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“Ezra Nahmad” Chinesedream
à la Galerie Les Douches, Paris

du 23 mai au 26 juillet 2014



www.lesdoucheslagalerie.com

 

© Anne-Frédérique Fer, le 23 mai 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Ezra Nahmad, Série Chinesedream, #5, 2013. Techniques mixtes : tirage jet d’encre, photocopie, marouflés sur toile et acrylique, vernis anti-UV. 160x130 cm. Exemplaire unique. © Ezra Nahmad/Courtesy Les Douches La Galerie.
2/  Ezra Nahmad, Série Chinesedream, #8, 2013. Techniques mixtes : tirage jet d’encre, photocopie, marouflés sur toile et acrylique, vernis anti-UV. 81x60 cm. Exemplaire unique. © Ezra Nahmad/Courtesy Les Douches La Galerie.
3/  Ezra Nahmad, Série Chinesedream, #6, 2013. Techniques mixtes : tirage jet d’encre, photocopie, marouflés sur toile et acrylique, vernis anti-UV. 160x130 cm. Exemplaire unique. © Ezra Nahmad/Courtesy Les Douches La Galerie.

 


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Interview de Ezra Nahmad,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 23 mai 2014, durée 13'11". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

"Dans le Colloque sur le Rêve chinois, une rencontre internationale qui s'est tenue à Shanghai samedi dernier, des responsables politiques et des experts internationaux ont débattu et proposé différents points de vue sur les bienfaits en Chine et dans le monde, du projet mis en avant par le président Xi Jinping" (China Daily, 8 décembre 2013).



Chinesedream met en relation deux utopies. Le rêve chinois, un discours forgé par le parti communiste chinois (calqué sur le "rêve américain"), et le rêve maoïste. Des photographies produites en Chine en 2013 sont rapprochées avec des images documentaires datant de l'ère maoïste, grosso modo entre les années cinquante et les années soixante-dix. La juxtaposition des deux blocs d'images, deux "à présent" synchrones et décalés, engage une perception contradictoire, des chevauchements de temps, de durées et d'éclairages. L'association des images ne relève pas du collage, mais d'un archivage virtuel de faits ou de temps exposés dans un envahissement réciproque, pour provoquer l'envie d'histoire. Chinesedream est aussi le prolongement d'une série de peintures produites par Ezra Nahmad dans les années 1990. Certaines de ces toiles sont exposées.



Chinesedream par Ezra Nahmad

"Rien qui jamais se sera produit ne devra être perdu pour l'histoire" Walter Benjamin

Dans Chinesedream l'association des images ne relève pas du collage, mais d'un archivage virtuel. Le concept d'archivage virtuel situe la photographie dans l'environnement numérique. Là, l'assemblage des masses de documents, l'exercice du regard par des tuyaux, la surveillance, changent la nature de la photographie. L'image du tuyau utilisée pour décrire la circulation numérique décrit un mode d'existence fluide mais excité, des trajets obscurs, des manifestations récurrentes, ininterrompues. Le pistage et la filature des informations dans l'espace numérique renforcent la suspicion autour des photographies et font apparaître leur moment argentique comme un état primitif d'innocence.

Ces phénomènes, puissance de la masse, affluence, circulation accélérée, regard "tuyauté" et surveillé, font penser à l'état actuel de la Chine, à cause de l'importance de sa population, de l'accélération économique et industrielle qu'elle connaît et de la surveillance qui s'y exerce. Il y a une concomitance entre la révolution numérique et le basculement de la Chine dans un nouveau capitalisme, voire une connivence. Et c'est sans doute dans le rapport au passé, au temps et à l'histoire, que cette coïncidence est la plus parlante, dans l'émergence d'une nouvelle conscience historique, une sorte d'accomplissement de l'annonce de Walter Benjamin : "Rien qui jamais se sera produit ne devra être perdu pour l'histoire".

D'une part le stockage numérique, dans sa promesse de comptabilité autour de tout ce qui advient, parie sur ce genre d'achèvement, où rien ne devrait être perdu. D'autre part les Chinois, pour revenir de la longue amnésie imposée par le maoïsme, doivent à leur manière récupérer tout ce qui a été perdu, oublié ou détruit.

Pour accéder à son indépendance au vingtième siècle, la Chine mène un combat révolutionnaire et moderne. Elle met fin au joug féodal, se débarrasse de la domination étrangère, et après la déclaration d'indépendance, elle connaît des luttes politiques violentes, apparentées à des guerres civiles. Elle s'inscrit dans la modernité en faisant table rase du passé, en mettant le progrès industriel et économique au dessus de tout. Ces mythes de la modernité et de la révolution n'ont pas disparu de l'horizon chinois avec la fin du maoïsme, ils guident encore le destin de la Chine et celui de la plupart des nations.

La Chine acquiert son indépendance en octobre 1949, un an plus tôt Israël devient aussi un état à part entière, et bien que les histoires de ces deux états soient bien distinctes, les conflits qui précèdent et suivent leur accession à l'indépendance reposent sur des rêves et des illusions identiques : la régénération nationale, la foi dans le progrès technologique et industriel, le mépris du vieux monde. Il y a une continuité entre l'utopie maoïste et le rêve chinois de Xi Jinping ancré dans la croissance, une confirmation d'autant plus évidente que Chinois n'ont pas fait le bilan du maoïsme et de ses échecs, parce qu’ils poursuivent les mêmes projets par d’autres moyens. Chinesedream évoque ces retournements de l’histoire, par des vues urbaines, des regards perdus ou hallucinés et des cortèges, les cohortes de paysans embrigadés dans les communes, des gardes rouges ou les tours des métropoles chinoises.

Chinesedream est né d'un rapprochement improbable entre les rocailles disposées dans les jardins chinois traditionnels et les tours d'habitation qui surgissent au bord des autoroutes, au milieu de nulle part. De l'hypothèse hasardeuse que dans l'imaginaire chinois, les nouvelles tours ont supplanté les rocailles qui symbolisent les forces telluriques de l'univers. L'art du jardin chinois crée un cosmos idéal en miniature, l'espace aménagé de verdure, d'eau, de chemins et de rocailles est un miroir de l'univers. La rocaille renvoie à la montagne, au squelette vivant de la terre, elle est une émanation des parties osseuses du cosmos, qui lui assurent sa stabilité et sa permanence, toujours nourries par le souffle. Elle remonte sans doute à une tradition géomantique, l'art de la divination par le jet de terre ou de pierres. Le traitement de la rocaille dans le jardin, sa disposition, son éclairage et sa décoration, appelle un va et vient entre la pierre finie posée sur son socle, ses accidents infimes, et les montagnes, les météorites ou les planètes.

Dans le basculement d'échelle du plus petit au plus grand, du proche au lointain, l'homme entre en contact avec les énergies cosmiques. Plus la pierre dressée dans le jardin approche de la taille humaine, plus évidemment elle exprime l'union de l'homme et de la nature. Si les tours de Shanghai symbolisent la force et la vitalité du capitalisme chinois, le dynamisme de sa croissance urbaine, leur magnétisme est comparable à celui des rocailles dans les jardins traditionnels.

La minéralité des tours et leur concentration font penser aux massifs montagneux, leurs flèches plus hautes que celles des églises gothiques, évoquent une libération des contraintes terrestres ou de la pesanteur et une montée au ciel. Les mouvements qui les animent, mosaïques géométrique des façades, circulations de fluides et de corps, scintillements des lumières nocturnes, ressemblent aux souffles qui traversent les rocailles, symbolisant les forces cosmiques.

L'hypothèse d'une permutation de ces deux objets dans l'imaginaire chinois se nourrit de ces parentés. Rocaille et tour évoquent également l'idée de construction, mais aussi de sculpture primitive et tellurique. Et ce primitivisme s'accorde bien avec le mythe et le rêve, avec le vertige de l'échelle, le déploiement qui va du plus petit au plus grand et qui produit une ivresse singulière.

Les compositions binaires de Chinesedream, gauche/droite, noir et blanc/couleur, devant/derrière, ne visent pas seulement à engager un battement temporel, elles instaurent un espace d'échelle en accolant des visages cadrés de près et des panoramas urbains, dans un décalage visuel évident. Ce raccord produit une tension entre des faits sensoriels et visuels d'une part et des événements sociaux ou environnementaux, entre des sentiments et des actes, des personnes et des groupes, des petits faits et des événements historiques.

Ces tensions voient le jour dans un conflit d'échelle, où la perception, la raison, la maîtrise ou l'équilibre sont remis en cause. L'échelle est un objet qui circule d'abord dans l'univers de la géométrie, de la perspective, du dessin d'architecture ou de la musique. La conjonction de la révolution numérique (notamment la prolifération des big data - masses de données volumineuses difficiles à appréhender), de l'hyper-industrialisation, de la concentration économique et politique, fait de l'échelle un objet social, économique, culturel ou environnemental : c'est la place des personnes dans la société et dans l'univers qui est à nouveau posée (la "taille" de la personne et celle des forces qui l'enveloppent), comme ce fut le cas à la fin du Moyen-Âge ou avec la révolution industrielle. La notion d'échelle est essentielle dans la photographie numérique (palette de prise de vue allant du micro au macro, registre de grossissement étendu). Chinesedream compose avec le vécu d'échelle.

Ezra Nahmad