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“Emmet Gowin” article 1340
à la Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris

du 14 mai au 27 juillet 2014



www.henricartierbresson.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse avec la présence de Emmet Gowin, le 13 mai 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Emmet Gowin, La Khazneh vue du Sîq, Pétra (Jordanie), 1985. ©Emmet Gowin, Courtesy Pace/MacGill Gallery, New York.
2/  Emmet Gowin, Edith, Chincoteague Island (Virginie), 1967. ©Emmet Gowin, Courtesy Pace/MacGill Gallery, New York.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt.

 

L’obsession
Son inspiration Emmet Gowin la trouve tout d’abord dans sa famille et tout particulièrement auprès de sa femme Edith. Jeux d’enfants, jeux de lumières, ces moments qui semblent touchés par la grâce paraissent suspendus. Figés, ils le sont à deux reprises, tout d’abord par les protagonistes, à la demande du photographe, le temps qu’il aille chercher son appareil, puis par l’acte photographique.

Parfois à la limite de la déformation en raison du grand angle, ces images ambiguës soulignent combien la frontière est fine entre le familier et l’étrange, la raison et la folie. Parmi ces scènes de la vie quotidienne on découvre les portraits intenses de sa femme. Elle fixe l’objectif d’un regard perçant sans complaisance. Lorsqu’elle détourne les yeux c’est son corps souvent nu qui semble nous défier dans des attitudes qui révèlent une assurance hors du commun. « Si je n’avais pas épousé Edith vous n’auriez jamais entendu parlé de moi » déclare Emmet Gowin.

Peut être que la force de ces images tient à ce qui transparait de sa femme. A sa détermination, à son audace, à sa capacité à percevoir les choses au-delà des apparences qui fascine tant Emmet Gowin. Est-ce ce regard, cette attitude ou bien encore la relation émotionnelle en jeu lors de la prise qui fait la photo ? Est-ce que c’est son regard à elle qui fait de lui un photographe ou est-ce le fait d’être photographié par lui qui lui fait avoir un tel regard ? Pour Emmet Gowin ce sont les deux à la fois. II s’agit pour lui d’une collaboration d’égaux. Tout est interconnecté.

De la copie à l’original
Si par la suite il s’éloigne de la sphère familiale et intime, son œuvre semble toujours sous-tendue par cette même vision des relations entre les choses et les êtres. Plus tard il photographiera des papillons au Panama en vue de créer des tableaux poétiques, dans lesquels les images d’insectes se superposent aux images de sa femme. Il dira que ce qui lui plait chez ces papillons c’est qu’ils sont ensemble, qu’il n’y a pas de star.

Sensible à la nature et à la terre, conscient des liens que celle-ci entretient avec l’homme et des dangers auxquels nous nous exposons tous, il se met à photographier des paysages, puis ce qu’il appelle « les paysages exploités ». Là encore les limites entre les choses se brouillent, les photographies se font gravures, la nature devient tableau abstrait. Par des vues aériennes, montagnes et rivières semblent s’être transformées en d’autres formes organiques comme des algues ou des fougères.

Emmet Gowin raconte qu’il a un jour cherché à reproduire la première photographie qui l’avait vraiment marqué, il s’agissait d’une image d’Ansel Adams, une souche brûlée sur laquelle apparaissaient de nouvelles pousses. Il s’agissait de faire une reproduction, mais pour lui dans l’écart entre une première image et une seconde il y a la possibilité d’un original. De même entre ce qui est photographié et la photographie il y a cette même possibilité. La photographie n’est ni une reproduction, ni une trace mais l’émergence d’autre chose.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

Pour moi, les photographies sont un moyen de retenir, intensément, un moment de communication entre un être et un autre”. Emmet Gowin



Du 14 mai au 27 juillet 2014, la Fondation Henri Cartier-Bresson consacre une exposition au photographe américain Emmet Gowin. Cette importante rétrospective présente 130 tirages de l’un des photographes les plus originaux et influents de ces quarante dernières années. Sur deux étages, cette exposition retrace son parcours depuis ses séries les plus célèbres datant de la fin des 1960 jusqu’aux papillons de nuit en passant par les photographies aériennes. Les images intimes de sa femme et de sa famille côtoient les vues de paysages. L’exposition, accompagnée d’un catalogue publié aux éditions Xavier Barral, est organisée par la Fundación MAPFRE, en collaboration avec la Fondation HCB.

Né à Danville (Virginie) en 1941, Emmet Gowin grandit à Chincoteague Island, dans un environnement empreint d’une grande ferveur religieuse. Son père, pasteur méthodiste lui inculque des principes stricts et une discipline rigoureuse, tandis que sa mère, musicienne lui apporte patience et douceur. Pendant son temps libre, émerveillé par la nature qui l’entoure, Emmet Gowin s’adonne au dessin.

Il commence sa formation universitaire en étudiant le commerce pendant deux ans dans une école de la région tout en travaillant au département design du grand magasin Sears. En 1961, il change d’orientation et suit pendant quatre ans les cours d’arts graphiques au Richmond Professional Institute. Il se passionne pour toutes les formes d’art et pratique régulièrement la peinture et le dessin. Après quelques mois de cours, il réalise que la photographie est son meilleur moyen d’expression en lui permettant de saisir le hasard et l’inattendu.

Il puise ses premières influences photographiques dans les livres et les catalogues d’exposition comme Images à la Sauvette d’Henri Cartier-Bresson, History of Photography de Beaumont Newhall ou encore American Photographs de Walker Evans. Emmet Gowin acquiert son premier Leica 35mm en 1962 et après deux années passées à observer le travail des maîtres de la photographie, il décide d’affirmer son style. En 1963, il se rend pour la première fois à New York et rencontre Robert Franck qui l’encourage sérieusement à poursuivre.

Les premiers portfolios d’Emmet Gowin, réalisés à partir de 1965, composés d’images techniquement simples renvoient à des sujets variés, tous inspirés du quotidien : des enfants jouant dehors, des adultes dans la rue ou les parcs, des automobiles et les premiers portraits d’Edith, sa femme depuis 1964.

Edith Morris et Emmet Gowin sont nés dans la même ville mais ils ont grandi dans des familles totalement différentes, la famille d’Edith étant beaucoup plus exubérante et soudée que celle d’Emmet. Ils se sont rencontrés lors d’un bal en 1960 et se sont mariés quatre plus tard. Comme on peut le découvrir au premier étage de l’exposition, Edith et sa famille sont au coeur de l’univers créatif du photographe à partir de 1965. Comme le rappelle Carlos Gollonet, commissaire de l’exposition, toute son oeuvre est un miroir de sa vie.

En 1965, il entre en troisième cycle à la Rhode Island School of Design, Providence où Harry Callahan enseigne la photographie. Il commence à utiliser un appareil à soufflet 4x5 pouces. Ce format de négatif plus grand lui permet d’obtenir une richesse et une netteté de détails.

Peu avant la naissance de son fils Elijah en 1967, Emmet et Edith déménagent dans l’Ohio pour qu’Emmet Gowin enseigne au Dayton Art Institute. Ces quatre années passées à Dayton lui ont permis de faire évoluer son style et les images de cette époque se concentrent directement sur Edith. Emmet Gowin nous fait entrer dans son intimité et propose une vision artistique très personnelle : je ne crois pas pouvoir faire des photographies de façon impersonnelle car je me sens concerné et impliqué dans les situations qui m’amènent à faire une photographie ou qui transcendent cet acte. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Frederik Sommer qui devient rapidement un ami et un maître et de Ralph Eugene Meatyard.

À la fin des années 1960, c’est par hasard que Gowin commence à utiliser une lentille 4x5 pouces montée sur un appareil grand format (8x10 pouces) ce qui donne, sur les images, l’impression de regarder par le trou d’une serrure. Gowin saisit sa femme, sa famille et l'arrivée de son deuxième enfant Isaac. Au début des années 1970, il s’impose sur la scène artistique new-yorkaise en exposant à la Light Gallery et au MoMA. En 1973, Emmet Gowin est nommé professeur rattaché au programme d’arts plastiques de Princeton University. Il est par la suite nommé professeur titulaire, poste qu’il occupera pendant 36 ans, inspirant à son tour toute une génération de photographes tels que Fazal Sheikh, David Maisel ou Andrew Moore.

À partir de 1973, Emmet Gowin revient aux sources et s’intéresse à la nature, aux paysages et notamment aux traces pérennes laissées par l’homme et ses activités. Il voyage alors en Europe, notamment en en Irlande et en Italie d’où il ramènera les images de Matera. Sa première monographie Emmet Gowin : Photographs est publiée en 1976. En 1982, invité par la reine Noor de Jordanie, il photographie le site archéologique de Pétra dont certaines images sont présentées dans la vitrine du deuxième étage de l’exposition. Pour pousser plus avant ses recherches sur le paysage, il se lance dans la photographie aérienne, convaincu que vu du ciel, le paysage prend vie sous yeux. Il porte une attention particulière aux paysages dévastés par les catastrophes naturelles comme l’éruption du Mont St. Helens, Washington mais également aux sites dénaturés par l’action humaine comme les mines de charbon à ciel ouvert en Tchécoslovaquie, les exploitations agricoles intensives dans le Colorado ou l’Utah, ou encore les paysages lunaires des sites d’essais nucléaires de Hanford. Ces images ne sont pas un appel à l’action, mais un appel à la réflexion, à la méditation et à l’attention pour avoir un rapport plus intime avec le monde.

Ces dernières années, Gowin, passionné par les insectes, a photographié sans relâche des papillons de nuit en Amérique du Sud. En collaborant avec des biologistes, il a initié un long travail scientifique de recensement des milliers d’espèces vivant dans la forêt tropicale. De manière inattendue, sa femme se retrouve une nouvelle fois au coeur de cette série Papillons de nuit : Edith au Panama qui réunit les deux passions du photographe. En effet, Gowin juxtapose la silhouette d’Edith aux papillons. Le procédé utilisé pour ces épreuves uniques tirées sur du papier fait main et virées à l’or confirme le talent de tireur du photographe.



Un catalogue est publié aux éditions Xavier Barral en en coédition avec TF Editores.
Textes de Emmet Gowin, Carlos Gollonet, Keith F. Davis et Carlos Garcia Martín.