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“Marie-Paule Nègre” Mine de rien…
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 4 juin au 31 août 2014



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 3 juin 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Marie-Paule Nègre, Corps et âmes, Jardin du Luxembourg, Paris, 1979. © Marie-Paule Nègre.
2/  Marie-Paule Nègre, Contes des temps modernes ou l’aisance ordinaire, Bal des débutantes, Hôtel Crillon, Paris, 1999. © Marie-Paule Nègre.
3/  Marie-Paule Nègre, Jazz dans tous ses états, Cameron Brown, New York, 1982. © Marie-Paule Nègre.

 


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Interview de Marie-Paule Nègre,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 3 juin 2014, durée 8'25". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire d’exposition : Claudine Boni
commissaire d’exposition pour la mep : Jean-Luc Soret




« Ce n’est pas un hasard si Marie-Paule Nègre, alors jeune photographe, choisit comme thème de son premier grand travail d’auteur, l’univers du jazz. Rien d’anodin à cela. Le jazz a été créé par – et pour - ceux qui souffraient de l’exclusion raciale et sociale. Des sans-paroles. Des sans-images. Par ceux, Noirs Américains, “Intouchables” laissés sur le bord de la route par une société bien-pensante, intolérante et protectionniste. Le Jazz est une expression sociale et politique. Un manifeste universel. Les photographies de Marie-Paule Nègre ont cette tonalité-là. Ce son-là. Remplacez les Noirs américains en lutte pour leurs droits civiques et leur dignité qui ont inspiré le Jazz, par les exclus de la société française, “anciens” ou nouveaux-pauvres, par les femmes mis au ban de la société parce qu’accusées de sorcellerie au Burkina-Fasso, par les gamines africaines excisées ou d’autres gavées de force en Mauritanie, par les adolescentes des rues au Guatémala, battues et stigmatisées, ou les petites filles qui découvrent l’école au Rajastan. Que disent-elles, que racontent-elles d’autre, face à l’objectif de Marie-Paule Nègre, que l’humiliation et le combat pour leur dignité ? Que revendiquent ces femmes dans le viseur de la photographe, d’autre que leur droit à la justice sociale et à l’égalité de race, de classe et de genres ?

Il est aujourd’hui délicat d’employer le terme de “photographe humaniste”, tant il est galvaudé, mais à l’aune des travaux qu’elle a réalisés tout au long de ces vingt dernières années, Marie-Paule Nègre est, à l’évidence, une photographe engagée et concernée. Sans posture. Sans afféterie. Ni fausse empathie pour ses “sujets”. Jamais elle ne les “utilise”, épurant toujours l’émotion de tout pathos. Un jour, alors qu’elle travaillait sur “Contes des temps modernes ou la Misère ordinaire” (qu’elle écrit avec une majuscule) quelqu’un lui a dit : “Montre à ceux du dehors comment on vit”. Depuis, elle n’a plus jamais cessé d’écouter ceux et celles qu’elle photographie pour transmettre leur parole en image. Pour nous obliger, nous les “gens du dehors”, mais sans brutalité gratuite, à les regarder, étape indispensable pour, enfin, les entendre. Marie-Paule Nègre n’en démordra jamais, calmement obstinée : elle reste “convaincue que la photographie peut avoir un impact humain et contribuer à éveiller les consciences, agir pour la transformation des rapports sociaux”. Pas d’emphase dans le discours. Juste une ligne droite dont elle n’a jamais dévié, en couleurs, en Noir et Blanc, à travers l’objectif de ses Leica ou de ses boîtiers numériques. Alors, elle trace, elle trace la route, se retournant, s’arrêtant sur ceux et celles qui restent sur le bas-côté ici et ailleurs. Elle trace, Marie-Paule Nègre, avec, sans doute, un petit air de jazz lancinant dans la tête… » Caroline Laurent-Simon





Parcours de l’exposition

Contes des temps modernes ou la misère ordinaire
Fin des années 1980, surgit, dans le vocabulaire économique et social français, le terme de RMI (revenu minimum d’insertion), et concomitamment celui de “nouveaux pauvres”. Il qualifie les ouvriers qui, bien qu’ayant un emploi, ne gagnent pas assez pour vivre, des femmes au foyer n’ayant jamais travaillé, des paysans retraités et sans ressources, des jeunes n’ayant droit à aucune aide, et d’autres qui, prisonniers de secteurs d’activité moribonds - mines, industrie sidérurgique ou textile -, se retrouvent chômeurs, inutiles, précarisés. En 1988, le Secours Populaire demande à Marie-Paule Nègre d’aller à leur rencontre en plusieurs lieux de l’Hexagone, du Nord-Pas-de-Calais à Longwy, Marseille ou Manosque, sans doute parce que les signes de la pauvreté que nous donne à ressentir la photographe ne sont pas les mêmes partout. Marie-Paule découvre une situation bien pire que celle qu’elle avait imaginée : « J’ai souhaité rendre visible la misère ordinaire, dont la banalisation grandissante finit par voiler l’insupportable constat », dit-elle. « À première vue, aucun signe extérieur de pauvreté vraiment criant. Et puis on aperçoit des détails qui en disent long : une dent qui manque, un regard un peu trop vide, un rire trop proche de l’hystérie. » Indignée, elle conçoit un livre qu’aucun éditeur ne prend le risque de publier et pour lequel l’écrivain Jean Vautrin écrit : « C’est parce que nous traversons une période frileuse et mangée par les affres de l’indifférence, de la désillusion, et, sans doute conviendrait-il de dire, de la lâcheté quotidienne que, séduit, touché, ému par le travail de Marie-Paule Nègre, par l’universalité de ses images, par sa capacité d’immersion au coeur vivant de la précarité, par sa faculté à capter les justes signaux de la détresse, j’ai voulu user à ma manière de mon libre chemin d’artiste “ préoccupé” pour être, le temps d’un texte, son compagnon de route et de révolte et offrir, s’il est possible, au lecteur un contrepoint de clameurs et de colères à la rigueur objective de la photographe. » Elle s’attache tant à ces naufragés de la vie que dix ans, puis vingt ans plus tard, en couleurs cette fois, elle retourne les voir, parfois aux termes d’une longue enquête pour retrouver les générations d’enfants, devenus adultes, de ces familles trop souvent écartelées.

Contes Des Temps Modernes Ou L’aisance Ordinaire
En réaction à son immersion dans la misère, la photographe, à l’occasion d’une commande du ministère de la Culture, s’introduit dans le milieu de la jeunesse dorée, faite de riches héritiers et héritières qui fréquentent les rallyes, les courses de chevaux, où l’on se retrouve entre soi et en terrain conquis. Ce faisant, elle marche dans les traces de la photographe américaine Diane Arbus, qui avait documenté, pour le magazine Vanity Fair, la vie des pauvres et des riches.

Corps & Ames
Ces photographies ont été captées au fil du temps, entre reportages, commandes ou résidences, et révèlent l’attention que Marie-Paule Nègre accorde aux autres, au mouvement qui les anime, à ces instants de grâce où, pour elle, tout se met en place dans le cadre, comme cet instant surpris au jardin du Luxembourg. Alors qu’elle photographiait un concours de fanfares, l’artiste perçoit intuitivement qu’il se passe quelque chose dans son dos. Elle se tourne et surprend cette scène magique où des femmes chassent les fumigènes de leurs mains.

Le jazz dans tous ses états
Premier grand thème exploré par Marie-Paule Nègre à partir des années 1980 : les musiciens de jazz, de toutes nationalités, sur scène, en coulisses, en tournée ou chez eux. « Qui pourrait, mieux qu’elle, écrivait le photographe et critique Alain Dister, comprendre la vie des gens du jazz, le stress des tournées, comme le bonheur de jouer ensemble, l’intimité d’un moment en famille et le coup de blues qui assomme quand on est trop loin, trop longtemps, de ceux qu’on aime. Sans compter ces états bizarres où vous plonge le timbre d’un cuivre, lorsque sa vibration emplit la tête et le corps. »

Femmes en résistance
Grâce à des commandes passées par la presse féminine, Marie-Paule Nègre part souvent très loin à la rencontre de femmes d’autres cultures entrées en résistance pour ne pas subir le triste destin de leurs mères : femmes-enfants du Rajasthan, mariées contre leur gré, soumises aux pires corvées, femmes du Burkina Faso accusées de sorcellerie, gamines africaines excisées, filles mauritaniennes gavées de force afin de satisfaire le goût pour la chair obèse des hommes de là-bas, adolescentes des rues battues au Guatemala… Une immense lueur d’espoir, heureusement : partout où cela devient possible, souvent grâce aux ONG, des écoles pour les filles ouvrent, et ces dernières s’y précipitent, conscientes que l’amélioration de leur vie passe par l’éducation.

Une histoire de famille
Enfant, Marie-Paule Nègre assiste aux premiers pas d’une danseuse étoile de l’Opéra de Paris avec laquelle elle partage sa chambre. Sa soeur, Mireille, très jeune, est déjà sous les feux des médias. À 25 ans, elle décide qu’elle ne dansera plus que pour Dieu. Elle s’éclipse et entre dans les ordres. Dix ans passent, où elle vit recluse au carmel, puis chez les visitandines, avant de faire sa réapparition comme vierge consacrée, de danser à nouveau en public, de composer, d’écrire et de peindre. Marie-Paule Nègre témoigne de ce parcours irradié par la foi et la passion. D’autres images imprègnent son univers familial : photographies sur plaques de verre réalisées par son grand-père, clichés de sa mère, photogrammes tirés de films familiaux… Joints à ses propres photos, ces témoignages constituent un objet bidimensionnel, à la fois portrait de groupe et histoire d’une lignée.

Des artistes en leur monde
Entre 2000 et 2014, Marie-Paule Nègre, qui déteste faire poser les gens, photographie, dans le cadre d’une commande de Drouot, 165 artistes contemporains en train de peindre, face à leurs oeuvres, dans leur atelier. À propos de ce travail au long cours, publié par La Gazette Drouot et exposé à la Maison Européenne de la Photographie, le directeur de celle-ci, Jean-Luc Monterosso, écrit qu’elle a su « trouver la bonne distance : celle qui sépare le photographe du peintre, mais aussi et surtout celle qui relie l’artiste à son oeuvre. Dans une série d’instantanés “décisifs”, elle a saisi non seulement la matière même du tableau, mais le mouvement qui l’a fait naître. Elle a capté ce moment de fusion où le peintre fait corps avec sa toile, au point que parfois on a l’impression qu’il en sort. À l’instar de Nadar, Marie-Paule Nègre a offert à l’art contemporain son panthéon photographique. »

À fleur de l’eau
« L’eau, c’est le rire, les plaisirs innocents, la spontanéité. On s’esclaffe, on s’éclabousse, on chahute. » Au départ de cette série singulière, personnelle, qui ne se terminera jamais, entre art, reportage, voyage et commande, Marie-Paule Nègre, qui s’est initiée, enfant, à la plongée sous-marine et à ses plaisirs sensoriels à Saint- Mandrier, dans le Var, en retient le côté ludique. À force de scruter dans l’eau, elle en vient à expérimenter la photographie à travers les jeux de lumière et de texture, les réfractions, la transparence ou, au contraire, l’opacité de l’élément liquide. Elle parle de « dissolution des repères, de maîtrise à réinventer », et dit : « L’eau, c’est la déformation des images, mais aussi des sons. » Enfin, après avoir fait l’expérience de l’eau qui soigne le corps et l’esprit, après avoir suivi l’apprentissage des bébés nageurs, les accouchements dans l’eau, l’entraînement des futurs spationautes, les progrès d’un groupe d’autistes ou de phobiques de l’eau, et ce, des récifs coralliens aux piscines de centrales électriques et aux bains hongrois embués de vapeurs chaudes, elle se souvient que « l’eau est un cocon, une poche foetale, un univers qui fascine et inquiète à la fois. »

Un jour une image
Chaque jour de l’an 2000, Marie-Paule Nègre s’astreint à la règle du jeu suivante : réaliser une photographie par jour, où qu’elle soit et quelles qu’en soient les circonstances. Au départ, c’est une idée lancée par l’artiste français Alain Longuet, qui réalise un décompte photographique des 365 jours précédant l’an 2000. Dans la continuité de cette création, Marie-Paule Nègre réalise chaque jour une image qu’elle publie le jour même sur le site web Lunetoil.net. Chaque photographie est accompagnée d’un texte de Patrick Morelli, écrivain et vidéaste. Chacun des textes est composé de trois strophes rédigées comme des haïkus : un commentaire sur la photo, une nouvelle du monde et le journal intime de l’écrivain. C’est ainsi que naît « Le crépuscule des jours », fait pour durer un an qui verra se succéder dix autres photographes ; lesquels, pendant dix ans, répondront à l’engouement que suscite alors cette chronique publiée quotidiennement sur le site internet.