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“Mathieu Pernot” La traversée
au Jeu de Paume, Paris

du 11 février au 18 mai 2014



www.jeudepaume.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 10 février 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Mathieu Pernot, Sans titre, 2007, Série Fenêtres. Tirage lambda contrecollé sur aluminium. 130 x 190 cm. Édition de 7. Collection de l’artiste. © Mathieu Pernot.
2/  Mathieu Pernot, Mickael, Arles, 2013, Série Le Feu. Tirage jet d’encre, contrecollé sur dibond. 72 x 100 cm. Édition de 7. Collection de l’artiste. © Mathieu Pernot.
3/  Mathieu Pernot, Photomaton, 1995-1997, Série Photomatons. Photomaton couleur, tirage unique. 4,8 x 4 cm. Collection de l’artiste. © Mathieu Pernot.

 


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Interview de Mathieu Pernot,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 10 février 2014, durée 3'17". © FranceFineArt.

 


texte de Noemi Didu, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Les œuvres présentées dans cette exposition sont issues de séries réalisées au cours de vingt dernières années et sélectionnées par Marta Gili, directrice du Jeu de Paume et commissaire de l'exposition, et par l'artiste lui-même. Une nouvelle création, Le Feu, a été conçue spécialement pour l'exposition.

En utilisant une approche documentaire faite d'enquêtes, recueils, récits et réemploi de documents d'archives, Mathieu Pernot interroge la notion d'usage du médium photographique et la diversité des modes de représentation.

L'idée de traversée est très présente dans l'oeuvre du photographe d'une part de par certains de ses sujets (Tsiganes, migrants), d'autre part par la présence des mêmes individus au sein de séries réalisées à des périodes différentes, « personnages traversés par ces histoires au fil du temps ».

L'exposition est elle-même une traversée dans l'oeuvre de Mathieu Pernot car elle réunit les thématiques sur lesquelles se concentre son travail: l'enfermement – géographique, physique, social – dans les séries Un camp pour les bohémiens, Panoptique, Les hurleurs ; l'itinérance, le déplacement – Les migrants, Les Cahiers afghans ; l'urbanisme – Implosions, Fenêtres, Le Meilleur des mondes.

Les différentes séries présentées semblent suggérer une lecture de l'oeuvre de Mathieu Pernot comme une tentative d'écriture d'une histoire contemporaine à partir des personnes vivant à sa marge, une histoire chorale et non figée.

Noemi Didu

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires :
Mathieu Pernot et Marta Gili




Mathieu Pernot, né en 1970 à Fréjus, vit et travaille à Paris. Après des études d’histoire de l’art à la faculté de Grenoble, il entre à l’École nationale de la photographie d’Arles, d’où il sort diplômé en 1996. Son oeuvre s’inscrit dans la démarche de la photographie documentaire mais en détourne les protocoles afin d’explorer des formules alternatives et de construire un récit à plusieurs voix. L’artiste procède soit par la réalisation de séries – parfois en résonance entre elles à travers personnages, chronologies ou thèmes –, soit par la rencontre avec des images d’archives. Dans tous les cas, ce nomadisme d’images et de sujets souligne son souhait d’éviter un récit de l’histoire à sens unique. Le déplacement perpétuel de ses images évoque donc une réalité qui est loin d’être figée ou immuable. L’exposition du Jeu de Paume présente une sélection de séries réalisées par l’artiste au cours des vingt dernières années. Elle met en espace un nouveau montage faisant dialoguer des corpus d’images et d’objets et établit une forme de traversée dans son oeuvre, jusqu’à sa dernière pièce, Le Feu, produite spécialement pour l’exposition.

Que ce soit par son propre travail de prise de vue, par l’appropriation de photographies ou d’autres types de documents d’archives, Mathieu Pernot interroge ainsi la diversité des modes de représentation et la notion d’usage du médium photographique. Ce travail dialectique d’enquêtes, de recueils, de récits, d’images photographiques est caractéristique de toute l’oeuvre de Mathieu Pernot.

L’idée de traversée, de déplacement et de passage, très présente dans son oeuvre, est un élément récurrent de l’exposition présentée au Jeu de Paume. Elle s’incarne aussi bien dans la nature nomade et fragile des personnes photographiées – Tsiganes, migrants, etc. – que par la présence des mêmes individus au sein de corpus d’images différents. Ils deviennent ainsi comme des personnages traversés par ces histoires au fil du temps.

L’exposition « La Traversée » propose la mise en forme d’une histoire contemporaine incarnée par des personnages vivant à sa marge.
Il y a une question spécifiquement photographique dans le fait de montrer des populations vivant à la marge. Comment photographier les “invisibles”, comment faire une image de ceux qui revendiquent une forme d’opacité ? Comment inscrire ces images à la fois dans l’histoire de la photographie et dans celle de ces communautés invisibles ? Mathieu Pernot, Les Prisons photographiques

L’exposition s’ouvre sur la série Photomatons, premier travail réalisé entre 1995 et 1997 avec des enfants gitans dans la commune d’Arles, pour s’achever sur leurs portraits pris en 2013 dix-sept ans plus tard pour « La Traversée ». Entre ces deux séries et au coeur de l’exposition, on retrouve ces mêmes personnes, en 2001-2004, dans la série Les Hurleurs.

Sont également montrés des travaux liés à la question des migrations (Les Migrants, Giovanni, Les Cahiers afghans), de l’urbanisme (Le Grand Ensemble incluant Implosions, Le Meilleur des mondes, Les Témoins ; Les Fenêtres) et de l’enfermement (Panoptique et Un camp pour les bohémiens), avec notamment la présentation de dessins (Le Dernier Voyage) réalisés en écho aux photographies.

Dans la série Le Feu, produite spécialement pour l’exposition, Mathieu Pernot remet en scène un rituel pratiqué chez les Roms qui consiste à faire brûler la caravane d’un défunt. En contrechamp de cette image d’incendie, il photographie des personnes (les mêmes que l’on trouve plus tôt dans certaines séries présentées dans l’exposition) dont le visage est éclairé par la lumière du feu.



Les oeuvres présentées
Dans la pratique documentaire de Mathieu Pernot, ce sont les liens et les relations entre les images, leur ordre et leur désordre qui configurent une dimension quasi cartographique de l’expérience entre individus, géographies, temps et récits. Intitulée « La Traversée », l’exposition organisée par le Jeu de Paume, en étroite collaboration avec l’artiste, réunit un ensemble de travaux réalisés au cours des vingt dernières années, tout en mettant l’accent sur une nouvelle oeuvre spécialement conçue pour cette occasion, Le Feu.

Photomatons, 1995-1997
Ces portraits d’enfants tsiganes ont été réalisés dans une cabine Photomaton de la gare d’Arles, à proximité du campement des familles. Mathieu Pernot était allé à leur rencontre et avait commencé à les photographier lors de ses études à l’École nationale de la photographie. Tout en répondant à une demande des familles qui avaient besoin de portraits d’identité pour des documents administratifs, le photographe confronte ici les enfants à un dispositif normatif dont, par leurs attitudes, ils traduisent et subvertissent les contraintes. Après le passage d’une vingtaine d’entre eux devant l’objectif, les portraits de chacun de ces enfants modèles furent partagés avec Mathieu Pernot.

Un camp pour les bohémiens, 1998-1999
Découvrant dans les Archives départementales des Bouches-du-Rhône les carnets anthropométriques d’internés du camp de Saliers, près d’Arles, Mathieu Pernot décide de faire le récit de cet épisode méconnu de l’Occupation. Créé en 1942 par le régime de Vichy, mais s’appuyant sur la législation de la IIIe République, Saliers fut le seul camp d’internement français exclusivement destiné aux Tsiganes. À partir des documents trouvés et de travaux d’historiens, l’auteur retrace l’origine et le fonctionnement du camp. Il retrouve quelques internés et confronte leurs souvenirs avec les archives produites par l’administration de l’époque. Des portraits actuels répondent aux photographies anthropométriques et leurs déplacements, l’année précédant les arrestations, sont transposés en tracés cartographiques, d’après les indications des carnets de circulation. Mathieu Pernot restitue ici au présent des itinéraires de vie, en interrogeant l’acte de faire l’histoire d’une communauté dont la mémoire ne se transmet pas par l’écrit.

Le Dernier Voyage, 2007
Les dessins représentent des cartographies de familles nomades dans l’année qui a précédé leur assignation à résidence et leur internement dans des camps français durant l’Occupation. Ces tracés ont pu être reconstitués grâce aux carnets anthropométriques conservés aux archives départementales des Bouches-du-Rhône et que les familles avaient l’obligation de faire viser en gendarmerie à chacun de leur déplacement. Le fragile trait noir traversant l’espace normé du papier millimétré fait se superposer deux façons de représenter et de traverser l’espace ; à l’irrégularité du déplacement des nomades semble s’opposer le quadrillage de l’espace sédentaire.

Panoptique, 2001
Les photographies de cette série ont été réalisées dans plusieurs établissements pénitentiaires français, selon une procédure d’enregistrement méthodique (chambre 4 x 5, trépied, vue à l’horizontale), à la manière des relevés métriques ou architecturaux. Elles montrent comment ces lieux de détention et de surveillance ont été pensés comme des « machines à voir », dont le dispositif optique constitue un élément déterminant de leur architecture. Dans les cours de promenade des quartiers d’isolement, les grilles, câbles et filets construisent des points de vue en perspective, tout en faisant converger le regard vers un mur : de ces lignes de fuite, aucune échappée hors du cadre ne semble possible.

Les Hurleurs, 2001-2004
Énigmatiques d’abord, ces individus à la pose théâtrale sont photographiés alors qu’ils hurlent dans des décors urbains. Hommes et femmes de différents âges, tous cadrés à mi-corps, ils évoquent un choeur antique criant, devant nous spectateurs, une vérité que nous ne pouvons pas entendre. Les images ont pour hors champ des prisons du Sud de la France et de Barcelone. Leurs protagonistes sont des proches des détenus avec lesquels ils tentent de communiquer par-delà les murs d’enceinte. La tension des corps manifeste la contrainte invisible de la détention et la difficulté à communiquer qu’elle implique. Nouvelle variation à partir du genre traditionnel du portrait, la série forme un contrepoint aux espaces vides photographiés par Mathieu Pernot à l’intérieur des prisons.

Implosions, 2000-2008
Ces implosions d’immeubles ont été photographiées dans les banlieues de grandes villes françaises au plus fort des débats sur la « rénovation urbaine ». Plutôt que de mener une enquête au long cours, Mathieu Pernot adopte le point de vue du reporter venu quelques heures couvrir l’événement. Mais s’il recourt encore une fois aux codes de la photographie, c’est toujours pour mettre en question les représentations dominantes. Symboles spectaculaires d’une « politique de la ville » bien intentionnée, ces implosions illustrent une volonté de faire table rase de tout un pan de notre mémoire et peut-être aussi des habitants qui en furent les premiers témoins. Alignant hors contexte les barres dynamitées, Mathieu Pernot révèle sous le consensus apparent l’acte de guerre. Paradoxalement, ces grands vaisseaux modernes, saisis dans un nuage de fumée à l’instant même du naufrage, retrouvent ici la beauté des tableaux d’histoire.

Fenêtres, 2007
Cette série est issue d’une commande publique du Centre national des arts plastiques, associant Le Point du Jour et la Ville de Cherbourg. Elle montre les vues offertes par des logements sociaux destinés à être détruits dans le cadre d’une « opération de renouvellement urbain ». Formant des polyptyques, les images ont été prises dans plusieurs pièces situées au même étage ou dans une même pièce à des étages différents. Si les volumes en béton se répètent, les fenêtres donnent des visions variées de la nature environnante. Ainsi apparaît un écart entre une géographie spécifique, une architecture préfabriquée, et la vie vécue ici par les habitants. À partir de quelques restes de papier peint, la rêverie devient spéculation sur la photographie, héritière de la peinture. Sur fond de ruines modernes, les paysages presque romantiques semblent des trompe-l’oeil qui suggèrent une mise en abyme : ces pièces percées d’une ouverture par laquelle entre la lumière sont à l’image de la chambre photographique, et ces photographies de fenêtres autant d’images du « tableau comme fenêtre ouverte sur le monde ».

Le Meilleur des mondes, 2006
Le Meilleur des mondes est une collection de soixante cartes postales, éditées entre les années 1950 et 1980, que Mathieu Pernot a reproduites et agrandies. Elles montrent des quartiers d’habitat collectif construits durant cette période dans les banlieues françaises et considérés alors comme des symboles de progrès. Pour la plupart réalisées en noir et blanc, les photographies étaient colorisées, souvent de façon maladroite, avant impression. Ces images d’Épinal modernes témoignent d’une vision fantasmée de l’urbanisme des Trente glorieuses. Hier porteurs de toutes les promesses, les grands ensembles sont aujourd’hui accusés de tous les maux. Aux cartes postales paisibles, ont fait suite les vues brutales d’implosions. Mais, en miroir inversé, c’est sans doute la même utopie dirigiste que ces deux représentations traduisent.

Les Témoins, 2006
La série des Témoins est constituée de détails de personnages figurant sur les cartes postales des grands ensembles. Ces personnes à la silhouette imprécise semblent être sur le point de disparaître sous la trame de l’image. Ils observent, se retournent, courent ou se cachent et semblent faire face à une réalité les affectant directement. Acteurs désincarnés d’une pièce dont la fin est connue d’avance, ils semblent rejouer l’histoire dont ils sont à la fois spectateurs et protagonistes, affirmant ainsi la part théâtrale et narrative du dispositif.

Les Migrants, 2009
Sous ces drapés sculpturaux et fragiles, se devinent des corps qui pourraient être morts. Étendus souvent à même le sol, ils évoquent les victimes d’un crime banal autant que de majestueux gisants anonymes. Mathieu Pernot a photographié ces migrants afghans très tôt le matin à proximité d’un square où ils se retrouvent dans le 10e arrondissement de Paris. Réalisées rapidement, entre le lever du jour et l’intervention habituelle de la police, les images donnent à voir la présence fantomatique des clandestins dans la ville. Après les journées d’errance sous des regards indifférents ou hostiles, la nuit devient presque un asile. Invisibles et silencieux, réduits à l’état de simple forme, ils se reposent et semblent se cacher, comme s’ils voulaient s’isoler d’un monde qui ne veut plus les voir.

Les Cahiers afghans, 2012
En 2012, Mathieu Pernot rencontre Jawad et Mansour, tous les deux Afghans réfugiés à Paris. Il confie à Jawad des cahiers d’écolier pour qu’il y écrive le récit de son voyage de Kaboul à Paris. Celui-ci y inscrit le récit d’une épopée moderne – histoire en négatif de la mondialisation. Mansour a, quant à lui, prêté les cahiers qu’il utilisait pour ses cours de français, dans lesquels des mots et des phrases de première nécessité étaient traduits en langue dâri. Encadrés et accrochés, ces écrits mettent en forme un récit de l’exil contemporain.

Le Feu, 2013
Produite par le Jeu de Paume, cette série a été réalisée avec des Tsiganes installés à Arles. Plusieurs d’entre eux apparaissent régulièrement dans le travail de Mathieu Pernot depuis 1995. Un enfant des photomatons, devenu hurleur, est aujourd’hui un adulte éclairé par le feu. En contrechamp, la caravane ayant appartenu à l’une de ces familles brûle dans la nuit. Rituel spécifique à cette communauté, se déroulant lors du décès du propriétaire de la caravane, la scène pourrait tout autant participer d’une action délictueuse. Le symbole incendié est au coeur de vieilles légendes. Comme des photogrammes extraits d’un film, les images laissent le spectateur tenter seul de comprendre le sens de ce qui lui est montré.