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“Vivian Maier (1926 – 2009)” Une photographe révélée
au Château de Tours, Jeu de Paume Hors les Murs, Tours

du 9 novembre 2013 au 1er juin 2014



www.jeudepaume.org
www.tours.fr/139-chateau.htm

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 8 novembre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Vivian Maier, Sans titre, 3 septembre 1954. © Vivian Maier / Maloof Collection. Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York.
2/  Vivian Maier, Chicago, Illinois, janvier 1956. © Vivian Maier / Maloof Collection. Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York.
3/  Vivian Maier, Autoportrait, sans date. © Vivian Maier / Maloof Collection. Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York.

 


1155_Vivian-Maier audio
Interview de Michaël Houlette, coordinateur au Jeu de Paume,
par Anne-Frédérique Fer, le 8 novembre 2013, durée 8'39". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire d’exposition
Anne Morin, directrice de diChroma photography



Véritable autodidacte, Vivian Maier (1926-2009) a cultivé un sens aigu de l’observation et de la composition. Née à New York, Maier a passé une partie de son enfance en France avant de revenir à New York en 1951 et de réaliser ses premières photographies. En 1956, elle s’installe à Chicago où elle demeure jusqu’à sa mort, en 2009.

Son talent est à rapprocher des figures majeures de la street photography américaine telles que Lisette Model, Helen Levitt ou encore Diane Arbus et Garry Winogrand. L’exposition présentée au Château de Tours par le Jeu de Paume, en collaboration avec la Ville de Tours et diChroma photography, est la plus importante exposition consacrée à Vivian Maier en France. Avec 120 épreuves argentiques noir et blanc et couleur tirées à partir des diapositives et négatifs originaux ainsi que des extraits de films Super-8 qu’elle réalisa dans les années 1960 et 1970, ce projet, conçu à partir de la collection réunie par John Maloof avec l’aide de la galerie Howard Greenberg de New York, est une première approche de l’oeuvre, révélant un regard, une poésie et un humanisme hors du commun.

Les étonnantes photographies de Vivian Maier (New York, 1926–Chicago, 2009) ont été découvertes par hasard par John Maloof, en 2007, dans une salle des ventes de Chicago. à la recherche d’une documentation historique sur un quartier de Chicago, ce jeune collectionneur fit alors l’acquisition d’un lot considérable d’épreuves, de négatifs et de diapositives (dont une grande partie non développée) ainsi que des films Super-8 d’un auteur inconnu et énigmatique. Personnalité discrète et solitaire, Vivian Maier a, en effet, réalisé plus de 120 000 prises de vue et produit en trente ans une oeuvre conséquente qu’elle n’a montrée à personne, ou presque, de son vivant.

Pour gagner sa vie, Vivian Maier fut gouvernante d’enfants. Un appareil autour du cou (d’abord des appareils type box ou folding, puis un Rolleiflex et un Leica), elle consacra ses loisirs et ses moments de repos à arpenter et à photographier les rues de New York puis de Chicago. Les témoignages des enfants dont elle s’est occupée la décrivent comme une femme cultivée, ouverte d’esprit, généreuse mais peu chaleureuse. Ses images, quant à elles, montrent une réelle curiosité aux choses du quotidien et une profonde attention aux passants qui croisèrent son regard : les physionomies, les attitudes, les tenues et les accessoires à la mode pour les plus aisés ou encore les signes de pauvreté pour les plus démunis.

Si certains clichés ont été pris à la sauvette, d’autres rendent compte d’une véritable rencontre avec les individus qu’elle a photographiés frontalement et à faible distance. C’est d’ailleurs avec une évidente empathie qu’elle s’est s’intéressée aux sans-abris et aux marginaux, signant ainsi de troublants portraits dans une Amérique pourtant en plein essor économique.

Vivian Maier meurt dans l’anonymat, en avril 2009, après avoir été recueillie et hébergée par la famille Gensburg pour laquelle elle avait travaillé pendant près de dix-sept ans. Une grande partie de ses biens ainsi que l’intégralité de sa production photographique avait auparavant été déposées en garde-meuble puis saisies et vendues, en 2007, pour honorer des impayés. Sa biographie est à présent partiellement reconstituée grâce aux recherches et aux interviews menées après la mort de la photographe par John Maloof et par Jeffrey Golsdtein, autre collectionneur qui fit l’acquisition d’une part importante de son oeuvre. Les sources administratives indiquant ses origines austro-hongroise et française, ses différents voyages en Europe, en France principalement (dans la vallée du Champsaur en Hautes-Alpes où elle passa une partie de son enfance) mais aussi en Asie et aux états-Unis ont clairement été identifiés et répertoriés. Mais les circonstances qui l’ont menée à la photographie et son parcours d’artiste restent encore aujourd’hui à découvrir.

Plus qu’une passion, la photographie apparaît chez elle comme une nécessité voire une véritable obsession : se sont accumulés dans les cartons qu’elle emportait à chaque changement d’employeur, à chaque déménagement, l’impressionnante quantité de films qu’elle n’a pas développés, faute d’argent, ainsi que des archives composés de livres ou de coupures de presse relatant des faits divers.

L’oeuvre de Vivian Maier met en lumière des détails anodins, trouvés au hasard de ses promenades, décrivant l’étrangeté des gestes, la singularité des figures et la distribution graphique des corps dans l’espace. Elle a également exécuté une série d’autoportraits saisissants, reflets d’elle-même mis en scène par l’intermédiaire de miroirs ou de vitrines de magasins.




L’invention de Vivian Maier par Abigail Solomon Godeau* - Extrait -

* Abigail Solomon-Godeau est professeure émérite au département d’histoire de l’art et d’architecture, University of California, Santa Barbara

Les nombreux négatifs, films super-8, vidéos et photographies de Vivian Maier récemment mis au jour soulèvent de multiples questions [...]. Rarement existence menée dans l’univers de la modernité urbaine aura été aussi discrète, au point que la recherche la plus consciencieuse n’a pu découvrir que quelques faibles traces du sujet. Pendant la plus grande partie de sa vie d’adulte, Vivian Maier a travaillé en tant que nurse, gouvernante ou aide-soignante dans les banlieues du North Shore de Chicago (v. 1956 jusqu’aux années 1980). Elle semble avoir conservé tout ce qu’elle possédait au cours de son existence. Outre ses photographies et ses effets personnels, elle a laissé de vieux journaux, des livres, des albums, divers objets-souvenirs, sans oublier des reçus de laboratoires où elle faisait tirer ses clichés, reçus inscrits au nom de Vivian Smith. Elle n’a jamais encaissé les chèques du Trésor remboursant un trop-perçu d’impôt, passant sous le seuil de pauvreté en 2007. Son oeuvre a aujourd’hui acquis une notoriété certaine, mais ce n’est que lorsque le contenu de son garde meuble fut vendu aux enchères pour rembourser ses créanciers qu’a commencé l’histoire de sa découverte. [...]

Il existe des centaines, voire des milliers de photographes, souvent anonymes, qui ont pris des clichés de rue depuis les débuts de la photographie (pour des raisons multiples et variées) ; mais leur travail ne constitue pas pour autant un genre cohérent. La notion de « photographie de rue », terme inventé au milieu du XXe siècle par les spécialistes de la photographie d’art, a servi à consacrer l’oeuvre d’un nombre très limité de photographes, artistes pour la plupart (Walker Evans, Henri Cartier-Bresson, Robert Frank, pour ne citer que les plus célèbres). Parmi ceux qui photographient des passants dans un espace public, on ne compte que quelques rares femmes. [...] Maier n’a sans doute jamais songé à faire de la photographie son métier, ses clichés, pris pour l’essentiel dans la rue, n’ont rien d’un passe-temps d’amateur, en dépit des motivations privées de l’artiste. Nul ne sait si son existence recluse, son excentricité extrême, son asexualité apparente, ont été des facteurs. Ce n’est que l’une des nombreuses énigmes posées par la vie et l’oeuvre de l’artiste. Tout ce que l’on peut dire, c’est que, de manière mystérieuse et poignante, Maier vécut son existence d’adulte à travers l’objectif d’un appareil photo, existence par procuration dans laquelle l’« oeil » de l’appareil et le « je » du sujet sont inextricablement liés. Il n’existe, à ma connaissance, aucun autre exemple similaire dans l’histoire de la photographie. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que, comme le photojournalisme, la photographie de rue est un domaine largement réservé aux hommes. Il y a de nombreuses raisons à cela : le regard scrutateur, prérogative masculine, le caractère sexué de l’espace public, la relative vulnérabilité des femmes au sein de cet espace, et les risques posés par la photographie de sujets récalcitrants.

Ainsi, la différence sexuelle et la construction du genre – aspects incontournables de l’existence sociale et psychique de l’individu – sont nécessairement signifiants et pertinents dans le cas du travail de Maier. Ils ont pu influer sur la manière dont elle photographiait (le Rolleiflex est beaucoup plus discret qu’un appareil tenu à hauteur de visage) et sur ce qu’elle photographiait (elle s’intéresse avant tout aux enfants de banlieue en train de jouer). Ils ont peut-être aussi influencé sur sa perception d’elle-même en tant que personnage isolé, sans lien avec ses semblables. En tout état de cause, on note qu’à partir des années 1950, dans le cadre de son emploi, elle commence à photographier les enfants (y compris ceux dont elle s’occupe), sans aucune sentimentalité ni condescendance. Prises dans les parcs et les cours d’école des banlieues cossues du North Shore de Chicago, ses photographies d’enfants blancs tracent un parallèle intéressant avec celles d’enfants noirs des quartiers défavorisés de la ville, ou encore ses clichés de la classe ouvrière, des pauvres ou des laissés pour compte. On peut se demander ce qui a attiré cette vieille fille franco-américaine vers la marginalité urbaine : voyeurisme, curiosité, compassion, sentiment d’appartenir au même monde ?

Certains de ses employeurs (notamment les Gensburg) ont évoqué à son propos des « sympathies de gauche », mais sans fournir d’autres détails. Maier a également pris des photos de Richard Nixon (alors vice-président) saluant les foules à Chicago, ainsi que des gros titres de journaux annonçant l’assassinat de Kennedy, puis de son frère, Robert, quelques années plus tard, ce qui ne trahit aucune orientation politique particulière. Il existe apparemment quantité de photographies prises au cours de ses voyages à l’étranger (Asie du Sud, Philippines, Cuba, Égypte, et de nombreux autres pays), mais peu d’entre elles ont été publiées ou exposées. À tout le moins, ces expéditions lointaines au cours desquelles elle ne cessait de prendre des clichés, comme à son habitude, témoignent d’une intrépidité peu commune – dans les années 1950, bien peu de femmes se seraient lancées dans pareils voyages, ou auraient osé s’aventurer dans les quartiers déshérités –. [...]

Parmi les images diffusées jusqu’ici, rares sont celles montrant de belles femmes ou de beaux hommes (il existe quelques exceptions, qui confirment la règle – à moins qu’il ne s’agisse d’un choix éditorial). Il y a en revanche de nombreuses images de sujets photographiés à leur insu (ou contre leur gré), de vues de dos et de fragments de corps. Photographier les individus sans leur permission semble suggérer une certaine assurance (voire une certaine agressivité) et une prise de position sexuée. L’expression indignée ou agacée qui se lit sur le visage de certaines bourgeoises d’un certain âge montre à l’évidence qu’elles sont mécontentes de s’être laissé prendre au dépourvu. L’un des employés du laboratoire où Maier (sous le nom de Vivian Smith) faisait développer ses clichés a déclaré qu’elle n’aimait pas les femmes « maquillées » ou « trop féminines ». Ainsi, si dans certaines photographies, les sujets semblent participer à un échange social, dans de nombreuses autres, ils ont été pris « à la sauvette », pour reprendre l’expression d’Henri Cartier-Bresson.

On pourrait ici faire une distinction entre ses autoportraits et ses autoreprésentations. En effet, si tous les autoportraits sont des autoreprésentations, toutes les autoreprésentations ne sont pas nécessairement des autoportraits. Je fais ici allusion aux nombreux clichés où l’on voit clairement l’ombre de l’artiste se projetant sur la scène photographiée. C’est, comme chacun sait, un trope classique de la photographie moderniste. On se souvient que Lee Friedlander a consacré un ouvrage entier au procédé. On pourrait donc imaginer que Maier connaissait bien mieux le travail photographique de ses contemporains qu’on ne l’a cru jusqu’ici. L’archive contient notamment plusieurs ouvrages consacrés à la photographie, et elle aurait fort bien pu, au cours de ses nombreux séjours à New York, se rendre au MoMA, qui exposait en permanence l’oeuvre de photographes. Peut-être estime-t-on que son ignorance (ou sa connaissance lacunaire) présumée du travail de ses contemporains contribue à affermir sa réputation. Quant aux autoportraits, c’est leur opacité implacable, et parfois leur inventivité formelle, qui les place dans une catégorie différente de l’imagerie plus conventionnelle dont relèvent ses photographies de rue. [...] « Son grand projet, c’était sa vie », note Michael Williams. Mais le vrai « grand » projet, c’est peut-être l’invention posthume de l’artiste.