contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Neïl Beloufa” En torrent et second jour
à la Fondation d'entreprise Ricard, Paris

du 1er avril au 24 mai 2014



www.fondation-entreprise-ricard.com

 

© Anne-Frédérique Fer, le 2 avril 2014.

1297_Neil-Beloufa1297_Neil-Beloufa1297_Neil-Beloufa

© Neïl Beloufa

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Avec cette œuvre spécialement conçue pour l’espace de la Fondation Ricard, Neil Beloufa nous fait pénétrer dans une nouvelle profondeur de l’image. Pas tant celle de sa conception machiavélique visant à la maitrise des formes et des stéréotypes, mais plutôt dans la profondeur du processus illusoire et auto-reproductif de sa fabrication. Dans Torrent et second jour, l’image est en effet au centre d’un cycle de vie, qui apporte simultanément un flux continue de production des objets et reproductions des images. Un cycle pris dans un torrent que l’artiste propose comme une découpe des processus illusoires qui alimentent notre sensation de réel. Par là-même, il y introduit le doute.

Tout commence, dans la salle 1, autour de la projection d’une vidéo de Neil Beloufa, Brune Renault (2010). Par touches successives et concentriques, le film dévoile les mécanismes de l’illusion cinématographique. Combinant les formes de la boucle et du récit fictionnel, tout en en brouillant les signes, l’artiste nous emporte dans un tourbillon narratif sans fin qui met en scène, dans l’espace cloisonné d’une voiture, deux filles et deux garçons, pris dans des jeux de séduction /possession, complicité /compétition qui mènent sans cesse le spectacle au point de basculement du banal vers le drame. C’est certainement ce qui tient la structure narrative en dépit de tous les efforts de l’artiste pour nous montrer les artifices qui visent à nous donner l’impression du mouvement. C’est les éléments du décor qui bougent et non la voiture qui avance. C’est l’intermittence de l’éclairage qui nous fait croire au déplacement géographique. Au contraire, tout bouge, mais pas la voiture qui découpée en quatre, est posée sur des palettes de livraison. C’est le surplace assuré. C’est dans ce paradoxe que Neil Beloufa veut nous entrainer. Le titre du film, Brune Renault, vient en plus caustiquement titiller la fiction nationale française, qui, ici, prise au travers du mythe industriel automobile et celui des cigarettiers nationaux, apparait dans toute sa ringardise. Le film porte un goût de Gauloises et Gitanes mêlées, suranné, goût amplifié par la diffusion répétitive du Pénitentier interprété par Johnny Hallyday. Et pourtant, rien à faire, nous restons accroché au récit.

C’est à coup de miroir et d’images inversées (base du processus photographique et cinématographique) que Neil Beloufa nous fait basculer dans la salle 2. Le reflet d’une image diffusée par un miroir placé dans la salle de projection se trouve lui-même filmé et projeté en étape successive sur une cloison de polystyrène, située dans cette nouvelle salle. La cloison est posée sur un mécanisme motorisé qui la met en mouvement. Elle se déplace, ainsi, sans cesse de gauche à droite, et en sens inverse, et modifie continuellement l’espace de la salle 2. Elle sert d’écran de projection à une nouvelle diffusion du film qui au passage s’est enrichie d’une photo de la Tour Eiffel placée sur le chemin de la prise de vue imbriquée dans celui de la projection. L’écran de polystyrène sculpté évoque plus le paysage au relief fabriqué que l’écran lisse de la salle de cinéma. Selon votre position dans la pièce, votre image viendra s’inscrire ou pas dans cette nouvelle production du film. Si vous le désirez, vous pourrez aussi enregistrer votre voix en vous installant à la table de mixage, élément hybride qui tient à la fois du véhicule automobile, de l’évier et de la table de travail. Plus loin, en vous asseyant aux commandes d’une autre structure, vous pourrez mesurer votre poids. Ici et là, des objets, incarnations des personnages et des éléments du film viennent construire une nouvelle représentation, mise en lien et mise en fiction. Attention, en prenant les commandes de ces structures mi-sculptures, mi-jouets, le point de vue sur les objets change. Vous êtes dans la proximité, dans l’expérience de la fabrication ou dans son illusion. Vous croyez peut-être être un acteur, mais c’est toujours le rôle du player qui vous est réservé. Le récit fictionnel reste le même. La trame est inchangée.

Les objets eux viennent envahir l’espace du quotidien, dans une analogie humain / objet où les cigarettes représentent les filles, et les contenants de liquide (bouteilles plastiques, canettes) figurent les garçons, dans la diversité des états qui les affectent : bouteille vide, pleine, écrasée, mégot piétiné, cigarette coupée ou intacte ou simple fumée. Les objets sont aussi figuratifs d’éléments scénariques, points d’articulation de la trame narrative. Tous ces éléments sont présents sous leur forme réelle (cigarettes, bouteilles, vêtements, négatif photographique, siège de voiture, selles de vélo, etc, etc.) ou déjà sous leur aspect transfiguré dans l’image imprimée sur papier, parfois collée sur du contreplaqué, découpé à la forme de l’objet, tel une pièce d’un puzzle mental que le spectateur devrait assembler, au milieu de tout ce bric-à-brac. Ce n’est pourtant pas le rôle du regardeur, mais celui des webcams installées sur trois différentes structures pour filmer selon le même scénario initial de Brune Renault, une nouvelle production vidéo, cette fois, symbolique, diffusée sur un écran de la salle 4. Une sorte de second life apportée à l’histoire, selon un enchaînement programmé des images auquel quelques variations pourront s’introduire au grès du mouvement de la cloison mobile, à laquelle est attachée, l’une des mini-structures – décors. Ici et là, vous pourrez apparaitre à l’écran, mais toujours dans un rôle de figurant.

Dans cette nouvelle salle, une sculpture-jouet permet de s’asseoir et de suivre la diffusion live de ses nouvelles images. La structure rappelle les gradins d’une piscine. On peut même monter et s’asseoir sur une sorte de perchoir. Un nouveau point de vue, dominant, simulant peut-être la position de l’arbitre, vous est offert, mais toujours vous cotonnant à un rôle d’inagissant sur le déroulement de la production des images et la structure narrative, toujours tenue par la bande sonore. Plus loin, accrochées au mur, on distingue des formes, ici de bouteilles, là de briquets, sculptées dans le polystyrène et cerclées d’aluminium. Là, on est enfin dans la production de l’icône.

Au bout de la fondation Ricard, dans le bar, deux autres œuvres de Neil Beloufa, une performance filmée, une nouvelle sculpture-jouet, nous entrainent encore dans le paradoxe de l’illusion dévoilée, trame principale de l’œuvre de Neil Beloufa, marquée par une vision flusserienne de la production des images. Ici, aluminium, carton pâte, polystyrène et plexiglas, semblent être en définitif, les éléments, peut-être moteur, de la fiction industrielle de notre ère. Dans l’univers de Neil Beloufa, les avancées technologiques sont faites pour renforcer le sentiment de déplacement, sorte de faux-mouvement. Ses sculptures-jouets nous en donnent l’illusion autant qu’ils la démasquent. Pourtant ici point de ludisme gratuit. En démontant tout en construisant les effets d’artifice qui nous accompagnent, Neil Beloufa nous porte dans un état de confusion qui sème le doute sur nos perceptions et sur l’existence même des choses, leur matérialité et notre emprise sur le cours, le flux, le torrent de ce qui les représente.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Mihnea Mircan



Les oeuvres vidéo de Neïl Beloufa ne déconstruisent pas tant les conventions filmiques qu’elles ne les défont, démontant puis réassemblant le dispositif cinématographique pour produire de nouvelles continuités. Ses personnages habitent des décors à l’existence précaire, conçus pour faire obstruction aux mouvements de la caméra ou pour les prolonger plutôt que pour accueillir des récits de transformation.

Panoramiques, dialogues, gestes ébauchés, scénographies découpées en segments ou clonées se fictionnalisent mutuellement, jusqu’à s’exhiber cinématographiquement. C’est la réponse de l’artiste à notre attente de moments forts, dans sa recherche méthodique de ce qui fait un artifice, sur l’écran ou en dehors. Cette logique de démantèlement s’étend aux environnements que Beloufa construit autour de ses images animées, montage de traductions sculpturales et d’équivalences instables, d’images fixes prélevées sur un processus de création, qui évoque son recours aux techniques et aux récits de la vidéo.

Dans le projet de l’artiste pour la Fondation d’entreprise Ricard, les éléments mis en relation par l’installation (les « salles de projection » si frustrantes de Beloufa, avec leur structure en labyrinthe, ou encore ses making-of sculpturaux, dérangeants par leur réalité palpable) voient leur syntaxe et leur fonction retournées. Jamais en phase avec leur statut d’accessoires, ces objets seront activés et documentés, déplacés et « animés » ; il leur sera permis de se développer au delà des distinctions admises de figure, de fond et d’importance. Leur usurpation d’une position centrale sur scène intensifie et souligne leur place ambiguë entre fonctionnalité et obstruction. L’interface incarne le rôle du protagoniste, qu’elle s’est d’abord appropriée. Nous avons là l’inverse d’une situation à la Pygmalion, d’une statue prenant vie, dans un écho aux anxiétés modernes autour d’un complot des écrans qui envahiraient peu à peu les corps et les âmes des spectateurs. Neïl Beloufa se livre aussi à des expériences d’animation avec cette vibration hypertrophiée d’images, projetées ou montrées, où le cadre ne se distingue plus de ce qui est cadré.

En torrent et second jour travaille une idée — assez indémêlable — de réalisme et de mimesis où figures et fonds, messages et interfaces servent de camouflage les uns aux autres. L’équation mimétique, qui tenait ensemble les films et les assemblages sculpturaux conçus très clairement pour les regarder, se transforme en une autre mimesis, plus large et plus abstraite. Cette dernière met en relation images instables et utilisateurs incertains, à la lutte pour le sens, et se vidant réciproquement du temps. Mihnea Mircan, février 2014


Né en 1985, diplômé des Beaux-Arts de Paris et du Studio Le Fresnoy, Neïl Beloufa est un des artistes les plus prometteurs de sa génération. Lauréat du prix Audi Talent Award et du prix Meurice pour l’art contemporain, il a bénéficié d’expositions personnelles au Palais de Tokyo et au New Museum de New York. Il est représenté par les galeries Balice Hertling (Paris), Zero (Milan), François Ghebaly (Los Angeles).