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“Bill Viola”  article 1250
au Grand Palais, Paris
du 5 mars au 21 juillet 2014



www.grandpalais.fr

 

© Annie Viannet, présentation presse, avec la présence de l'artiste Bill Viola, le 3 mars 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Bill Viola, Ascension, 2000, installation vidéo sonore, 10 minutes. performeur : Josh Coxx. Bill Viola Studio, Long Beach, Etats-Unis. Photo Kira Perov.
2/  Bill Viola, The Dreamers (détail), 2013, installation vidéo sonore, sept écrans plasma verticaux, quatre canaux stéréo, en continu. Performeuse : Madison Corn. Collection Pinault. Photo Kira Perov.
3/  Bill Viola, Going Forth By Day (détail), 2002, « First Light » (panneau 5), installation vidéo sonore, cycle de cinq projections, 36 minutes. Performeurs : Weba Garretson, John Hay. Collection Pinault. Photo Kira Perov.

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Un rythme de déambulation lent et silencieux s’installe dès les premières salles. Un circuit nous conduit d’une pièce à l’autre, d’une semi-pénombre à un clair-obscur enveloppant, lancinant, dans une scénographie conçue au minima : peu de bancs, pas de chaises, le spectateur se doit d’être en mouvement, ou de s’allonger par terre, lorsqu’il le peut ; dans chaque pièce, écrans et léger halo lumineux circulaire offrent une faible luminosité. Le halo plus que de marquer la place du spectateur, ouvre à sa présence, comme si celle-ci était constitutive de l’œuvre. Une scénographie qui évoque tout à la fois la pénombre de la salle de cinéma, la solennité et le recueillement de l’édifice religieux et la spatialisation du musée.

Bill Viola cultive ces entre-deux et symbioses formelles qui favorisent une appréhension sensorielle de son œuvre. Un entre-deux instauré par une oscillation entre la fixité et le mouvement, entre l’art pictural et la vidéo, et qui lui permet d’animer des représentations jusque là figées dans la matière. Un entre-deux qui laisse s’infiltrer la possibilité du mirage, du rêve et du miracle, avec aussi les risques de fusion et de disparition du sujet que cela comporte. C’est l’effacement du plongeur de The reflecting pool (1977-1979), figé dans son mouvement de recroquevillement au-dessus de l’eau avant le saut. Le corps se dissoudra finalement lentement dans l’image avant la chute. C’est la disparition des deux corps vieillissants qui s’observent à la lumière avant de se résorber dans l’ombre envahissante (Man searching for immortality/ woman searching for eternity, 2013). C’est la fusion des éléments, l’eau et le feu, qui se réunissent souvent pour atteindre un plaisir esthétique qui nous porte au-delà de l’angoisse de dissolution (Fire birth dans Going forth by day (2002), Woman Fire (2005).

C’est un entre-deux et une fusion qui ouvrent le temps du passage, mouvement central qui marque toute l’œuvre de Bill Viola. Un passage de la vie à la mort, comme du néant au vivant, à la naissance ou même la résurrection. Le moment du passage introduit par une lenteur, un ralentissement omniprésent provoque une tension permanente chez le spectateur toujours dans l’attente du point culminant. Une attente poussée à son paroxysme dans l’installation Going forth by day (2002), où la projection simultanée de cinq vidéos sur les différents murs de la pièce nous porte dans la situation impossible de tout suivre à la fois, et nous contraint à prendre le temps de voir.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Jérôme Neutres, conseiller du Président de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais
Kira Perov, directrice du Studio Bill Viola et collaboratrice de Bill Viola
scénographie : Bobby Jablonski, directrice artistique du Studio Bill Viola et Gaëlle Seltzer, architecte à Paris




Avec vingt oeuvres magistrales, soit plus de trente écrans et des heures d'images, Bill Viola au Grand Palais constitue l’une des plus larges rétrospectives consacrées à l'artiste. L'oeuvre de Bill Viola a été présentée et célébrée dans les plus grands musées : première rétrospective au Whitney Museum de New York en 1997, MOMA à New York, National Gallery de Londres, Mori Art Museum de Tokyo, J. Paul Getty Museum à Los Angeles, Guggenheim Museum (Bilbao, Berlin, New York)... Il manquait une rétrospective en France, où si Bill Viola est peu présent dans les collections nationales, il a été cependant très tôt identifié comme un grand artiste (présentations au Musée d'art moderne de la ville de Paris en 1983, à la Fondation Cartier en 1990, au Musée de Nantes en 1991, au Festival d'automne en 1996).

L’usage de la technologie vidéo par Bill Viola convoque un univers d’images digitales s'inscrivant dans l’histoire de l'art. On trouve dans l’exposition des références aux grands maîtres tels que Goya (The Sleep of Reason, 1988) et Jérôme Bosch (The Quintet of the Astonished, 2000). Le spectaculaire polyptyque Going Forth By Day (2002) forme un vaste ensemble mural de tableaux digitaux dans le même esprit que les fresques de Giotto dans la basilique Saint-François d'Assise - sommet inégalé de l'installation artistique selon Viola et référence ultime de l'artiste.

Les quatre décennies de l'oeuvre de Viola sont représentées dans l’exposition du Grand Palais, de The Reflecting Pool (1977-79) à The Dreamers (2013) : films vidéos (Chott El Djerid (A Portrait in Light and Heat), 1979), installations monumentales (The Sleep of Reason, 1988), portraits sur plasma (The Quintet of the Astonished, 2000), pièces sonores (Presence, 1995), sculptures vidéos (Heaven and Earth, 1992), oeuvres intimistes (Nine Attempts to Achieve Immortality, 1996) ou superproductions (Going Forth By Day, 2002). Tous les genres de l'oeuvre de Bill Viola sont là, et toutes ses grandes séries emblématiques, des Buried Secrets du pavillon américain de Venise en 1995 (The Veiling) aux Angels for the Millennium (Ascension, 2000), des Passions (Catherine's Room, 2001) à The Tristan Project (Fire Woman et Tristan’s Ascension, 2005), des Transfigurations (Three Women, 2008) aux Mirages (The Encounter, 2012).

Pensée par l’artiste comme un voyage introspectif, cette exposition propose un itinéraire en trois temps, autour des questions métaphysiques majeures : Qui suis-je ? Où suis- je ? Où vais-je ? Dans ses oeuvres, Bill Viola interroge la vie, la mort, la transcendance, la renaissance, le temps et l'espace, utilisant souvent la métaphore d’un corps plongé dans l’eau pour représenter la fluidité de la vie. Ses images cherchent à fournir une autre perception de ces questions fondamentales qui caractérisent l'existence humaine. Une dimension qui confère à son travail une puissance d'universalité particulière, au-delà de tout courant ou de toute mode, et qui explique que cet oeuvre vidéo fascine depuis quarante ans aux quatre coins du monde.




Extraits du catalogue - La métaphysique de Bill Viola par Jérôme Neutres

La palette digitale de Bill Viola

[…]
«Ré-apprendre à regarder »

« Je suis né en même temps que la vidéo », dit souvent Bill Viola, qui vit le jour en 1951. Plasticien dans l'âme, il passe sa jeunesse à dessiner. A l'université de Syracuse, en 1970, il s'ennuie dans le département Publicité où ses parents l'ont inscrit, jusqu'à ce qu'un professeur fou, Jack Nelson, le réoriente vers le nouveau département qu’il a fondé, au nom prometteur : Experimental Studios. On y travaille le cinéma expérimental avec du 8 millimètres, on crée des images inédites. «I am at home », ressent Viola, qui étudie parallèlement l'informatique, la musique électronique et le mysticisme. L'art vidéo naît à ce moment, dans la mouvance d’un mouvement artistique plus large, Fluxus, qui rassemble dans les années soixante, sous la houlette de George Maciunas, des auteurs, artistes, compositeurs, comme Joseph Beuys, Yoko Ono, John Cage, à la recherche d’une forme d’ « anti-art », d’une esthétique non commercialisable, qu’ils développent dans des festivals et des performances. L’un d’eux, Nam June Paik, père fondateur de l’art vidéo, repère vite Viola et l’engage comme assistant. Viola présente alors ses premières oeuvres destinées selon le credo paikien à « attaquer la télévision ». L'art vidéo est militant, dans une période où les artistes participent d'une jeunesse qui veut « changer la vie ». Il s'agit en l'occurrence de proposer un art de résistance par rapport au support si séducteur de la télévision, qui s'annonce déjà comme le torrent de divertissement et de marketing qu'elle n'a depuis cessé d'être. […]

Sculpter le temps
« Sculpter du temps » : telle est la belle définition que donne Bill Viola de son art dans une note de son « Journal » en 1989. « Le temps est la matière première du film et de la vidéo. La mécanique peut en être des caméras, de la pellicule et des cassettes, ce que l'on travaille, c'est du temps. On crée des événements qui vont se déplier, sur une sorte de support rigide qui est incarné dans une cassette ou de la pellicule, et cela constitue l’expérience d'un déroulement. En un sens, c'est comme un rouleau, qui est une des formes les plus anciennes de communication visuelle. » Un temps que Bill Viola aime faire durer, répéter, ralentir, comme pour en montrer toutes les lignes et les formes, et dont la signature est son usage unique du slow motion, ce mouvement si lent qu'il oblige à fixer attentivement l'image pour en saisir l'évolution. Un style esthétique qui se rapproche de la pratique de la méditation, qui consiste à se fixer sur un temps présent, à concentrer son regard pour aller plus loin dans la perception d'un sujet. […]