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“Mathieu Pernot et Philippe Artières” L’asile des photographies
à la maison rouge, Paris

du 13 février au 11 mai 2014



www.lamaisonrouge.org

 

© Anne-Frédérique Fer,vernissage presse, le 12 février 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Anciennes salles de bain, hôpital de Picauville (Manche), 2010 Photographie : Mathieu Pernot.
2/  Kermesse, hôpital de Picauville (Manche), sans date. Photographe inconnu. Archives Fondation Bon-Sauveur.
3/  Le Dortoir des agités, Picauville, 2010, installation réalisée et photographiée par Mathieu Pernot sur le site de l'hôpital.

 


texte de Noemi Didu, rédactrice pour FranceFineArt.

 

L'exposition “L'asile des photographies” est le résultat d'un travail commun mené pendant trois ans par le photographe Mathieu Pernot et l'historien Philippe Artières. Le point du départ de ce projet a été une commande faite en 2010 par la Fondation Bon-Saveur au centre d'art Le Point du Jour pour la réalisation d'un travail artistique à partir des archives de l'hôpital psychiatrique de Picauville, près de Cherbourg dans la Manche qui allait être en partie démoli. Le Point du Jour a décidé de confier ce projet de mémoire à Mathieu Pernot et Philippe Artières, les deux ayant déjà travaillé ensemble sur d'autres projets et ayant des pratiques proches d'utilisation de documents d'archive.

L'exposition issue de ce travail de fouille se compose de photographies vernaculaires et vidéos anonymes datant des années 1930 aux années 1980, de dossiers médicaux, documents administratifs, correspondances, photographies de Mathieu Pernot et d'une installation. Un livre édité par le Point du Jour a également été réalisé. « L'asile des photographies » est à la fois l'histoire non linéaire d'un lieu à travers des documents et des images au statut différent - photographies, vidéos, cartes postales - des bâtiments voués à la démolition et des personnes y ayant travaillé - personnel médical et bonnes sœurs - ou séjourné - les malades -. Mais l'exposition est aussi une histoire de la photographie vue de l'intérieur d'un milieu fermé - celui de l'hôpital psychiatrique - car elle témoigne des multiples usages du médium photographique - portrait, photographie d'architecture, photographie de vacances etc... - .

Les images d'archives dialoguent avec celles contemporaines réalisées par Mathieu Pernot qui dégageant des thèmes chers à son travail : la communauté, l'enferment - physique et psychologique - et l'architecture comme outil politique de ségrégation. De cette proximité entre images d'archive et images contemporaines surgissent des questionnements sur le statut de l'image documentaire, sa finalité et son usage. En parcourant l'exposition, le visiteur est frappé par l'absence de dramatisme car nous sommes loin de toute représentation stéréotypée de la folie. Nous avons presque l'impression de parcourir un album de famille avec ses images de repas, kermesses, bals masqués, sorties en plein air. En nous montrant cette famille certes un peu particulière, l'exposition interroge également les notions de normalité et de vivre ensemble, malgré tout.

Noemi Didu

 


extrait du communiqué de presse :

 

"En 2010, nous avons été invités à travailler par Le Point du Jour et la Fondation Bon-Sauveur sur les archives de l’hôpital psychiatrique de Picauville, dans la Manche, à une quarantaine de kilomètres de Cherbourg. Cette invitation faisait suite à une demande adressée par la Fondation au Point du Jour : les vieux bâtiments de l’hôpital seraient bientôt détruits ; il fallait, d’une manière différente, conserver la mémoire du lieu. Première originalité du projet, c’est une institution médicale qui avait sollicité une institution culturelle installée sur le même territoire. Nous ne savions pas précisément ce que nous trouverions mais on nous avait indiqué qu’un service audiovisuel animé par un infirmier passionné, Léon Faligot, disposait de films et de photographies anciennes ; parallèlement, nous aurions libre accès aux archives écrites de l’hôpital, et notamment aux dossiers médicaux datant parfois d’avant la Seconde Guerre mondiale. En découvrant les centaines d’images, des années 1930 à nos jours, conservées dans ces nombreux cartons, pochettes, classeurs, nous avons eu immédiatement le sentiment d’être tombés sur un trésor oublié." Mathieu Pernot et Philippe Artières.



La plupart des images n’étaient pas légendées, on n’en connaissait ni les auteurs, ni les personnes représentées, mais le corpus était formidablement divers et témoignait, outre de la vie d’une institution, de tous les usages du médium : portrait d’identité, photographie d’architecture, imagerie médicale, photographie de vacances, reportage de presse, instantanés domestiques, cartes postales ou images officielles. Très vite, s’est imposée à nous l’idée que ce corpus constituait moins l’histoire en images d’une institution, emblématique de l’évolution de la psychiatrie, qu’une histoire de la photographie vue depuis l’hôpital, lieu de vie à la fois spécifique et banal – une histoire non marginale mais à la marge, une sorte d’asile des photographies. Ainsi, s’établissait une correspondance entre la nature et le sujet de ces images : ici, pas de grands noms, ni le plus souvent d’événements remarquables mais le quotidien d’anonymes ; pas de chefs d’oeuvre bien composés mais l’éclat du réel que la photographie enregistre. Si quelques images pouvaient évoquer le San Clemente de Raymond Depardon, les hystériques de Charcot ou encore les « monstres » de Diane Arbus, les instantanés de Picauville – repas, kermesses, vacances – renvoyaient à une forme de normalité, celle de l’iconographie familiale. Ils formaient un contrepoint inédit à la vision dramatisée de la « folie », dominante depuis le XIXe siècle. Plutôt que de nous servir de ce corpus pour faire, chacun de notre côté, notre travail habituel d’historien ou d’artiste, nous avons voulu en faire la matière même d’une élaboration commune au cours des trois ans qu’a duré ce projet. L’exposition et le livre qui en résultent sont des montages où notre vision voisine avec celles des bonnes soeurs, des médecins, des patients et de leurs familles qui, comme nous, ont connu Picauville. L’Asile des photographies ne prétend donc pas à l’exactitude, quoiqu’il s’agisse de documents, ni a fortiori à l’exhaustivité, bien que fidèle à leur diversité. Il traduit avant tout une expérience, la nôtre, inscrite dans une histoire collective, et comme telle multiple. Nous remercions chaleureusement la Fondation Bon-Sauveur ainsi que les « gens de Picauville », de nous avoir offert cette liberté.



Mathieu Pernot et Philippe Artières

Depuis une quinzaine d’années, Philippe Artières et Mathieu Pernot ont abordé, l’un en historien l’autre en artiste, des objets semblables à travers des formes qui tiennent de l’inventaire et de la mise en scène. C’est cette proximité de pratiques, devenue au fil du temps amicale, qui a conduit Le Point du Jour à leur proposer de travailler ensemble sur les archives de l’hôpital de Picauville. En 2004, Mathieu Pernot demande à Philippe Artières un texte destiné à accompagner les images de Hautes Surveillances (Actes Sud). Montrant l’intérieur vide de la prison comme une scène de théâtre et des proches qui s’adressent aux détenus depuis l’extérieur en hurlant, ces séries rendent compte de l’ordre carcéral mais aussi des libertés, infimes, prises par ceux qui y sont soumis. Philippe Artières et Mathieu Pernot collaboreront ensuite à deux autres livres expositions collectifs consacrés à l’enfermement : Archives de l’infamie. Michel Foucault, un musée imaginaire (Bibliothèque municipale de Lyon / Les Prairies ordinaires, 2009) ; L’Impossible photographie. Prisons parisiennes 1851-2010 (Musée Carnavalet / Paris-Musées, 2010).

Évidemment importante dans le travail de Philippe Artières, l’archive est aussi présente dans celui de Mathieu Pernot. Pour son livre Un camp pour les bohémiens (Actes Sud, 2001), il a travaillé sur les carnets anthropométriques des nomades du camp de Saliers, à côté d’Arles, créé par le régime de Vichy. Dix ans plus tard, Philippe Artières explorera ces mêmes archives départementales des Bouches du- Rhône pour l’exposition «Du bateau à la cité, l’enfermement à Marseille XVIIIe-XXe siècles ». L’attention aux systèmes répressifs n’exclut pas un intérêt commun « pour une histoire de l’ordinaire », selon le sous titre de Rêves d’histoire de Philippe Artières (Les Prairies ordinaires, 2006). Ce livre raconte sa pratique vagabonde des archives et les objets à la frontière du politique et de l’intime qu’elles suggèrent au chercheur. Le Grand Ensemble (Le Point du Jour, 2007) de Mathieu Pernot pourrait être un de ces objets. Le photographe y mêle ses images d’implosions d’immeubles en banlieue à des cartes postales de ces quartiers au temps de leur splendeur. Agrandissant les personnages minuscules et associant les brefs messages présents sur les cartes, il rappelle cette humanité oubliée du fonctionnalisme architectural et du « renouvellement urbain ». Les deux derniers livres de l’artiste et de l’historien révèlent à nouveau, sous de grandes questions politiques, le parcours d’individus anonymes. Dans Les Migrants (GwinZegal, 2012), Mathieu Pernot évoque la situation de migrants en montrant les restes de leur campement et des cahiers manuscrits dans lesquels ils racontent leur vie, plutôt qu’en réalisant un reportage traditionnel. Dans Vie et mort de Paul Gény (Le Seuil, 2013), Philippe Artières préfère, lui, le récit à l’étude pour enquêter sur l’assassinat d’un de ses aïeux jésuite par un « fou » à Rome dans l’entre-deux-guerres. Chacun de ces livres opère un usage croisé de l’image et du texte qui n’est ni illustration ni commentaire. Ils font émerger un sujet hors de l’autorité d’un discours scientifique ou de l’affirmation d’un style artistique. Ils laissent place à l’imaginaire pour comprendre les faits. C’est à nouveau cette voie, documentaire et allusive, qu’ont empruntée Philippe Artières et Mathieu Pernot dans L’Asile des photographies.

Mathieu Pernot a, entre autres, exposé à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (2009), au musée Nicéphore-Niépce (2007) et aux Rencontres d’Arles (2007, 2002 et 1997). Il est l’auteur de dix livres depuis Tsiganes (Actes Sud, 1999).

Directeur de recherches du CNRS à l’EHESS, Philippe Artières a publié La Vie écrite. Thérèse de Lisieux (Les Belles Lettres, 2011), D’après Foucault. Gestes, programmes, luttes, avec Mathieu Potte-Bonneville, (Les Prairies ordinaires, 2007) et Le Livre des vies coupables. Autobiographies de criminels, 1896-1909 (Albin- Michel, 2000). En 2013, il a dirigé, au Point du Jour, La Révolte de la prison de Nancy. 15 janvier 1972.