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“Philippe Parreno” Anywhere, Anywhere, Out of the World
au Palais de Tokyo, Paris

du 23 octobre 2013 au 12 janvier 2014



www.palaisdetokyo.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 21 octobre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Philippe Parreno, Speech Bubbles (Silver), 2010, unique, Installation view: "From November 5 Until They Fall Down" at Castello di Rivoli, Turin, 2010. Silver helium balloons in mylar, variable dimensions. © Philippe Parreno.
2/  Philippe Parreno, Marilyn, (2012), Installation views, "Philippe Parreno", solo exhibition at the Fondation Beyeler Riehen/Basel, 2012. Color, Sound Mix: 5.1, Aspect Ratio : 2.39, Runtime: 19 minutes 49 seconds. © Serge Hasenböhler , ADAGP.
3/  Philippe Parreno, Marquee, (2008), Light sculpture; translucid acrylic glass, steel frame, light bulbs, neon tubes , 230 × 100 × 62 cm. ©Esther Schipper Gallery (Photo: Carsten Eisfeld, Berlin).

 


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Interview de Mouna Mekouar, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, Paris, le 7 novembre 2013, durée 6'26". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaires de l’exposition : Jean de Loisy et Mouna Mekouar


« L’exposition est conçue comme un espace scripté, comme un automate, produisant différentes temporalités, un rythme, un parcours, une durée. Le visiteur est guidé à travers les espaces par l’apparition et l’orchestration de sons et d’images... Une chorégraphie mentale. » Philippe Parreno

Philippe Parreno, figure éminente de la scène artistique internationale, transforme radicalement le Palais de Tokyo. Il répond à la carte blanche qui lui est donnée par une exposition totale dans laquelle son dialogue avec l’architecture fait oeuvre. Cette exposition d’un format inédit consacre un artiste dont les oeuvres, les idées, la démarche ont une influence considérable et ont certainement modifié notre idée même de l’art. Au Palais de Tokyo, Philippe Parreno orchestre son exposition selon une dramaturgie dans laquelle la présence spectrale des objets, la musique, les lumières et les films accompagnent l’expérience poétique des regardeurs. Il fait du bâtiment un organisme en perpétuelle évolution d’après un scénario minutieusement maîtrisé. L’exposition propose ainsi de voyager à travers ses oeuvres, anciennes et nouvelles, transformant la monographie en polyphonie. Philippe Parreno joue des symboles, des mots et des sons modifiant la perception de l’espace par les visiteurs et transformant le bâtiment en un organisme quasi-vivant, en un automate. Depuis les années 1990, Philippe Parreno doit sa renommée à l’originalité de son travail et à la diversité de ses pratiques (cinéma, sculpture, performance, dessin, texte, etc.). Il envisage l’exposition comme un médium, un objet à part entière, une expérience dont il explore toutes les possibilités. Le Palais de Tokyo est l’un des rares lieux où peut être menée une expérience globale aussi audacieuse. Philippe Parreno est le premier artiste à occuper ainsi la totalité des espaces agrandis du Palais de Tokyo.


Anywhere, Anywhere, Out of the World, par Jean de Loisy et Mouna Mekouar

De l’exposition sans objet à l’exposition comme objet, Philippe Parreno pense sa carte blanche au Palais de Tokyo comme une oeuvre à part entière. Dans le cadre de celle-ci, Philippe Parreno transforme le Palais de Tokyo en espace poétique situé entre réel et virtuel.

Véritable théâtre de mémoire, le Palais de Tokyo, qui laisse apparaître par sa structure les différentes strates de son histoire, est réinventé par l’artiste. Philippe Parreno conquiert cette polyrythmie, cette sédimentation mouvante, en recourant à différents dispositifs architecturaux et scénographiques qui inventent de nouvelles formes de vie et suggèrent de nouvelles possibilités d’être à ce bâtiment. Murs, plafonds, sols, éclairage et sonorités : toute la structure est ainsi revisitée. L’artiste crée une dramaturgie de la perception offrant des voies originales pour habiter les espaces, attribuant de nouvelles fonctions aux salles, initiant des rencontres inédites entre les oeuvres et l’architecture.

Cette refonte du bâtiment, orchestrée selon une savante chorégraphie par l’artiste, en collaboration avec Randall Peacock, « set designer », et Nicolas Becker, « sound designer », cherche à éveiller les sens du visiteur. Jeux de lumière et effets visuels, combinaisons sonores : Philippe Parreno crée, par ces enchainements d’ombres et d’impressions, d’émotions et de sentiments, un condensé de présences. Il donne ainsi à voir des situations, des événements, des rémanences. Ce parcours qu’il propose au visiteur est rythmé par les mouvements de Petrouchka de Stravinsky et permet de rencontrer le fantôme de Marilyn, de s’enfoncer dans le corps sombre d’un jardin au Portugal (C.H.Z.), d’entendre les pas des danseurs de la compagnie Merce Cunningham, de voir Annlee s’incarner en petite fille, grâce à Tino Sehgal, d’arpenter une rue éclairée par le clignotement de ses Marquees, d’observer le visage de Zidane qui se démultiplie, de parcourir une bibliothèque de Dominique Gonzalez-Foerster.

Avec cet archipel de différentes scènes successives qui se fécondent entre elles, il inscrit le parcours à la fois dans la performance de l’instant et dans la durée du récit. De là, le sentiment d’un hors temps, où différentes temporalités se superposent et s’entremêlent.

Cette dynamique temporelle se traduit par une exploration sonore et musicale. Philippe Parreno parcourt, selon une mécanique poétique, la célèbre composition Petrouchka de Stravinski pour découper son exposition en différents moments, en différents tableaux. Chacun des mouvements de cette extraordinaire oeuvre de Stravinsky, jouée ici par le pianiste Mikhail Rudy, donne le signal et annonce chacun des événements de l’exposition. Ainsi, l’intégralité du parcours est-il orchestré, rythmé, par le fantôme, l’esprit de Petrouchka, un pantin qui, à son tour, par ce jeu de découpage, transforme l’exposition en automate. Cette orchestration, qui s’appuie par un jeu de correspondances thématiques et temporelles sur la partition de Stravinski, met en évidence l’architecture mystérieuse et secrète de l’exposition. Elle invite le spectateur à plonger dans un monde flottant, entre présence et absence, entre oubli et rémanence, transformant la visite en un conte aux teintes mélancoliques.


Philippe Parreno au Palais de Tokyo

Depuis plus de vingt cinq ans, la pratique non linéaire de Philippe Parreno échappe à toute tentative de définition en réévaluant la fonction des espaces d’exposition mais aussi en interrogeant le mode d’existence des oeuvres. Philippe Parreno est un des artistes les plus déterminants de sa génération et montre, comme l’affirme Hans-Ulrich Obrist, « plus que les autres, le chemin au-delà de l’objet ». Son travail témoigne d’une réflexion sur les conditions d’apparition et de présentation d’une oeuvre, sur la création de catégories d’objets indéterminés – des « quasi objets » –, sur la réinvention du temps de l’exposition, sur la rémanence des énergies créatives, sur la mise en doute de la nature des images ou encore sur l’invention d’énoncés collectifs.

Parfois singulière, souvent collective, parfois parodique, souvent poétique, sa démarche a par ailleurs inspiré de nombreux artistes internationaux auxquels il a parfois proposé de partager certaines de ses expériences. Son oeuvre se place ainsi parmi celles des très rares figures majeures de notre époque, c’est à dire parmi celles qui, depuis cent cinquante ans, de Manet à Duchamp à Cage ou Godard, ou… Buren, dirait-il peut être, ou Tino Seghal, ont participé à nourrir notre compréhension de l’art. Très peu d’artistes de sa génération sont parvenus, en ce début de XXIème siècle, à une approche de l’art qui soit aussi radicalement démystificatrice et, simultanément, créatrice. Il ne s’agit pas de réussir un film ou de concevoir une installation marquante, il est question ici de revisiter une grande partie des fondements de l’art contemporain et, sur beaucoup de sujets, d’apporter des réponses singulières qui ne font pas l’économie du frottement de l’esthétique à des réalités sociales.

Grâce à ces principes qui irriguent son oeuvre depuis ses débuts, Philippe Parreno élabore différents dispositifs pour construire des situations, pour concevoir des lieux à traverser, pour créer des trames qui ouvrent sur des espaces et des récits. On pourrait énumérer les expositions les unes après les autres, chaque fois une idée singulière vient élargir le champ convenu et apporte de nouvelles possibilités. Une exposition réglée par les modifications de la peau d’un céphalopode, une monographie de groupe réunissant quinze artistes, des cartels vivants, des textes d’audioguide récités de mémoire par un hypermnésique, des salles plongées dans le noir pour laisser les images advenir, des conférences dans lesquelles les personnes invitées sont remplacées par des marionnettes, etc. Tous ces modes opératoires et projets successifs élaborent une nouvelle grammaire artistique. Celle-ci contribue à tracer les contours d’une pratique qui revisite les standards de l’exposition et dont les grands thèmes convergent vers l’interrogation sur le récit, la notion d’auteur ou de projet. L’exposition telle que Philippe Parreno l’a déplacée dans les années 1990 a été une succession d’inventions de formes qui étaient souvent liées aux univers télévisuels et aux expériences de plateau. Aujourd’hui, son attention se porte sur les origines de l’exposition, vue comme héritière du cirque et du théâtre. Ainsi considérée, elle puise dans les ressorts dramaturgiques du XIXème siècle. Apparitions, suggestions, miracles, illusions mécaniques, music hall et ventriloquies sont les éléments dans lesquels Philippe Parreno inscrit ses histoires, ses films, ses objets.

Au Palais de Tokyo l’ensemble du projet prend la forme d’un paysage où s’exposent des films, des objets, des absences qui ne sont pas des vides mais des espaces d’accueil pour des aventures diverses. Philippe Parreno parvient avec cet enchaînement d’impressions, d’images et de sensations, à transformer le Palais de Tokyo en espace performatif, en lieu scénique, en espace-temps, dont les différentes séquences, orientent le visiteur d’un événement à l’autre. Son intention est de rythmer la visite mais aussi toute la vie du lieu, selon une mécanique temporelle, qui transforme l’intégralité du bâtiment en automate. Ainsi, l’artiste, qui se fait tour à tour acteur, metteur en scène ou chorégraphe, contribue avec ses différentes propositions à redéfinir les fondements de l’art, prenant à la lettre le célèbre déplacement de Nelson Goodman : la question n’est plus de savoir ce qu’est l’art mais « Quand y a-t-il art ? ».


L’exposition comme acte de création

« Il faut toujours mettre en relation la production de forme et l’exposition de forme. Les deux sont, selon moi, totalement dépendantes l’une de l’autre. L’objet d’art n’existe pas sans son exposition. »

Dans le prolongement de ses travaux, Philippe Parreno place la fabrication de l’exposition au coeur de sa démarche et l’appréhende, à chaque fois, selon des formats différents. L’artiste l’envisage tantôt comme un médium, tantôt comme une oeuvre à part entière. Véritable espace ouvert, l’exposition est un format, un cadre à vocation expérimentale : « Tu peux tout faire rentrer dedans : un workshop, une manifestation, une vidéo-conférence, une situation, un théâtre d’ombres, un spectacle de music-hall, un film, une structure de pensée, un espace de proximité » explique-t-il en 1995. Composée d’installations et de performances, de concerts et de projections, d’objets et d’oeuvres d’art, l’exposition est pensée comme un chantier d’intervention inédit. L’artiste cherche en effet à transformer la visite de l’exposition en une expérience singulière qui joue des limites spatiales et temporelles. De Snow Dancing, une de ses réalisations majeures du milieu des années 1990 au Consortium à Dijon, à Alien Seasons au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (2002) en passant par ses dernières expositions au Philadelphia Museum of Art (2012) ou à la Serpentine Gallery de Londres (2010), Philippe Parreno conçoit, selon des grilles de lecture, des espaces temps qui bouleversent les notions d’oeuvres d’art et d’expositions.


L’exposition comme automate

« Un automate, par définition, imite la vie ; mais au fond il ne fait qu’une seule et même chose, encore et encore. Pour moi, l’exposition est un automate. »

Philippe Parreno double son questionnement sur les conditions d’apparition et de présentation des objets d’une réflexion sur la durée de visibilité d’une oeuvre. Le temps est une composante essentielle de son travail. « L’objet peut exister le temps d’une exposition et disparaître après », affirme-t-il. Il tempo del postino, à Manchester, orchestré avec Hans Ulrich-Obrist, pousse la logique de la boucle temporelle à son comble en transformant une exposition en opéra. Philippe Parreno rompt ainsi avec cette distinction traditionnelle du moment de la création dans l’atelier et celui de sa diffusion publique dans l’exposition. Il bouleverse ces différentes catégories estimant que seul le temps de l’exposition permet de révéler le travail. Le concept du time code inventé par Jean-Pierre Beauviala qui irrigue son travail depuis ses débuts est incontournable pour l’artiste. Il pense ses expositions selon une mécanique temporelle qui les découpent systématiquement en séquences bien précises. Il peut ainsi proposer, dans un même espace, différentes temporalités ou moments. En 2006, à la galerie Esther Schipper à Berlin, Philippe Parreno annonce, selon un tempo précis, les événements qui se déroulent à l’intérieur grâce au clignotement d’une marquee située à l’entrée de l’espace. Aux variations lumineuses de la marquee située en façade répondent à l’intérieur différentes combinaisons sonores, visuelles et olfactives. Avec cette marquee, l’artiste convie le visiteur à une séance et non à une visite. Les visiteurs deviennent – le temps du parcours – des spectateurs, éventuellement des acteurs. En effet, Philippe Parreno transforme l’exposition en partition qui se joue dans le temps et dans l’espace, avec des constances et des variations. Il modifie la perception de l’espace selon de savantes chorégraphies et transforme l’exposition en automate. Ce thème, depuis longtemps présent dans son travail, est d’une fécondité conceptuelle essentielle. En 2007, il fait écrire à un automate du XVIIIème siècle « What Do You Believe, Your Eyes or My Words? ». Il explore ainsi la surface des apparences pour questionner les rapports entre illusion et réalité, nature et artifice. Cet intérêt marqué de l’artiste pour faire de l’imaginaire une réalité ou inversement, est aussi au coeur de son film sur Marilyn structuré autour de deux algorithmes, celui de la voix et celui du robot qui imite l’écriture de la star.


Chorégraphie du spectateur

« Philippe Parreno est à la recherche d’une réalité en rapport avec le monde des images et des surfaces luisantes que nous subissons, depuis le monde du spectacle qui nous fascine et nous ennuie jusqu’au simple état des choses, jusqu’à une sorte de vérité. Ses films sont des expérimentations sur l’intentionnalité inversée, dans laquelle nous nous soumettons à l’ordre du temps réel, à la loi du hasard ; cette soumission permet à quelque chose de surgir, de commencer à se produire, quelque chose de nécessaire né de cette rupture avec l’ordre aléatoire du temps réel. » Simon Critchley

Dans ce travail permanent de réécriture, Philippe Parreno, avec ces dispositifs évolutifs, fait participer le public à la chorégraphie générale de ces expositions. Les visiteurs font partie intégrante de l’action en cours mais aussi de la mémoire de l’exposition. En effet, l’artiste conçoit à chaque fois un dispositif spatial, une machine, un système, un automate au mécanisme mystérieux. La plateforme de How Can we Tell the Dancers from the Dance, montrée pour la première au Philadelphia Museum of Art (2012), puis au Barbican Art Center (2013), met en scène les fantômes des danseurs de Merce Cunningham. L’impression est saisissante. Loin de glisser sur les apparences, Philippe Parreno explore les profondeurs des processus d’identification. Ainsi, l’artiste parvient à créer une dramaturgie de la perception où l’espace d’exposition, véritable laboratoire, se conçoit dans une relation – durable – avec le spectateur. Dans le cadre du film C.H.Z. et de sa mise en exposition, les murs de l’espace d’exposition se mettent à trembler, en transmettant les bruits enregistrés par des micros géodésiques au Portugal.


Un cinéma d’exposition

« Le cinéma apprend la patience, on doit attendre le mot fin, en art le mot fin ne vient jamais. »

Commencée dès 1987 à l’école des Beaux-arts, la relation de Phillippe Parreno aux images mobiles n’a rien à voir avec les démarches vidéo d’artistes. Pas de commentaire direct sur le dispositif, pas de ballet optique sur l’abondance des images ou leur distorsion, pas non plus d’implication immersive du corps par le son et le ralenti des images. Si le cinéma est aujourd’hui pour Philippe Parreno un véhicule essentiel de la réflexion historique, rôle qui fut autrefois dévolu à la peinture, le cinéma qu’il fait est spécifiquement un cinéma d’exposition, ainsi qu’il le qualifie lui-même, dont la charge émotionnelle s’adresse aux capacités disgressives et imaginaires de l’esprit. Il s’agit de chaînes suggestives destinées à faire naître des images mentales et des associations chez le regardeur. Le sujet est présenté non comme tel mais par l’organisation d’un ensemble de facettes périphériques qui le circonscrivent, l’évoquent ou plutôt l’invoquent, au sens ou un spirite convoquerait un esprit. Un sportif comme Zidane, un lieu comme dans C.H.Z., un événement, comme le convoi funèbre de John Kennedy dans June 8, 1968 ou une star comme Marilyn sont des portraits, circonscrits mais jamais décrits. C’est le temps, c’est à dire l’étirement de cette périphérie dans la durée, qui constitue la matière des films et la rémanence de ces images qui en est le sujet. Inspirée du cinéma américain, souvent à l’extérieur des expositions, une marque vient désigner le lieu de l’expérience : une fiction de cinéma qui annonce que l’on va assister à une séance et non pas voir des objets. Ainsi l’exposition est contaminée par le langage du cinéma et inversement. Cette fusion des deux langages, cinéma-exposition, présente très tôt dans la démarche de l’artiste, est sans doute à l’origine de ses avancées sur la réécriture de l’événement exposition.