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“Raymond Depardon” Un moment si doux
au Grand Palais, Paris

du 14 novembre 2013 au 10 février 2014



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 12 novembre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Raymond Depardon, Autoportrait au Rolleiflex (posé sur un mur) 1er scooter de marque Italienne « Rumi », avec étiquette de presse sur le garde-boue. Île Saint-Louis. Paris, 1959, 25 x 25 cm. © Raymond Depardon / Magnum Photos.
2/  Raymond Depardon, Van-Tao, Vietnam. 1972, 170 x 247 cm. © Raymond Depardon / Magnum Photos.
3/  Raymond Depardon, Plage de Wai Ki Ki, Honolulu, Hawaï, 2013, 170 x 170 cm. © Raymond Depardon / Magnum Photos.

 

extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Hervé Chandès, Directeur Général de la Fondation Cartier pour l’art contemporain.


Cette exposition est réalisée par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais en collaboration avec Magnum Photos.

La couleur apparaît dans l'oeuvre de Raymond Depardon dès les premières images. Il a alors 16 ans. Depuis, elle l'accompagne dans tous les moments forts : les années de découverte de la photographie, les premiers voyages en Afrique, les grands reportages, puis plus récemment "un moment si doux" qui donne à l'exposition son titre. L'exposition présente près de 160 photographies en couleur, la plupart sont inédites. Avec la couleur comme fil conducteur, elle invite à une déambulation dans l'oeuvre et la vie de l'artiste depuis la fin des années 50 jusqu'à aujourd’hui.


Les années déclic
Je ne savais pas que j'étais un photographe de la couleur. Elle était pourtant là. Dès les premières images, Raymond Depardon.
Chez Raymond Depardon, la couleur est liée à l’enfance. Ses premières images sont celles de sa mère, des animaux de la ferme de ses parents, du tracteur rouge, de la toile cirée dans la cuisine. Il n'a pas encore 20 ans quand "il monte" à Paris, il s'installe dans l'arrière-boutique d'un photographe de l'Île Saint-Louis où il se photographie sur son scooter. Il devient photographe reporter, il photographie Edith Piaf, on l'envoie en Afrique, il découvre le monde. Depuis, la couleur accompagne sa curiosité.


Reporter
Dans les années 70 et 80, Raymond Depardon travaille pour de grandes agences ; Dalmas, Gamma, Magnum. Il photographie en couleur, il pense en couleur, questionnant l'être humain et la bonne distance avec le réel. Au Chili en 1971, à Beyrouth en 1978, à Glasgow en 1980 il ne cherche pas l'événement mais ce qui se passe autour, dans les marges. Ce sont des reportages fondateurs.


Chili
En 1971, deux ans avant la mort de Salvador Allende, il photographie les indiens Mapuches qui luttent pour vivre sur la terre de leurs ancêtres. Il observe les hommes qui travaillent les champs et pense alors à son père. Il a 28 ans, il interroge son rapport au monde et au sujet, il cherche une nouvelle voie.


Beyrouth
En 1978, envoyé par le magazine allemand Stern, c'est à Beyrouth qu'il choisit de prendre ses distances avec le reportage, il ne photographie pas la guerre civile mais ses conséquences. Raymond Depardon y reste un mois photographiant passionnément en couleur. Son reportage fera le tour du monde.


Glasgow
En 1980, à la demande du Sunday Times il part à Glasgow. Photographe du sud et du désert, Glasgow lui semble aux antipodes de sa photographie. Il découvre pourtant les lumières du nord, il s'en souviendra plus tard lorsqu'il photographiera le nord de la France. À Glasgow il se pose des questions d'anthropologue : comment éviter l'exotisme, quelle distance adopter? Dans les grandes villes Raymond Depardon se sent comme un exilé de l'intérieur, jeune homme il en a souffert à son arrivée à Paris. Glasgow qui ne sera jamais publié anticipe le travail sur les grandes villes qu'il expose à la Fondation Cartier pour l'art contemporain en 2004.


Un moment si doux
C‘est dans les années 2000 que la couleur réapparaît et s'impose, elle n'est plus liée au reportage, à la presse, à l'événement mais à la quête d'une vérité de soi, à la recherche du bonheur, d'un endroit où vivre, d'un commencement. Depardon redécouvre les lumières et les couleurs de l'Ethiopie, de l'Amérique du Sud et des palmeraies tchadiennes. Il est spécialement revenu cette année dans 5 pays (Ethiopie, Tchad, Bolivie, Hawaï et Etats-Unis) afin de réaliser une nouvelle campagne de photographies pour l’exposition. "Un moment si doux" dessine alors une approche plus silencieuse, plus intériorisée, plus mentale. Raymond Depardon est maintenant à la recherche, selon la formule de Clément Rosset, de la "douceur du réel".




Préface Par Hervé Chandès - extrait du catalogue -

L'impression colorée pour Raymond Depardon est d'origine. Par la grâce de la lumière la photographie est attachée au souvenir de sa mère et de son père, aux couleurs joyeuses de son enfance teintées plus tard d'orientalisme.

Il a 20 ans. C'est le temps de l'apprentissage de la photographie, des premiers voyages, du désert. "La couleur est la métaphore de la curiosité" dit-il.

Elle l'accompagnera dans les grands reportages fondateurs : il questionne l'être humain et construit son regard dans la recherche de la bonne distance avec le sujet, entre vérité du coeur et expérience du réel. Il fait de la photographie un acte politique de pensée. Il donne sa chance à son premier regard.

Récemment, presque clandestinement, Raymond Depardon use de la couleur pour son plaisir, libéré de toute contrainte, sans thème ni attente. Nomade dans l'âme, "riche de solitude", il photographie des lieux sans événements, des apparitions, des scènes de vie, il fait des photos "que tout le monde pourrait faire et que personne ne fait" et éprouve en elles un moment si doux, coloré, silencieux, songeur, simple, indifférent au moment décisif et parfaitement humanisé.

Cette exposition en forme de récit autobiographique est une somme de "moments si doux" saisis dans l'oeuvre d'un artiste qui, il y a cinquante ans environ, tout jeune homme de 16 ans, quitte sa ferme et monte à Paris avec son appareil photo.




« Les années déclic » Propos recueillis par Hélène Kelmachter - extrait du catalogue -

Je ne savais pas que j’étais un photographe de la couleur. Elle était pourtant là. Dès les premières images. Toujours, quand je couvrais un événement pour Dalmas, puis Gamma et Magnum, c’était en noir et blanc et en couleurs. Un tremblement de terre, une guerre civile, les voyages du Pape ou de la Reine Elisabeth : noir et blanc et couleurs. Pour moi, c’était souvent le noir et blanc d’abord, la couleur ensuite. Je chargeais mon appareil photo avec un film couleur, mais je ne pensais pas en couleurs. De la fin des années 50 au début des années 80, je crois que je faisais de la couleur parce qu’il fallait faire de la couleur. Je n’en étais pas vraiment satisfait ; la technique n’étant alors pas encore très performante. Surtout, la couleur se désintégrant sur les planches-contact, il était impossible de garder ces images sous les yeux, comme pour le noir et blanc. Les diapositives, de meilleure qualité, étaient enregistrées et classées dans des cartons. Je les avais oubliées. Je me souvenais des photos, mais les ayant mises de côté, j’avais laissé ces couleurs partir dans un flux, et disparaître. […]

[…] Aujourd’hui quand je pense à la couleur, je pense à l’enfance, aux sucres d’orge, aux bocaux remplis de bonbons aux nuances douces ou acidulées. J’ai eu la chance de grandir dans une ferme. J’ai eu une enfance heureuse. Mes parents étaient cultivateurs dans la vallée de la Saône. […]

[…] Mon frère avait reçu un appareil-photo pour son anniversaire, un petit Lumière que j’ai très vite emprunté. Je photographiais les chats, les canards, le chien de la ferme. Et les tournois de football à six, avec les copains d’école : première occasion de trouver ma place face au sujet, d’expérimenter la bonne distance. J’étais timide et être spectateur me convenait bien. Je faisais aussi partie de l’équipe minime du football club de Villefranche-sur-Saône. Mais j’étais plus souvent derrière mon viseur que derrière le ballon. Avec mon argent de poche, j’ai acheté une petite chambre d’occasion. Nous sommes allés avec mes parents aux puces de Lyon ; c’est ainsi que j’ai fait mes premières photos au Rolleiflex. […]

[…] Je suis « monté à Paris » en 1958. J’allais avoir seize ans. J’étais l’apprenti du photographe Louis Foucherand. Je l’aidais à développer les films. Nous faisions des reportages et des publireportages un peu décalés. C’est ainsi qu’en 1959, j’ai photographié Edith Piaf. C’est un portrait que je viens de retrouver grâce à… une émission radiophonique. Il y a quelques années, j’ai été interviewé sur France Inter. En sortant du studio d’enregistrement, une hôtesse m’a signalé que quelqu’un avait téléphoné durant l’émission : c’était la femme de Louis Foucherand qui habitait maintenant la province et qui avait encore dans son grenier quelques photographies que j’avais faites. Dont celle d’Edith Piaf. J’habitais sur l’Ile Saint Louis. Je me déplaçais en scooter, un Rumi acheté d’occasion, sur lequel je me suis photographié, en utilisant un retardateur, l’appareil posé à même le rebord de pierre du Quai de Béthune - sur le côté sud de l’Ile Saint Louis, non loin du domicile du Président Pompidou. A gauche de l’image, on voit un « Cube », véhicule utilitaire de chez Citroën très populaire à l’époque. Cet autoportrait donne l’impression que l’on sort tout juste de la guerre. Mais il date de 1959. […]

[…] L’Afrique était l’un des terrains de reportage privilégiés de l’agence Dalmas. J’y suis allé dès l’été 1960, dans le Sahara d’abord, puis dans d’autres régions. […] J’étais un peu comme un explorateur, je partais toute la journée et je racontais à Bodard ce que j’avais vu : des barrages, des tensions. C’était la première fois que j’allais dans un pays d’Afrique anglophone. Les rues étaient désertes le dimanche, contrairement à l’Afrique francophone, beaucoup plus animée. J’avais 23 ans et j’aurais voulu rencontrer des gens de mon âge. J’étais seul dans les rues de Salisbury – Harare aujourd’hui. Je n’étais pas très rassuré. C’était une ville coloniale et les quartiers, africain et occidental, étaient très séparés. Les Noirs habitaient dans des baraquements, un peu comme les camps de Soweto. J’ai fait un effort sur moi-même, je suis entré dans ce quartier et j’ai photographié. Les gens étaient très gentils. Ils me regardaient, ils savaient plus de choses sur moi que moi sur eux. Je ne risquais rien. Ils buvaient de la bière dans des seaux en plastique de quatre ou cinq litres qu’ils se passaient de l’un à l’autre. Ils étaient ivres. C’était un week-end. J’ai fait des photos. J’avais un film Kodachrome 25 ASA. J’avais mis ces images de côté ; je les avais oubliées. […]

[…] Je me sens bien sur les deux continents, l’Afrique et l’Amérique latine, qui ont encore une dimension rurale. J’y trouve une franchise, un universalisme, un humanisme. Le monde rural avait été mon premier sujet. J’ai photographié les chats, les veaux, le berger allemand, tout ce qui m’entourait à la ferme du Garet. J’ai photographié ma maman aussi, mais pas ou très peu mon père. C’est sans doute la dernière chose que l’on puisse faire : photographier son père ou le filmer. Je regrette de ne pas l’avoir filmé ou enregistré. Mais je n’en étais pas capable. […]