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“Natacha Lesueur” Outside a Nut*
à la Fondation d'entreprise Ricard, Paris

du 13 novembre au 7 décembre 2013



www.fondation-entreprise-ricard.com

 

© Anne-Frédérique Fer, le 13 novembre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Natacha Lesueur, Sans titre, 2009. Photographie analogique, épreuve pigmentaire sur papier fine art encadrée, 185 x 145 cm.
2/  Natacha Lesueur, Sans titre, 2010. Film 35 mm, 1.14 min, projection en boucle, 290 x 380 cm.
3/  Natacha Lesueur, Sans titre, 2010. Photographie analogique, épreuve pigmentaire sur papier fine art encadrée, 109 x 86 cm.

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Natacha Lesueur semble toujours laisser dans ses photographies un petit élément, un minuscule quelque chose qui permettrait, en rappelant la facticité de la scène, de délivrer l’actrice Carmen Miranda de l’image où elle s’est trouvée enfermée. Image figée dans un exotisme réducteur et suranné. Image d’une femme prise dans le désir lubrique de quelques hommes du cinéma hollywoodien. Un bout de l’accoudoir du fauteuil, un coin d’un carré blanc où rien encore n’est écrit, un morceau d’une structure métallique portant quelque décor, tous ces éléments présents dans les clichés rejoués de l’actrice disparue, deviennent des points de disjonction, des indices qui osent la déconstruction de l’image, sa mise en mouvement ou l’ébranlement de sa fixité. Enfin, quelque chose qui annoncerait la fin de la mascarade. Il suffirait de s’en saisir, comme on aimerait se saisir du ruban bleu qui parcourt le décor dans lequel l’avatar présent de l’actrice est encastré ; un recto-verso dans deux images distinctes, comme un double-face révélateur de cet emprisonnement.

C’est l’une des astuces qui permettent à l’artiste de transcrire ce moment fugace, fragile qui révèle l’image photographique dans toute son ambiguïté, sa dualité. Médium de la fixité qui pourrait nous tuer en même temps que nous immortaliser. Natacha Lesueur joue justement de contrastes extrêmes et parfois peu repérables. Elle joue des faux semblants et des trompes l’œil. Elle montre l’envers d’un décor pour mieux parler de la force et des dangers de ce médium capable de forger une identité lisse et pernicieuse ou susceptible d’immortaliser dans un instant d’oubli, de non-maîtrise de soi n’importe quel d’entre nous. Au fil des clichés, Carment et son sosie s’enfoncent ainsi progressivement dans leur propre image, au fur et à mesure que la facticité les entoure et les incarne.

C’est par une courte séance de cinéma que Natacha Lesueur choisit de dévoiler en partie ce mécanisme de fixité douloureux. Le sosie de Carmen joue la poupée mécanique qui tourne sur un promontoire. Elle est maintenue par une structure métallique qui relève autant de la prothèse que de l’instrument de torture. Au fil du mouvement tournant on découvre qu’elle a trois jambes. Celle qui, étendue, permet de découvrir son pubis nu est un leurre. On pourrait croire que tout ça n’est que factice, mais non. Un clignement de l’œil nous rappelle que le modèle est vivant et tourne sur lui-même, les bras en l’air, dans un mouvement sans fin, maintenu ainsi dans cette position douloureuse. Car au-delà de ces mises en scènes d’une beauté kitch qui disparait dans le trompe-l’œil, Natacha Lesueur transcrit une violence. Celle d’un regard dominateur qui fixe cette femme, Carmen Miranda et son double, dans des poses bêtifiantes et injurieuses.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Marie Canet


*« she's the greatest thing that ever came out of Brazil, outside a nut »

Carmen Miranda était une surface séduisante : à Hollywood elle incarnait l'exotisme et la sensualité latine; au Brésil, bien que portugaise de naissance, elle personnifiait le concept de brasilianité, c'est-à-dire qu'elle était devenue le symbole de l'identité nationale du pays promue par Getulio Vargas, elle, la blanche, qui empruntait aux Bahianaises, qui vendaient les fruits qu'elles portaient sur leurs têtes, leurs coiffures, leurs danses et leurs cultures.

Natacha Lesueur prend pour point de départ les images de Miranda fabriquées par Hollywood. Dans ce travail, elle rejoue la face médiatique de l'actrice qu'elle reconstruit entièrement : poses, décors, maquillages, costumes. Ici encore, l'artiste, connue jusque-là principalement pour ses compositions visuelles, ornementales et alimentaires interroge l'en deçà des corps. Elle décalque l'image du personnage qui est à la base un assemblage de parures, de fruits et de fleurs et d'attitudes, recouvert d'idéologies. Enfermée dans la pose, contrainte dans des décors dans lesquels elle s'enfonce parfois, le double de Carmen s'incarne donc difficilement car les fleurs, les fruits, les bijoux ou les étoffes qui la recouvrent se fanent déjà.

Sa peau trop noire, trop blanche ou un peu verte est le stigmate d'une identité partagée jusqu'à la maladie. Son visage est un masque, son sourire est figé. Lesueur le redessine. Elle creuse ainsi la surface de son être complexe, politique, culturel, médiatique, traversé de contradictions et d'ambiguïtés. En rejouant les images de Miranda, icône cinématographique de l'exotisme, elle en fait la personnification d'un nouveau concept : celui d'une réification médiatique, raciale et sexuelle.

Natacha Lesueur fut lauréate du Prix Ricard s.a. en 2000 et résidente à la Villa Médicis à Rome en 2002-2003. Le Mamco de Genève et le Frac Languedoc-Roussillon lui ont consacré une exposition personnelle respectivement en 2012 (Je suis née ect., monographie Surfaces, merveilles et caprices, texte de Thierry Davila, Editions Les presses du réel) et en 2013 (Ne me touche pas).


* "Copacabana", (1h32, réalisé en 1947 par Alfred E. Green avec Groucho Marx, Carmen Miranda, Steve Cochran).