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“América Latina 1960-2013” photographies
à la Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris

du 19 novembre 2013 au 6 avril 2014



www.fondation.cartier.com

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 18 novembre 2013.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Eduardo Villanes, sans titre, série Gloria Evaporada, 1994. Photographie noir et blanc, 12 x 9 cm. © Eduardo Villanes, Collection de l’artiste, Lima.
2/  Marcelo Montecino, Managua, 1979. © Marcelo Montecino, Collection privée, courtesy Toluca, Paris.
3/  Anna Bella Geiger, História do Brasil: Little Boys & Girls, 1975. Photographie couleur, 30,5 x 24 cm. © Anna Bella Geiger, Collection de l’artiste.

 


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Interview de Leanne Sacramone, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 18 novembre 2013, durée 6'30". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Ángeles Alonso Espinosa, Muséo Amparo
Hervé Chandès, Directeur Général de la Fondation Cartier
Alexis Fabry, Editions Toluca
Isabelle Gaudefroy, Directrice de la programmation artistique de la Fondation Cartier
Leanne Sacramone, conservatrice à la Fondation Cartier
et Ilana Shamoon, conservatrice à la Fondation Cartier
Scénographie, Jasmin Oezcebi




Du 19 novembre 2013 au 6 avril 2014, la Fondation Cartier pour l’art contemporain présente América Latina 1960-2013, en coproduction avec le Museo Amparo de Puebla (Mexique). L’exposition offre une perspective nouvelle sur la photographie latino-américaine de 1960 à nos jours, à travers le prisme de la relation entre texte et image photographique. Rassemblant soixante-douze artistes de onze pays différents, elle révèle la grande diversité des pratiques photographiques dans cette région du monde. Cette exposition, véritable plongée dans l’histoire du sous-continent latino-américain, nous invite à (re)découvrir des artistes majeurs rarement présentés en Europe.

Amérique latine : un territoire fascinant
Ancien « Nouveau Monde » associé à un certain exotisme, l’Amérique latine a toujours fasciné les observateurs autant qu’elle les a mystifiés. Aujourd’hui encore, la culture latino-américaine contemporaine suscite un intérêt grandissant, alors même que le contexte historique de sa production demeure souvent méconnu. La période allant de 1960 – au lendemain de la révolution cubaine – à nos jours, marquée par l’instabilité politique et économique, a vu se succéder les mouvements révolutionnaires et les régimes militaires répressifs, l’émergence des guérillas et les transitions démocratiques. En explorant l’interaction entre texte et photographies dans l’art latino-américain au cours des cinquante dernières années, l’exposition América Latina 1960-2013 choisit de mettre en perspective cette époque tumultueuse de l’histoire à travers le regard des artistes.

Entre texte et photographies, un espace de liberté
Les connexions étroites entre art et littérature, entre texte et image dans la culture latino-américaine, ont plusieurs précédents historiques. Luis Camnitzer – artiste conceptuel pionnier et écrivain – a insisté sur l’importance de personnalités marquantes, devenues de véritables références : l’éducateur Simón Rodríguez – tuteur de Simón Bolívar au XIXe siècle, qui utilisait des dispositifs textuels formels comme autant d’outils de lutte et de résistance – ; les poètes concrets des années 1950, qui se servaient du mot écrit comme d’un élément visuel de leur travail ; ou l’influence culturelle plus générale d’écrivains tels que Jorge Luis Borges, Pablo Neruda ou Octavio Paz. Au-delà de cette longue tradition poétique qui a marqué la culture visuelle latino-américaine, la juxtaposition entre texte et image s’est avérée être un champ d’exploration particulièrement riche pour les artistes confrontés à d’importants bouleversements politiques et sociaux à partir des années 1960. Face aux gouvernements autoritaires, mus par un sentiment d’urgence, nombre d’artistes ont utilisé ce moyen pour s’exprimer et communiquer dans un tel contexte. En effet, si la photographie enregistre rapidement et fidèlement la réalité, le texte permet d’étendre ou de modifier le sens de l’image. À travers ces inventions formelles, les artistes ont cherché à rendre compte de la complexité et de la violence du monde qui les entourait, et, dans certains cas à déjouer la censure. Ainsi, l’artiste chilien Eugenio Dittborn crée dans les années 1980 des « peintures aéropostales » qui, pliées et envoyées à travers le monde, s’affranchissent de l’enfermement culturel du Chili de Pinochet. Figure de proue de la photographie brésilienne, Miguel Rio Branco, quant à lui, donne à voir avec une grande poésie les laissés-pour-compte d’une société à deux vitesses.

Une diversité d’artistes et de pratiques
L’espace de liberté entre texte et image se fait le creuset d’une extrême diversité de modes d’expression et de reproduction, qui interroge la notion même d’Amérique latine. En quatre sections thématiques – Territoires, Villes, Informer-Dénoncer, Mémoire et Identités –, América Latina explore ainsi les multiples façons dont les artistes latino-américains, dépassant les techniques photographiques traditionnelles pour explorer leur monde, s’emparent d’une large gamme de médias tels que l’impression photo-offset, la sérigraphie et les collages, la performance, la vidéo et l’installation. L’artiste brésilienne Regina Silveira fait par exemple intervenir les stéréotypes communément accolés à l’Amérique latine dans To Be Continued… (Latin American Puzzle), oeuvre murale en forme de grand puzzle créée à partir d’images récupérées dans des magazines et des guides touristiques. Suivant une approche plus traditionnelle, le Vénézuélien Paolo Gasparini capture la cacophonie visuelle engendrée par la rapidité du développement urbain. Reproduisant de son côté des images issues de la presse populaire au moyen de l’impression, l’artiste argentin Juan Carlos Romero dénonce la violence frontale de la société argentine dans son oeuvre Violencia. Citons enfin une vidéo intitulée Bocas de ceniza (« Bouches de cendre »), du Colombien Juan Manuel Echavarría, portrait filmé d’hommes qui ont choisi de raconter en poésie et en chanson leur expérience personnelle de la violence de la guérilla.

La découverte de voix singulières
Afin de donner la parole à ces artistes exceptionnels, le photographe et réalisateur paraguayen Fredi Casco a voyagé à travers toute l’Amérique latine pour réaliser un film à valeur de document historique. Réalisés à l’initiative de la Fondation Cartier, ces quelque trente entretiens exclusifs offrent des portraits approfondis et personnels, proposant au visiteur de pénétrer dans l’univers créatif de chaque artiste. América Latina 1960- 2013 permet ainsi de souligner les affinités entre les artistes à travers les pays et les générations tout en reflétant la diversité des langages visuels propre au sous-continent latino-américain. Avec plus de 500 oeuvres, elle témoigne de la vitalité de l’art latino-américain et de l’héritage significatif que nous laissent ces artistes, montrant leur influence au-delà de leur territoire culturel ou géographique. Plus particulièrement, la présence importante d’oeuvres venues du Pérou, de Colombie, du Venezuela ou encore du Paraguay, permet de découvrir des scènes artistiques situées en marge des trajectoires habituelles du monde de l’art contemporain.





Parcours de l’exposition

Territoires


Terre de richesses et de diversité, l’Amérique latine a suscité depuis la fin du XVe siècle de multiples convoitises et autant de dépossessions. La délimitation des différents États qui la composent, héritage de tracés souvent arbitraires, est à l’origine d’innombrables conflits. Cette notion de territoire, intimement liée à un questionnement sur l’identité latino-américaine elle-même, se trouve donc naturellement au coeur du travail de nombreux artistes au cours des cinquante dernières années. Dans cette quête identitaire, les mots occupent une place fondamentale, servant parfois à déconstruire le terme même d’Amérique appliqué à cette région, comme dans l’oeuvre du Mexicain Damián Ortega. Chez les Brésiliennes Anna Bella Geiger et Regina Silveira, ils permettent de dévoiler les clichés et les paradoxes associés à cet espace géographique vaste et contrasté.

Certains artistes analysent la façon dont leur pays parvient à s’affirmer en tant que nation indépendante au sein de ce territoire composite marqué à jamais par l’influence coloniale. Flavia Gandolfo photographie des dessins d’écoliers afin de révéler la manière dont l’identité péruvienne se construit à travers l’enseignement de l’histoire et son interprétation subjective. L’artiste Claudio Perna, géographe de formation, explore quant à lui les éléments constitutifs de l’identité nationale vénézuélienne en intervenant sur des cartes de son pays.

La question des frontières et de la délimitation d’un territoire est par ailleurs cruciale au regard de la sauvegarde des cultures des populations indigènes. La photographe Claudia Andujar s’est ainsi investie dans la défense des Indiens Yanomami en Amazonie dont la survie et les traditions sont plus que jamais menacées par les convoitises du lobby agricole et des compagnies minières attirées par les richesses du sous-sol de leur terre.

Indomptable, incommensurable, le territoire est également un espace symbolique que les artistes cherchent à se réapproprier en l’expérimentant à travers leur propre corps. Qu’ils l’arpentent au cours de promenades visant à documenter leur ville, à l’instar de Jorge Macchi avec Buenos Aire (en collaboration avec Edgardo Rudnitsky (son) et María Negroni (textes)), ou qu’ils le traversent en étudiant méthodiquement, à la manière de sociologues, les principales facettes du phénomène touristique comme Carlos Ginzburg, les artistes investissent physiquement le territoire pour mieux l’explorer. Ce besoin de faire siennes cette terre, son histoire et sa réalité contemporaine, passe aussi par l’engagement du corps même de l’artiste, comme c’est le cas chez Letícia Parente. Pour le Chilien Elías Adasme, le corps se fait métaphore de la souffrance de son pays sous la dictature du général Pinochet, faisant se rejoindre en un seul geste performatif problématiques géographiques et politiques.


Villes

Espace contrasté et polymorphe, la ville est l’un des terrains d’exploration privilégiés de nombreux artistes latino-américains. Au cours des dernières décennies, les villes d’Amérique latine ont connu une croissance considérable et accueillent aujourd’hui plus de 80 % de la population totale du territoire. Reflets d’une évolution chaotique, les paysages urbains portent aussi bien les marques du passé que celles d’une modernisation souvent hâtive. Enseignes, affiches, graffitis : l’écrit y est omniprésent, offrant une matière première à des recherches esthétiques variées. Ces dernières sont parfois essentiellement formelles, comme la série de photographies de Bill Caro sur les murs de Lima dans les années 1980. Dans d’autres cas, elles sont mues par la volonté de dévoiler une réalité sociale faite de violence et d’inégalités. Ainsi Rosario López s’intéresse aux aménagements récents du centre-ville de Bogota qui ont pour but d’en chasser les populations les plus démunies.

Certains artistes s’attachent par ailleurs à documenter les paradoxes de la modernisation dans les villes latino-américaines. Paolo Gasparini photographie la prolifération des enseignes commerciales et des vendeurs de rue à Caracas, Lima, Montevideo ou encore Bogota, symptomatique d’un consumérisme en pleine expansion et d’une société urbaine à deux vitesses. Dans sa série Tristes Trópicos, Marcos López montre les bouleversements qui touchent les villes argentines marquées par la mutation néolibérale post-dictature. Dans une série empreinte d’une douce nostalgie, Facundo de Zuviría capte quant à lui le déclin économique particulièrement visible dans le centre-ville de Buenos Aires à travers la représentation de devantures de commerces fermées, métaphores de la crise économique qui sévit en Argentine au début des années 2000.

Les murs sont également des lieux d’expression portant la trace des convulsions politiques qui ont secoué l’Amérique latine au cours des soixante dernières années. Qu’il s’agisse de Marcelo Montecino à Managua, de Daniel González à Caracas, de Roberto Fantozzi à Lima ou encore d’Eduardo Rubén à La Havane, nombreux sont les artistes qui s’intéressent à ces « murs qui parlent », quand ils ne les utilisent pas, à l’instar de Graciela Sacco, comme support de leur propre création.


Informer-dénoncer

Marquée par une histoire récente instable et conflictuelle, l’Amérique latine a connu plusieurs décennies de violences. Dans les années 1960-1970, les mouvements révolutionnaires qui naissent dans le sillage de la révolution cubaine, notamment caractérisés par la lutte armée des guérillas, connaissent une forte répression. La mise en place de dictatures militaires extrêmement répressives, comme au Chili en 1973 ou en Argentine en 1976, ouvre une ère de terreur et de violations massives des droits de l’homme, au cours de laquelle la torture et les exécutions sommaires sont institutionnalisées. À partir des années 1980, une certaine normalisation démocratique s’installe en dépit du maintien d’enclaves autoritaires, mais l’urgence sociale, la délinquance et le crime organisé perdurent dans cette région du monde.

Dès les années 1960, face à ces différentes formes de violence, les artistes latino-américains voient dans l’art un moyen privilégié pour informer et faire passer des messages, s’appuyant dans leurs oeuvres sur la puissance des mots et des images. Certains puisent leur inspiration dans la presse où le rapport entre texte et photographie est fondamental, à l’instar d’Antonio Manuel et d’Agustín Martínez Castro. Pour dénoncer l’omniprésence de la violence dans les médias, Juan Carlos Romero associe le mot violencia à des pages de journaux à sensation argentins. D’autres, comme Herbert Rodríguez au Pérou, combinent images et slogans politiques afin de critiquer l’injustice et la violence structurelle qui sévissent dans leur pays. Intitulant ironiquement son oeuvre The Christmas Series, Luis Camnitzer dénonce quant à lui l’ingérence des États-Unis dans les affaires latino-américaines pendant les années 1960 et 1970. Plus récemment, la Colombienne Johanna Calle ou la Mexicaine Teresa Margolles utilisent dans leurs œuvres des textes provenant de lettres ou d’archives, témoignant de drames politiques ou sociaux survenus dans leur pays.

Certains artistes s’engagent également de façon directe par le biais de performances et d’actions qu’ils documentent grâce au médium photographique. À travers l’utilisation de mots et de symboles, ils témoignent – comme le Grupo de Artistas de Vanguardia – du fossé entre le discours officiel et les tensions sociales, dénoncent – comme Lotty Rosenfeld – l’autoritarisme de la dictature ou encore – comme Eduardo Villanes – l’impunité des criminels politiques.


Mémoire et identités

À partir des années 1990, après plusieurs décennies de convulsions politiques, la plupart des pays d’Amérique latine s’engagent sur la voie de la démocratie. Parallèlement, la vague néolibérale qui submerge alors le continent ne s’accompagne ni d’une baisse des inégalités ni d’un apaisement de la violence. Des revendications sociales et culturelles commencent également à se faire entendre de la part des minorités, tandis que dans le reste du monde, les cultures latino-américaines accèdent à une certaine reconnaissance.

Les artistes accompagnent les questionnements de sociétés en pleine mutation à travers des oeuvres associant textes et images. On y perçoit toute la difficulté de concilier les identités plurielles de l’Amérique latine où se mêlent cultures indigènes et héritages préhispaniques, legs africains, traditions communautaires, influences occidentales, culture populaire et culture de masse. Une démarche d’autant plus complexe que le travail de mémoire sur les drames de l’histoire récente reste encore à accomplir.

Chez de nombreux artistes, cette question de la mémoire est centrale et le recours aux documents d’archives est un moyen de revenir de façon plus personnelle sur l’histoire de leur pays. Dans son projet Buena memoria, Marcelo Brodsky s’intéresse à l’impact des disparitions survenues pendant la dictature, dont son frère a été victime, sur sa génération et la société argentine. D’autres comme Fredi Casco ou Marcos Kurtycz détournent des photographies ou des documents trouvés pour exorciser le passé et mieux se réapproprier le présent. D’autres encore tentent de redonner une dignité à des individus ou des communautés oubliés : Rosângela Rennó offre un nouveau regard sur des photographies de prisonniers de São Paulo du début du siècle dernier tandis qu’Oscar Muñoz met en lumière l’abandon économique, social et politique dans lequel vit la population du département colombien du Chocó.

Le retour sur le passé prend parfois la forme d’un pèlerinage. Ainsi Juan Manuel Echavarría et Graciela Iturbide photographient des lieux chargés de mémoire, le premier pour témoigner de l’exil forcé d’une population, la seconde pour rendre hommage à Frida Kahlo, grande figure de l’art mexicain au XXe siècle. De nombreux artistes soulèvent les paradoxes d’une société tiraillée entre tradition et modernité. Quand Maruch Sántiz Gómez représente les rituels de ses ancêtres Maya pour préserver leur culture, Susana Torres ironise sur la récupération stéréotypée de l’héritage Inca par des marques de la grande distribution. Certains artistes célèbrent la culture populaire comme Miguel Calderón, ou en détournent les codes pour formuler une critique acerbe de la société contemporaine à l’instar de Marcos López dans sa série Pop Latino.
Après une période de grands combats collectifs et d’utopies, l’heure semble aujourd’hui au retour à l’intime, que les plus jeunes artistes tels que Guillermo Iuso ou Iñaki Bonillas pratiquent avec humour. Introspectives et narratives, leurs oeuvres suivent la voie ouverte par certaines figures artistiques de la génération précédente comme le grand artiste et cinéaste Alejandro Jodorowsky.