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“Tatoueurs, tatoués” article 1331
au musée du quai Branly, Paris

du 6 mai 2014 au 18 octobre 2015



www.quaibranly.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 5 mai 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Edmond Demaître, Tatouage "brodé" sur le dos d'une indigène [registre 1935]. Ornementation corporelle obtenue par scarification [carton de montage]. Gasmata. 1930-1935, date de prise de vue. Tirage sur papier baryté monté sur carton. © musée du quai Branly, photo Edmond Demaître.
2/  Triptypque d'estampes japonaises: duel. © musée du quai Branly, photo Claude Germain.
3/  Cédric Arnold, Yantra: Muay Thai boxer, Bangkok, 2008-2011. photographie, montage sur « kapa-board », lattes de bois. © Cedric Arnold. Courtesy Galerie Olivier Waltman.

 


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Interview de Sébastien Galliot, anthropologue et conseiller scientifique de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 5 mai 2014, durée 10'07". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires : Anne & Julien, fondateurs de la revue HEY ! modern art & pop culture, performers, journalistes, auteurs, réalisateurs
Consultant artistique : Tin-tin, artiste tatoueur
Conseillers scientifiques : Sébastien Galliot, anthropologue et Pascal Bagot, spécialiste du tatouage pour le Japon




TATOUEURS, TATOUÉS explore l’univers du tatouage et propose une approche inédite de cette pratique ancestrale en rassemblant 300 oeuvres historiques et contemporaines provenant du monde entier. Pour la première fois, une exposition met en perspective la dimension artistique du tatouage, son histoire depuis les premiers témoignages de son existence, au travers de toutes les cultures. Le musée du quai Branly fait écho à l’intérêt grandissant porté à cet art – à la fois « objet » de fascination et marquage identitaire – dans nos sociétés contemporaines.

Si le tatouage est riche d’une histoire à la fois technique et esthétique, déjà très largement étudiée et représentée, les tatoueurs et tatoués en sont les porte-paroles au quotidien. Pour la première fois, le propos d’une grande exposition est consacré au tatouage en tant que geste artistique, et rend hommage aux pionniers contemporains, ces artistes qui ont fait évoluer l’art du tatouage mais dont le rôle n’a jamais été mis en valeur. Anne & Julien, commissaires de l’exposition, ont su réunir pour l’occasion, via un important réseau, les oeuvres des plus importants tatoueurs.

Créés spécifiquement pour l’exposition, 13 « volumes » - prototypes reproduisant de manière hyperréaliste des parties de corps humain - sont façonnés dans un matériau expérimental et tatoués par des maîtres de l’art du tatouage parmi lesquels Tin-Tin (artiste tatoueur français), Horiyoshi III (artiste tatoueur japonais), Filip Leu (artiste tatoueur suisse), Jack Rudy (artiste tatoueur américain), Xed LeHead (artiste tatoueur anglais), Chimé (artiste tatoueur polynésien).

Sont également présentés 19 projets de tatouages peints sur des kakémonos par des tatoueurs qui exercent dans le respect de leur art, en faisant preuve d'une inspiration résolument moderne et d’une volonté de mettre en valeur dans leurs travaux une réelle singularité.

Les volumes et les projets de tatouage jalonnent le parcours de l’exposition, fil conducteur contemporain qui révèle les réseaux d’influence du tatouage dans toutes les parties du monde.


« Plusieurs phénomènes liés à l'observation de son actuel statut permettent d'affirmer que la pratique vit un temps crucial de son horloge interne. Longtemps, tatoueurs et tatoués occidentaux n'affichèrent pas une préoccupation du « beau » tel qu'entendu par l’art savant. Relié aux dites “basses couches populaires”, l'acte était brut, sa vertu se lisait dans l'audace du fait. Il écrivait les premiers chapitres de son histoire moderne. Puis, à la fin du 19e siècle, certains tatoueurs imposèrent la qualification de « tattoo artists » pour exprimer la dimension de leur travail. Ce terme instinctif rejetait toutes distinctions entre « art savant » et « art populaire » - on refuse souvent de reconnaître aux marges une valeur si facilement accordée à leurs opposés. Les marges ne s'en plaignent pas, elles y prospèrent : acharnés, habités, les tatoueurs n'eurent de cesse d'innover, d'améliorer leur pratique. Un foisonnement d'échanges entre professionnels de différents continents s'en suivit, révélant au jour le tronc commun de cette confrérie mondiale : le dessin, la composition, la technique. Le champ artistique de l'histoire contemporaine n’a pas encore été investi. C’est ce territoire que notre exposition veut explorer, en offrant un nouvel éclairage sur le tatouage : « le jus artistique », « le geste de l'artiste », « la puissance créatrice », où l'importance des réseaux internationaux complète l’observation scientifique. »
Anne & Julien, commissaires de l’exposition




Le parcours de l’exposition


Section 1 : Du global au marginal

Médium graphique du langage mondial, le tatouage a changé de signification au cours de son histoire. Son ancienneté, son omniprésence dans différentes sociétés, la diversité de ses formes et la pluralité de ses pratiques à travers le monde sont un des pivots de l’exposition. Dès le milieu du 19e siècle, le tatouage devient porteur de messages intimes ou sociétaux, de conviction personnelle ou d’appartenance à un groupe identitaire. Sur le corps des tatoués (soldats, prisonniers…) - à l’instar de groupes ethniques, comme les Maoris par exemple, qui développent la pratique de façon identitaire et sociale - s'imprime un langage secret. Il perpétue une légende sociale autant que des styles graphiques conditionnés par les techniques rudimentaires de l'époque. C’est sur cette catégorie sociale que les non tatoués posent leurs premiers regards et identifient avec des préjugés forts les tatoués. Le tatoué, considéré comme marginal, devient personnage de spectacle dès 1840, lors de la “Chicago World’s Fair” (Exposition Universelle), catalyseur des premiers cirques itinérants. Ils intègrent des tatoués dans leurs spectacles au même titre que la femme à barbe ou l'avaleur de sabre, ou bien en les installant dans les baraques foraines situées à l'entrée des chapiteaux, appelées également les Sideshows.


Section 2 : Nouvelle donne : le Japon, l’Amérique du Nord et l’Europe

A Edo (ancien nom de Tokyo), berceau du tatouage traditionnel japonais au 17e siècle, les illustrations d’Hokusai et Kuniyoshi lancent l’engouement autour du tatouage. Symbole prisé de contestation du « petit peuple » ainsi que de nombreuses corporations (pompiers, palefreniers, artistes…), la pratique est finalement interdite à la fin du 19e siècle. Ironie de l’Histoire, c’est à l’époque où le tatouage bascule dans l’ombre au Japon que le reste du monde le découvre.

En Amérique du Nord, alors que l’ensemble des tribus natives (Iroquois, Acolapissas…) pratiquaient depuis toujours l’art du tatouage, Samuel O’Reilly (décédé en 1908), un des pionniers du tatouage aux Etats-Unis, développe en 1881 la machine à tatouer électrique. Au début du 20e siècle, le tatouage se donne en spectacle sideshow ; il est à la mode. Puis la facture du style aux « cernés épais » dit old school s’impose. L’exposition met à l’honneur le travail de grands maîtres ayant révolutionné le milieu du tatouage contemporain, dont l’artiste Ed Hardy (né en 1945, le plus grand contemporain vivant de ce territoire) qui a favorisé puis popularisé les échanges artistiques internationaux.

En Europe : Vieux de plus de 4500 ans, Ötzi est le plus ancien témoignage prouvé de la pratique du tatouage en Europe occidentale. 2000 ans plus tard, certains des 200 peuples celtes alors installés dans une grande partie de l’Europe occidentale (France, Belgique, Italie, ouest de l’Allemagne) arborent eux aussi des marques sur le corps. St Isidore de Séville écrit au 7e siècle : “Le peuple picte n’a pas tiré son nom d’un autre usage que celui de se marquer le corps à l’aide d’un poinçon et d’y renfermer le suc exprimé d’une plante du pays, de façon à porter ces cicatrices comme un caractère de race. ” Dans son ouvrage De Bello Gallico, Jules César utilise le terme « Vitrum » pour décrire la couleur bleue de leurs tatouages. Quant à l’historien grec Hérodien, il précise : “Le visage, le cou, les flancs, étaient d’autant plus bigarrés et portaient d’autant plus de figures d’animaux que ces guerriers étaient riches”. Sous la pression colonialiste couplée aux missions d'évangélisation, l'Occident étouffe, voire éradique le tatouage religieux et identitaire en Europe comme dans les territoires colonisés. C'est à travers la multiplication des échanges commerciaux mis en place avec les colonies que le tatouage réapparait en milieu urbain.


Section 3 : Renouveau du tatouage traditionnel : Asie et Océanie

Le tatouage traditionnel en Océanie et en Asie du Sud-Est connaît lui aussi une révolution, dans sa conception ethnographique, tribale ou magique depuis la fin des années 70 : soumise aux échanges incessants grâce au développement des transports et du tourisme, la pratique du tatouage ancien devient soumise à un réseau d’influence entre toutes les sociétés au niveau mondial. Si le modèle des sociétés de consommation et notamment leur afflux d’images ludiques influencent la peinture, le cinéma et la littérature contemporaines, ils impactent aussi la pratique du tatouage. La dimension transnationale des tatouages ethniques permet de présenter les motifs traditionnels avec un regard moderne, c’est à dire comme pratique vivante et dynamique portée par des individus ou des familles de tatoueurs. Cette partie de l’exposition met en valeur la diversité des traditions de tatouages, leur dimension esthétique, rituelle mais aussi le renouveau de ces pratiques et leurs évolutions modernes, en s’attardant tout particulièrement sur la Polynésie, la Nouvelle-Zélande, l’archipel des Samoa, l’île de Bornéo, l’archipel des Philippines et la Thaïlande.


Section 4 : Nouveaux territoires : Les tatouages chicano et chinois

Le tatouage chicano est apparu dans les années 1970, via l’esthétique « Chicana » véhiculée au sein des prisons renfermant en particulier des membres des gangs issus d’Amérique centrale et des populations d’origine latino installées sur le territoire américano-frontalier. C’est principalement en Californie puis au Mexique que le tatouage chicano va imposer une nouvelle école, tant graphique que culturelle. Ses tatoueurs revisitent l’incroyable imagerie de leur histoire et opèrent des basculements graphiques par une relecture audacieuse du passé : ils choisissent de faire resurgir les symboles d’un héroïsme culturel dans de nouvelles compositions et palettes de couleurs.

En Chine, depuis des millénaires, le tatouage a connu une succession multiple de statuts sociétaux. Compte tenu des dynasties impériales successives et de leur religion, le tatouage fut associé à la marge, à la criminalité ou adopté par la classe noble, et / ou bourgeoise. Cependant, il a toujours été une pratique ancestrale chez les minorités installées sur des territoires non administrés par le pouvoir en place, car trop éloignés géographiquement (Drung et Dai par exemple). Il sera interdit dans les années 1960 pendant la révolution culturelle par Mao Zedong, qui le considérait comme une manifestation de l'impureté et de la malhonnêteté. Aujourd’hui, manifestation d’une pop culture mondialisée, les jeunes générations s’en emparent, malgré un jugement de la majorité des chinois encore hostile à l’égard du tatouage.


Cabinet (photo)graphique

L’exposition se clôt avec la présentation de photographies de personnes tatouées, ainsi qu’1 « volume » tatoué par l’artiste Yann Black (France) montrant ainsi le travail de 7 artistes tatoueurs représentant la nouvelle génération (Musa : République Tchèque ; Kostek : France, Jeff : France ; Guy le Tatooer : France ; Jean-Luc Navette : France ; Jonas Nyberg : Suède, Yann Black : France). Depuis 10 ans, des formes inédites de compositions et de traits projettent une nouvelle génération de tatoueurs sur le devant de la scène. Elle a la volonté de rompre avec un esprit traditionnel, et de réinventer le vocabulaire de leur discipline.