Hongrie dans la modernité : « C’était l’âge des révolutionnaires de l’art hongrois – Ady pour la poésie, Bartók pour la musique et nous, les Huit, pour la peinture ». En musique comme en peinture, la Hongrie du début du XXe siècle vibre d'un même esprit de rupture et de renouveau, au moment où la première symphonie de Béla Bartók, Kossuth, est jouée pour la première fois à Budapest en 1904, de jeunes peintres hongrois apparaissent sur la scène nationale. Pionniers au sein de l'avant-garde européenne, le premier comme les seconds inventent en quelques années un langage autonome et original, une modernité teintée de tradition nationale.

Au tournant du siècle, nombreux sont les artistes qui se tournent vers la capitale française. Béla Bartók fait un premier séjour à Paris en 1905, à l'occasion du concours Rubinstein, alors que ses compatriotes (Róbert Berény, Ödön Márffy ou Géza Bornemisza...) viennent y étudier dans les académies « libres ». Le jeune Béla Bartók se confronte à la tradition française (Rameau, Couperin), et regarde vers les créations de Debussy; quand les jeunes peintres hongrois découvrent Cézanne, Gauguin et bientôt, Matisse, dont ils adoptent très vite le fauvisme.

La plupart d'entre eux reviennent cependant régulièrement à Budapest ou dans les colonies d’artistes et autres foyers de création et de rencontre qui se forment chaque été, et retournent dans leur patrie après leurs années de formation, car c'est de leur pays qu'ils entendent renouveler les traditions. Ainsi, paradoxalement, de même que l'on ne peut dissocier la musique résolument moderne de Bartók de ses recherches en ethnomusicologie sur les chants populaires d'Europe centrale, le vif intérêt pour l’imagerie folklorique et l’ornementation populaire de ses homologues peintres allait de pair avec leur exigence de modernité.

Au tournant des années 1910, le dialogue entre les arts sera particulièrement fécond: Les manifestations organisées en marge des expositions du groupe des Huit, puis de la revue Ma (Aujourd'hui), fondée en 1916 par Lajos Kassák, sont fréquentées et animées par les principaux représentants des milieux littéraires, philosophiques et musicaux d’avant garde, et Béla Bartók s'y produit.

En une centaine de tableaux issus des collections publiques hongroises comme de nombreuses collections privées, mais aussi à travers de nombreux documents (partitions, photographies, films, enregistrements sonores ...), relatifs au jeune Bartók et aux peintres, musiciens, compositeurs, écrivains, poètes, de son entourage, cette exposition se propose de faire découvrir au visiteur un pan encore trop méconnu de l'histoire des arts en Europe.