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“Oscar Muñoz” Protographies
au Jeu de Paume, Paris

du 3 juin au 21 septembre 2014



www.jeudepaume.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse avec l'artiste Oscar Muñoz, le 2 juin 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Oscar Muñoz, Horizonte [Horizon], Série Impresiones débiles [Impressions faibles], 2011. Impression de poussière de charbon sur méthacrylate, 4 éléments, 85 x 73,5 cm chaque. Galerie mor·charpentier, Paris.
2/  Oscar Muñoz, Narcisos (en proceso) [Narcisses (en cours)], 1995–2011. Poussière de charbon et papier sur eau, plexiglas, 6 éléments, 10 x 50 x 50 cm chaque, dimensions de l’ensemble : 10 x 70 x 400 cm. Courtesy de l’artiste.
3/  Oscar Muñoz, La mirada del cíclope [Le Regard du cyclope], 2001-2002. Impression numérique sur papier, 6 photographies, 50 x 50 cm chaque. Courtesy de l’artiste.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Multiplicité des formes
Ce qui frappe tout d’abord dans le travail de l’artiste colombien Oscar Muñoz c’est la diversité des matériaux utilisés dans ses œuvres. Dessin, gravure, vidéo, photographies, les frontières entre les médiums s’effacent pour donner corps à des formes souvent inédites. Ainsi l’artiste fait appel à des éléments naturels et éphémères comme l’eau, l’air ou le feu. Le spectateur est mis à contribution dans des œuvres interactives comme Aliento dans laquelle c’est sa respiration qui fait apparaitre dans des petits miroirs, les photographies de disparus. Ces innovations formelles laissent envisager la possibilité de nouveauté. Peut être répondent-elles à un besoin vital de penser que la répétition n’est pas inéluctable. Peut-être ce besoin n’est-il pas étranger au contexte de violence que la Colombie subit depuis des décennies. Il reste qu’après les premiers étonnements, le spectateur se doit d’abandonner l’aspect technique pour se laisser aller à la poésie de l’œuvre. On peut difficilement imaginer ses Cortinas de bano sur un autre support que des rideaux de bains tant ceux-ci semblent conférer de la matérialité à des images pourtant fugaces de corps entre présence et absence, nous plongeant alors dans une expérience troublante. L’artiste accorde une grande importance au processus d’expérimentation. Il est indéniable que pour lui la pensée se construit avec le manuel, et l’émotion qui se dégage de l’œuvre est le résultat de cette alchimie entre processus et pensée.

Une double lecture
Oscar Muñoz s’intéresse à l’image en relation au souvenir et à la mémoire, mais ses projets sont ancrés dans la réalité sociale et politique de son pays. Il semble que l’on puisse toujours opérer une double lecture de son travail. Fasciné par l’apparition et la disparition des images, il s’attache à montrer l’instabilité de celles-ci. L’archivage des images dans notre mémoire fait écho à l’archivage et à l’utilisation des images que le pouvoir peut effectuer. En évoquant les processus photographiques de fixation de l’image, l’advenir des images dans notre mémoire est questionné dans Cyclope. Une œuvre dans laquelle un évier semble engouffrer et dissoudre toutes les images qui y sont posées. L’instabilité et la fragilité des images deviennent des métaphores pour la fragilité de l’existence humaine, fragilité d’autant plus mise à l’épreuve dans le contexte violent de la Colombie. Un contexte dans lequel la disparition se révèle un traumatisme souterrain pour toute une société qui en est silencieusement le témoin impuissant. Cependant bien que l’artiste évoque dans un certain nombre de projets les violences qui sévissent dans son pays, ce n’est pas réellement son intention lorsqu’il s’attache à enquêter sur la vie des images avant leur fixation, sur les Protographies. Un terme qui donne son titre à une exposition au parcourt thématique très riche, à la découverte d’un artiste dont c’est la première rétrospective en France. A ne pas rater donc !

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires : José Roca et María Wills Londoño (commissaire adjointe)



Dans le cadre de la Semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes.


à propos de l’Exposition par José Roca & María Wills Londoño

À travers son travail protéiforme, qui évolue librement entre photographie, gravure, dessin, installation, vidéo et sculpture tout en abolissant les frontières entre ces pratiques par des procédés novateurs, Oscar Muñoz (Popayán, Colombie, 1951) mène une réflexion sur la capacité des images à retenir la mémoire.

En 1826, Nicéphore Niépce réussissait pour la première fois à fixer l’insaisissable image de la camera obscura, qui était connue depuis l’Antiquité. À l’inverse de la peinture et du dessin, la chambre noire était capable de soustraire une image à la vie, sans l’aide de la main humaine et en temps réel : ce qu’elle ne pouvait pas faire, c’était la congeler, la stabiliser sur un support et la rendre pérenne. En conséquence, on peut affirmer que l’essence de l’acte photographique ne se trouve pas dans la prise de l’image mais dans sa fixation. Quel est le statut de l’image à l’instant qui précède le moment où elle est capturée pour la postérité ?

Si l’ontologie de la photographie consiste à fixer définitivement et à jamais l’image mobile dérobée à la vie, on pourrait dire que le travail d’Oscar Muñoz se situe dans l’espace temporel antérieur (ou ultérieur) au véritable instant décisif où est fixé l’image : ce proto-moment où celle-ci est sur le point de devenir, finalement, photographie.



l’exposition

Oscar Muñoz, né en 1951 à Popayán (Colombie), est considéré comme l’un des artistes contemporains les plus importants de son pays natal, tout en suscitant l’attention de la scène internationale. Diplômé de l’Institut des Beaux-Arts (Instituto de Bellas Artes) de Cali, il développe, depuis plus de quatre décennies, une oeuvre autour de l’image en relation avec la mémoire, la perte et la précarité de la vie. Grâce à des interventions sur des médiums aussi différents que la photographie, la gravure, le dessin, l’installation, la vidéo et la sculpture, son oeuvre défie toute catégorisation systématique.

L’exposition « Protographies » (un néologisme qui évoque l’opposé de la photographie, le moment antérieur ou postérieur à l’instant où l’image est fixée pour toujours) présente l’essentiel de ses séries, regroupées autour des thématiques majeures de l’artiste, qui mettent en rapport de façon poétique et métaphorique son vécu personnel et les différents états de matérialité de l’image. Il associe, par exemple, la dissolution de l’image, son altération ou sa décomposition avec la fragilité de la mémoire et l’impossibilité de fixer le temps ; ou encore l’évaporation et la transformation de l’image avec la tension entre la rationalité et le chaos urbains. Enfin dans la majeure partie de son travail, il crée des images éphémères qui, en disparaissant, invitent le spectateur à une expérience à la fois sensuelle et rationnelle.

Oscar Muñoz débute sa carrière dans les années 1970 à Cali, dans un contexte d’effervescence culturelle et pluridisciplinaire intense qui a permis l’émergence d’une génération d’écrivains, de photographes, de cinéastes et d’artistes de premier plan, tels que Carlos Mayolo, Luis Ospina, Fernell Franco ou Andrés Caicedo. À cette époque, Muñoz travaille avec le dessin au fusain sur des grands formats, mettant en exergue des personnages tristes, parfois sordides, empreints d’une profonde charge psychologique. Dès lors, s’affirment les axes fondateurs de sa pratique : parmi ceux-ci, un intérêt constant et marqué pour l’aspect social, un traitement très spécifique des matériaux ; l’utilisation de la photographie comme outil de mémoire ; la recherche des possibilités dramatiques des jeux d’ombre et de lumière en relation avec la définition de l’image. Par ailleurs, l’artiste a développé une approche phénoménologique du minimalisme, en insistant sur la relation entre l’oeuvre, le spectateur et l’espace qui les accueille.

Au milieu des années 1980, Oscar Muñoz s’éloigne des méthodes artistiques traditionnelles et commence à expérimenter des procédés innovants en créant une véritable interactivité avec le public. Il va, dès lors, travailler à une remise en question radicale de l’exercice du dessin, de la gravure, de l’utilisation de la photographie, de la relation de l’oeuvre avec l’espace. Il abandonne ainsi les formats et les techniques traditionnelles – tout en conservant leurs racines et leurs ressorts principaux – pour enquêter sur l’éphémère en mettant en valeur les qualités essentielles des matériaux employés et leurs associations poétiques. Le recours aux éléments fondamentaux – l’eau, l’air et le feu – renvoie au processus, aux cycles et aux manifestations transcendantales de la vie, de l’existence et de la mort. « Mon travail tente de comprendre comment le passé et le présent sont plein de faits violents », dit l’artiste. En utilisant des médiums très différents, Oscar Muñoz efface les frontières entre chaque discipline à travers l’utilisation de procédés inédits et probablement sans précédent dans l’histoire de l’art.