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“Ponte City” Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse
au Bal, Paris

du 23 janvier au 20 avril 2014



www.le-bal.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse avec Diane Dufour, Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse, le 22 janvier 2014.

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1/ 2/  Michael Subotzky & Patrick Waterhouse, Ponte City, 2008-2013. © Magnum Photos.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Achevée en 1976, Ponte City est la plus haute tour résidentielle du continent africain. Ses 54 étages dominant Johannesburg promettaient une vie luxueuse et futuriste à l’élite blanche Sud-africaine. Le projet échouera, la tour abandonnée abritera trafics et prostitution et verra une tentative de réhabilitation avorter. Aujourd’hui elle est occupée par des familles noires des classes populaires.

Pendant 5 ans, Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse ont parcouru ce bâtiment et rencontré ses habitants, réalisant à travers la photographie un travail d’historien voire d’archéologue. Ils documentent ainsi l’histoire d’un rêve qui ne se réalise jamais.

Le premier espace présente le projet architectural et le confronte à sa réalité. Plans et dessins d’architectes, articles de journaux promettent un avenir radieux, une existence privilégiée. La réalité, un immense tube de béton gris, brut, ressemble aujourd’hui à un cauchemar de science fiction.

Les photographes y superposent un travail méthodique, documentaire. Ils commencent leur enquête dans les ascenseurs, colonne vertébrale de la tour, et réalisent une série de portraits des habitants actuels. Puis l’exercice devient systématique: sur un mur sont alignées les photographies de près de 200 portes d’appartements. Certaines sont fermées, d’autres ouvertes, les occupants s’approchant de l’objectif au gré des rencontres, dévoilant ou non leur intimité. A côté, les vues extérieures de toutes les fenêtres de la tour forment des centaines de facettes, visions de Johannesburg à travers les yeux de ses habitants.

Le deuxième espace nous fait pénétrer dans l’intimité des occupants de l’immeuble. En explorant les appartements abandonnés et pillés, les artistes ont récupéré ce qui y a été laissé. Romans, cassettes, cahiers d’écoliers, CVs, cartes d’étudiants ou badges d’employés, lettres, brochures religieuses, photos, emballage de produit cosmétiques, notes griffonées sont les archives désordonnées de vies, d’espoirs et de prières.

Dans l’appartement 3607 a été trouvée une imposante masse de papiers retraçant le parcours d’un réfugié de la République Démocratique du Congo. Des pages d’écriture répètent un parcours douloureux et mettent en forme les versions successives d’une histoire personnelle. Les dossiers de demande d’asile, les lettres pour tenter d’obtenir le statut de réfugié, les réponses des diverses administrations et consulats laissent apparaitre une existence dont la fragilité du statut finit par dissoudre l’identité même. Modifiant l’ordre de ses noms et prénoms sur ses différentes correspondances, l’auteur finit par modifier la consonance de ses noms.

Creusant plus profondément leurs fouilles archéologiques, les photographes trouvent au sous-sol un vestige de l’apartheid: une signalétique réservant l’accès de blocs sanitaires aux blancs, nous rappelant que le projet architectural est fondé sur l’idée de ségrégation. L’utopie de Ponte City, fondée sur de telles bases pouvait-elle devenir autre chose qu’une dystopie ?

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Le Bal présente le dernier projet du photographe sud-africain Mikhael Subotzky en duo avec Patrick Waterhouse: l’épopée visuelle sur quatre décennies de la tour qui domine Johannesburg, Ponte City.

Symbole de la prospérité de Johannesbourg au temps de l’apartheid et de la domination blanche, puis de l’effondrement du centre-ville dans les années 90 et enfin du renouveau multi-ethnique en ce début de XXIe siècle, Ponte City incarne depuis 1975 les aspirations et failles de la société sud-africaine.

Pendant cinq ans, Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse ont mené une enquête sur les visages multiples et parfois contradictoires de la tour. Par l’accumulation de signes, leur travail s’est ainsi constitué par touches, par strates pour s’inscrire dans le tout d’un long processus. Point d’aboutissement de cette immersion, l’exposition confronte plusieurs récits: données historiques (plans, brochures, coupures de presse...), typologies d’éléments architecturaux sur les 54 étages , images abandonnées dans les appartements par des migrants de passage, personnages qui donnent une voix au bâtiment, scènes poétiques de la vie quotidienne.

«Aujourd’hui la vie continue à Ponte avec son lot de faits ordinaires et extraordinaires, comme n’importe où ailleurs. Mais le bâtiment reste le support de projections contradictoires: point de focalisation des rêves et des cauchemars de la ville, vu comme un refuge ou une monstruosité, un lieu idyllique ou dystopique. Un paratonnerre captant les espoirs et les peurs de toute une société.» (Ivan Vladislavic)



Ponte City par Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse

«Certains de ces récits sont bien réels, pourtant, la notoriété de la tour amplifie toutes les projections et la malédiction de Ponte City est aussi fictive que l’utopie qui lui a donné naissance.» Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse

Ponte City surplombe la ligne des toits de Johannesburg. Ses immenses lumières publicitaires sont visibles depuis Soweto au sud et Sandton au nord. Construite en 1976, l’année des émeutes de Soweto, la tour est située au milieu des flatlands de Berea, Hillbrow et Yoeville, des quartiers alors exclusivement blancs où vivent des jeunes couples de la classe moyenne, des étudiants et des grand-mères juives. L’urbanisme de l’apartheid a mis Ponte City à l’écart des événements marquants de ces années mais l’avènement de la démocratie en 1994 provoque l’exode des blancs vers les banlieues Nord réputées plus sûres. La zone abandonnée autour de Ponte devient synonyme de crime, de décrépitude urbaine et connait un afflux massif d’immigrés des pays africains voisins.

Ponte City, emblème de l’essor de la ville au temps de la prospérité, s’effondre dans l’imaginaire collectif et la tour en vient à symboliser le déclin du centre-ville de Johannesburg. La réalité de l’édifice et les multiples fictions qui l’entourent se sont toujours entremêlées pour former un patchwork ininterrompu de mythes et de projections qui en dit autant sur le psychisme de la ville que sur le bâtiment lui-même. Sa légende s’enrichit au fil du temps de nombreuses visions de cauchemar : réseaux de trafic de crack et de prostitution qui opèrent à découvert dans les parkings, ordures qui s’amoncellent dans le vide central jusqu’au quatrième étage, serpents, fantômes et nombreux suicides. Certains de ces récits sont bien réels, pourtant, la notoriété de la tour amplifie toutes les projections et la malédiction de Ponte est aussi fictive que l’utopie qui lui a donné naissance.

En 2007, la tour est rachetée par des investisseurs immobiliers. Fin 2008, leur ambitieux projet de réhabilitation connaît un échec retentissant. C’est la faillite pour des promoteurs qui avaient promis d’investir trois cents millions de rands dans la renaissance de Ponte. Leur cible était une nouvelle génération de résidents aspirant à grossir les rangs de la classe moyenne, de jeunes professionnels noirs prêts à se hisser sur l’échelle sociale, des hommes et des femmes d’affaires originaires de tout le continent africain, et tous ceux attirés par un modèle de vie urbaine chic. Les promoteurs avaient entrepris de vider la moitié du bâtiment et de débarrasser les appartements de tout ce qui les encombrait. Les gravats ont été jetés dans la cour centrale. Les architectes ont commencé à plancher sur le réaménagement des espaces, en travaillant sur une série de thèmes exotiques (« Moderne chic », « Dynasties dorées » ou « Rock glamour »). Le plan de financement supposait de conclure quelques premières ventes sur plan. Or cela, semble-t-il, n’a pas été le cas, tout du moins pas en nombre suffisant pour faire face aux coûts de rénovation.

Lorsque nous avons démarré notre projet en 2008, le chantier des travaux allait bon train. Le bâtiment ressemblait à une coquille, dont la moitié inférieure avait été entièrement vidée tandis que les étages supérieurs accueillaient une population clairsemée. Les anciens résidents avaient déménagé à la hâte, pour céder la place aux promoteurs. Le plus souvent, leurs appartements avaient été cambriolés et saccagés. Quelques mois plus tard, lorsque le projet immobilier a fait long feu, nous avons pénétré dans chaque pièce, l’une après l’autre. Le sol était jonché des restes d’effets personnels, de photographies déchirées et autres papiers épars. Nous avons sillonné les couloirs, parcouru des étages entiers d’appartements vides. Puis, soudain, on pouvait entendre des enfants crier, percevoir l’odeur d’une friture de poisson, saisir des voix furtives ou le bruit de l’écoulement d’eau dans les canalisations. Mais ces ombres s’évanouissaient aussi vite qu’elles étaient apparues.

Nous avons rencontré dans les ascenseurs les ultimes résidents de l’immeuble et leur avons demandé de faire leur portrait. Lorsque nous les avons retrouvés chez eux pour leur remettre un tirage, les portes des appartements se sont alors ouvertes sur des modes de vie insoupçonnés: des familles entières logées dans un appartement de célibataire ; des pièces avec, pour seul mobilier, un matelas à même le sol et une gigantesque télévision ; ou encore d’immenses appartements «de standing» divisés en quatre ou cinq espaces à vivre avec, pour seules cloisons, des draps ou des appareils électroménagers.

Fin 2008, les anciens propriétaires de Ponte City ont repris possession de leur bien. Ils se sont alors attelés à la monstrueuse tâche de nettoyage des lieux et de réaménagement des appartements dépouillés de tous leurs équipements. Une nouvelle page dans la vie de l’édifice s’est alors ouverte, avant que les dernières illusions d’un avenir radieux ne soient définitivement balayées. Les affiches vantant les mérites de la « Nouvelle Ponte » ornent encore le hall d’entrée. De nombreux résidents passent devant tous les jours, convaincus que leur immeuble ressemblera un jour à ces clichés fantasmés.

Nous avons entrepris de répertorier systématiquement les éléments architecturaux de Ponte City en prenant une photo de chaque porte et de la vue extérieure de toutes les fenêtres de chaque appartement. Puis nous avons juxtaposé ces photographies les unes aux autres pour en faire de gigantesques panoramiques de l’intérieur et de l’extérieur, en suivant la structure exacte du bâtiment. A mesure que nous avancions, nous nous sommes rendu compte que la quasi-totalité des habitants avait les yeux rivés sur leur écran de télévision et nous avons ainsi passé des heures avec eux à regarder de vieux films de Rambo, des sitcoms congolaises, des clips musicaux et des comédies de Nollywood. Toutes les histoires qui circulaient autour de Ponte City ont ainsi défilé sous nos yeux : gangsters et barons de la drogue, règlements de compte et prostituées, fantômes et magie vaudou. Mais les scènes ne se déroulaient pas dans l’immeuble lui-même, où de jeunes gens et des familles vaquaient à leurs occupations, mais sur les centaines d’écrans empilés, d’un étage à l’autre, d’un appartement à l’autre.

Ponte City a toujours été un lieu propice aux mythes, aux illusions et aux aspirations ce que nous avons voulu saisir par ces typologies visuelles. Mais peut-être cette vocation s’illustre-t-elle le mieux dans les images trouvées dans les appartements laissés à l’abandon ou sur les supports publicitaires de 1976 à 2008 glanés ici et là. Dans toutes ses contradictions, la ville surgit de ces documents tel un lieu de poussière et de rêves, qui sied à la terre sur laquelle elle est posée et qui a attiré des millions de migrants depuis la découverte d’or dans les années 1880. Les migrants continuent d’y affluer, venus du continent entier, en quête d’une vie meilleure. Mais cet eldorado fatalement ne permet de réaliser que les rêves d’un petit nombre. Tout autour d’eux, ceux qui ont cru en leur destin se retrouvent éparpillés dans une métropole moderne – épinglant leurs rêves sur les enseignes clignotantes qui dominent la ville et certains de ses gratte-ciel.

Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse




Mikhael Subotzky
Né en 1981 à Cape Town, Afrique du Sud, Mikhael Subotzky vit actuellement à Johannesburg.
Il travaille depuis 8 ans sur l’intérieur et l’extérieur des principales prisons d’Afrique du Sud, la petite ville de Beaufort West et la tour de Ponte City. Mikhael Subotzky a été exposé dans de nombreuses galeries et musées dans le monde et ses photographies sont notamment entrées dans les collections du Museum of Modern Art (New York), du Victoria and Albert Museum (Londres) et de la South African National Gallery (Cape Town). Sa première monographie, Beaufort West (Chris Boot Publishers), a été le sujet d’une exposition en 2008 : New Photography: Josephine Meckseper and Mikhael Subotzky au MoMA de New York. Il publie Retinal Shift en 2013 (éditions Steidl).

Patrick Waterhouse
Né en 1981 à Bath, Royaume Uni, Patrick Waterhouse a été diplômé du Camberwell College of Art en 2003.
Son travail une variété de medium : dessin, photographie, livre d’artiste. Il a récemment travaillé sur une version illustrée de l’Enfer de Dante. Il est également actuellement co-rédacteur en chef du magazine COLORS. Les oeuvres de Patrick Waterhouse ont été exposées dans de nombreux lieux tels que la South African National Gallery, la Goodman Gallery à Cape Town, Art Basel, le Design Museum London, la Walther Collection.