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“Jean Dubuffet” Coucou Bazar
au Musée des Arts Décoratifs, Paris

du 23 octobre au 1er décembre 2013



www.lesartsdecoratifs.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 22 octobre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Affiche de Jean Dubuffet pour Coucou Bazar à Turin, 1978 © Fondation Dubuffet/A.D.A.G.P., Paris.
2/  Coucou Bazar à New York en 1973. Jean Dubuffet coiffant Nini la Minaude lors des répétitions du spectacle au Salomon R. Guggenheim Museum © Archives Fondation Dubuffet, Paris/ photographes - R. E. Mates & S. Lazarus.
3/  Représentations de Coucou Bazar à Turin en 1978 © Archives Fondation Dubuffet, Paris/photographe - K.Wyss.

 

extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires :

Sophie Duplaix, commissaire, conservatrice en chef des collections contemporaines au Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris

Béatrice Salmon, directrice des musées des Arts Décoratifs jusqu’au 31 août 2013

Scénographie : 
Jean Dominique Secondi, Arter


Les Arts Décoratifs présentent, en collaboration avec la Fondation Dubuffet, une exposition-événement autour de Coucou Bazar, la création la plus originale de Jean Dubuffet (1901-1985), figure majeure et inclassable de l’art du XXe siècle. C’est à l’occasion du 40e anniversaire de la première de Coucou Bazar qu’un coup de projecteur est donné sur ce spectacle d’un genre nouveau, en écho à la présence permanente de Jean Dubuffet au musée, qui possède une donation exceptionnelle de l’artiste de 160 œuvres. Les éléments de Coucou Bazar sont mis en scène au cœur de la grande Nef. Des découpes peintes sont à nouveau présentées aux côtés des costumes restaurés spécifiquement pour cette occasion grâce au soutien de LVMH. Dans les salles attenantes, des archives et documents audiovisuels rendent compte de la genèse et du déroulement du spectacle. Le public aura enfin la surprise de voir déambuler dans le parcours de l’exposition, depuis un « vestiaire » fidèlement reconstitué, quelques personnages insolites costumés de Coucou Bazar.

Coucou Bazar, sous-titré Bal de L’Hourloupe, est composé de praticables (découpes peintes mobiles) et de costumes portés par des danseurs. Le tout est fait pour évoluer de façon quasi imperceptible, frontalement, afin de créer une suite infinie de combinaisons dont les différents plans se mettent en mouvement, disparaissent ou apparaissent, comme si toutes les parties d’un tableau étaient dotées d’une vie propre.

Coucou Bazar a été présenté pour la première fois de mai à juillet 1973 au Solomon R.Guggenheim Museum à New York, suivi d’une seconde version, à l’automne de la même année, aux Galeries nationales du Grand Palais à Paris. Une troisième et dernière version a été produite par FIAT à Turin en 1978. En 2013, il s’agit de recréer pour le public, sous la forme d’une exposition exceptionnelle, la vision extraordinaire et grouillante de l’univers de Coucou Bazar.

Pendant 5 semaines, la nef des Arts Décoratifs se transformera en une scène spectaculaire pour accueillir un ensemble important des décors et costumes, tous conservés à la Fondation Dubuffet sur son site de Périgny-sur-Yerres. À cette occasion les costumes aux titres évocateurs (Nini la Minaude, La Simulatrice, Le Grand Malotru, Le Triomphateur…), composés de masques, chapeaux, robes, gants ou bottes réalisés dans les matériaux divers tels que le bristol d’époxy, le coton peint, la résine stratifiée ou la tartalane amidonnée, sont montrés dans leur intégralité pour la première fois depuis quarante ans. La surprise sera offerte au visiteur d’assister à des séances d’habillage, avec la recréation d’une « cabine d’essayage » telle que Dubuffet l’avait aménagée pour les besoins du spectacle. Ces séances sont suivies de la déambulation de danseurs une fois costumés, dans l’espace de l’exposition, donnant soudainement vie aux personnages. De part et d’autre de la nef, sont rassemblés les documents et archives visuels et sonores (lettres, photographies, affiches, dessins préparatoires, films…) liés à la création de Coucou Bazar. Sont ainsi évoqués les recherches sur la fabrication des éléments, leur réalisation dans le gigantesque atelier de l’artiste à la Cartoucherie de Vincennes, ou encore, les essais musicaux pour le spectacle et notamment les instruments rassemblés par Dubuffet pour produire des sonorités inédites. Un film, réalisé lors des représentations de Coucou Bazar à Turin, en 1978, permet aux visiteurs de saisir la dimension expérimentale du spectacle dont la mise en scène new yorkaise et parisienne avait suscité une polémique entre l’artiste et le producteur.

Créées en relation avec Coucou Bazar, la Robe de Ville, don de Margitt Rowell aux Arts Décoratifs en 2006, ainsi que l’effigie métallique Don Coucoubazar conservée au Musée d’Unterlinden à Colmar, sont également exposées.

Cette exposition est l’occasion exceptionnelle de sentir le souffle de liberté avec lequel Jean Dubuffet a créé cette oeuvre unique en son genre, d’une force et d’une nouveauté que l’époque contemporaine ne cesse de confirmer.



Coucou Bazar, pièce de théâtre ? texte de Sophie Duplaix, commissaire de l’exposition

Dans les archives de la Fondation Dubuffet, rue de Sèvres à Paris, (…) on trouve une chemise usée par le temps, le bleu du papier virant au jaune, sur laquelle est inscrit : « Coucou Bazar : pièce de théâtre » La mention « pièce de théâtre » a été biffée. Par l’artiste ? Nul ne saurait l’affirmer. On reste pourtant en arrêt devant ce signe révélateur de l’esprit d’un projet pour lequel Dubuffet oscilla sans cesse entre différents genres, annonçant un spectacle d’une conception inédite, mais peinant à s’écarter de la forme et du vocabulaire en usage dans le théâtre ou la danse.

Ce n’est pas la moindre des contradictions de Dubuffet que de maintenir ces deux caps, celui, d’une part, de la création d’une oeuvre inclassable et, d’autre part, de la nécessité de l’inscrire, pour la faire exister, dans des catégories établies. Mais qu’est-ce au juste que ce Coucou Bazar qui occupa l’artiste des années durant ? Dubuffet imagine, pour désigner cette entreprise, le concept de « tableau animé ». De fait, c’est de la peinture que naît Coucou Bazar, lorsqu’en 1971, en plein cycle de L’Hourloupe et avec son langage cellulaire, émergent des découpes destinées au statut de tableau puis très vite montées sur pieds à roulettes et appelées Praticables. Dans le même temps surgissent des Costumes de théâtre, dont les éléments constitutifs (masques, bottes, gants, robes…) seront agencés par tâtonnement lors d’essais sur des mannequins ou acteurs occasionnels pour former tout un peuple d’êtres aux noms à la fois grotesques et énigmatiques : Nini la Minaude, La Simulatrice, L’Intervenant, Le Grand Malotru… Un immense local situé à la Cartoucherie de Vincennes servira à la confection des éléments de Coucou Bazar et aux premières répétitions du spectacle, que Dubuffet présente en 1973 dans le cadre d’une exposition rétrospective de ses travaux, au Guggenheim Museum de New York, puis au Grand Palais à Paris (…)
Qu’ils aient été pleinement assumés par Dubuffet dans la réalisation de son spectacle ou qu’ils soient restés à l’état de purs énoncés théoriques, les grands principes directeurs de Coucou Bazar ne sont pas sans rappeler les fondements du Nouveau Théâtre des années 1950 et les expériences qui s’en suivirent. Dubuffet revendique une action sans début ni fin, qui s’étale dans la durée avec la plus grande économie de gestes, de mouvements, laissant la place au micro-événement. L’importance accordée à la mise en scène (lumière, musique, costumes, masques, expression corporelle) rend caduc le dialogue et favorise l’hybridation des genres : théâtre populaire, théâtre oriental, danse… Lorsque Coucou Bazar prend forme, au tout début des années 1970, Dubuffet ne peut méconnaître la trajectoire du renouveau théâtral depuis Samuel Beckett et Eugène Ionesco jusqu’aux modèles réhabilités de Bertholt Brecht et d’Antonin Artaud, le second devenant, autour de mai 1968, une référence génératrice d’une explosion de recherches dans la lignée du Théâtre-Laboratoire de Jerzy Grotowski ou du fameux Living Theatre de Julian Beck et Judith Malina, lui-même nourri de happening. Dubuffet pouvait-il encore méconnaître l’Orlando furioso (1970) de Luca Ronconi, ce Ronconi auquel un critique le compare dans un article de 1973 sur la version du Grand Palais de Coucou Bazar : « Moins poétique que le Regard du sourd de Robert Wilson, plus difficile à suivre que le Roland furieux de Luca Ronconi, Coucou Bazar appartient néanmoins à ce type de spectacle qui étonne, qui tranche et qui choque ». C’est enfin une proximité géographique incontournable avec le Théâtre du soleil qui peut laisser penser que les expériences totalement novatrices d’Ariane Mnouchkine, qui donne, entre 1970 et 1975, trois de ses spectacles les plus marquants, 1789, 1793, et L’Âge d’or, n’ont pas pu échapper à Dubuffet.
(…)
Dubuffet déclare néanmoins inventer un spectacle d’un genre nouveau et secouer la torpeur dans laquelle se tiennent les productions des autres catégories en usage : « Le théâtre et la danse semblent […] appeler un changement de cap. Ce n’est pas qu’un cap soit forcément meilleur qu’un autre, mais il fait bon, de temps en temps, renverser la vapeur. Peut-être pourrait on par exemple maintenant essayer des spectacles qui seraient moins véristes […], qui seraient plus transposés et surtout plus mentaux. » L’attitude de Dubuffet n’est pas surprenante. Ce rejet, cette « amnésie » qui frappe l’artiste dès lors qu’il s’agit d’un pan de la création susceptible d’empiéter sur ses propres recherches, relève chez Dubuffet de la pure stratégie. (…) À supposer que Dubuffet se soit tenu totalement à l’écart des productions théâtrales de ses contemporains, les écrits d’Artaud, en revanche, qui fut l’une des figures de référence majeure du renouveau théâtral de la seconde moitié du xxe siècle, lui sont tout à fait familiers. (…) Le langage unificateur de L’Hourloupe semble bien répondre à la « Parole d’avant les mots » du théâtre d’Artaud et sa mise en mouvement à cette « sorte de Physique première » du théâtre balinais. En outre, la dualité abstrait/ concret que cherche à résoudre Coucou Bazar – chaque élément, parfaitement « individué » étant, par des mouvements quasi imperceptibles, voué à se fondre dans le tout – fait encore écho de façon étonnante à la pensée d’Artaud : « […] ce côté révélateur de la matière […] semble tout à coup s’éparpiller en signes pour nous apprendre l’identité métaphysique du concret et de l’abstrait et nous l’apprendre en des gestes faits pour durer. » L’originalité de Coucou Bazar résiderait alors dans sa formidable capacité d’absorption de références culturelles issues non seulement de la peinture et de la littérature mais aussi du monde contemporain. L’imaginaire de Dubuffet, comme celui de toute une génération, a sans doute été frappé par un événement sans précédent : celui des premiers pas sur la lune. Il n’est pas anodin que les acteurs costumés de Coucou Bazar ressemblent, dans leurs étranges déplacements, à ces cosmonautes entravés par leur combinaison, découvrant l’apesanteur. Ce territoire lunaire, où tout est à son commencement, ne pouvait que fasciner Dubuffet.