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“Tiki Pop” L’Amérique rêve son paradis polynésien
au musée du quai Branly, Paris

du 24 juin au 28 septembre 2014



www.quaibranly.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 23 juin 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Un avant-goût de paradis. © D.R.
2/  Waikiki room, Un diorama représentant un paysage enchanteur donne l’illusion de dîner sur une plage tropicale au Waikiki Room de Minneapolis, dans le Minnesota. © D.R. Collection Mimi Payne.
3/  Dossier de presse du Roi des îles avec l'imagerie typique de l'argumentaire commercial pour un film des mers du Sud. © D.R.

 


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Interview de Hélène Fulgence, directrice des expositions du Quai Branly,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 23 juin 2014, durée 14'18". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

C'est l'histoire d'un rêve, le rêve d'un ailleurs sensuel, enivrant et épicé. Le Musée du Quai Branly radiographie la construction d'une culture populaire. Des récits des explorateurs du XVIIIéme siècle à la littérature et à la peinture, le Tiki, figure de déités polynésiennes, est la fondation sur laquelle se construit le fantasme d'un éden fantasmé. Entre cabinet de curiosités et étalages d'une brocante, près de 450 oeuvres dressent un tableau archéologique, parfois nostalgique d'une époque révolue. Les pièces présentées se mélangent dans un joyeux désordre qui n'est qu'apparent, des objets de valeur se confondant avec d'autres plus triviaux. Ainsi des classiques littéraires avoisinent des romans pulp, des oeuvres délicatement sculptées dialoguent avec des canettes de 'Tiki Punch', des photos de starlettes ou des magazines télé.

Le début du XXéme siècle voit l'émergence des nouveaux médias: la musique et le cinéma deviennent les véhicules bien plus efficaces de la culture de masse. Le nombre de disques exposés auxquels s'ajoutent méthodes et partitions de guitare hawaïenne démontrent un véritable engouement pour les mélopées sucrées des mers du sud. Dés les années 30, des bars s'ornent de décors polynésiens, proposant un choix inventif de cocktails exotiques à une clientèle aisée. Photos, cartes et menus, vaisselle, montrent la fabrication d'une nouvelle mythologie basée sur le personnage du 'beachcomber', sympathique bourlingueur revenu du Pacifique les bagages pleins d'artefacts. Suivant la figure de référence qu'est Don the Beachcomber, les restaurateurs attirent des personnalités du cinéma dans leurs bars et organisent des fêtes exotiques, construisant non plus seulement une ambiance, mais une marque. Un de ces bars est reconstitué dans ses moindres détails: Passé le Tiki ornant l'entrée, le mobilier de rotin, les murs tressés, le bambou, la décoration de filets de pêche, poissons et sculptures nous immergent totalement dans un monde virtuel enchanteur.

L'explosion de cette nouvelle pop culture vient du contrepoint qu'elle constitue dans l'Amérique des années 50: une société laborieuse en pleine construction atteignant confort et abondance et se découvrant du temps pour les loisirs. Le mythe de la vahiné avec sa sexualité libérée en font un nouvel icône. La référence publicitaire de la femme-objet n'est pas fortuite, elle signe l'entrée du Tiki dans la société de consommation. Le rythme s'accélère, les objets se multiplient et deviennent jetables: pochettes d'allumettes, brochures touristiques, flacons de ketchup, jeux de société, bandes dessinées ou flacon d'alcool à brûler. Il semble bien que toute la société s'empare de cette imagerie du paradis. De bars et night clubs, le Tiki s'impose dans le design de motels, bowlings, cinémas, immeubles résidentiels et villas, générant plans d'architectes, catalogues de matériaux ou d'ameublement, devis d'entreprises, dans un métissage optimiste avec le futurisme des Jetsons.

La remise en question de ce rêve collectif d'un paradis perdu viendra, dans les années 60, réveiller définitivement l'Amérique. Nous voilà comme devant les souvenirs de vacances aux couleurs défraichies de l'american dream, nous demandant si cette époque n'est pas notre rêve exotique à nous, notre paradis perdu.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Sven Kirsten, auteur et spécialiste de Pop culture



Emblématique de la culture populaire américaine des années 50/60, le style Tiki décline une imagerie fantasmée des mers du sud. Il tire ses origines des représentations fantaisistes du Pacifique, véhiculées par les récits des explorateurs dès le 18e siècle. Les romans d’aventures puis les films relayent et popularisent cette vision réinventée des cultures polynésiennes. Le style Tiki influence, dès les années 1930, l’architecture, la décoration des bars et des restaurants américains, et insuffle un véritable art de vivre avec les archétypes du beachcomber (vagabond des plages) ou de la vahiné sexy. L’imagerie Tiki, adaptation très libre du modèle polynésien d’origine, se décline dès lors en version traditionnelle ou moderniste et envahit la vie quotidienne.

Près de 450 oeuvres, photos, films, enregistrements musicaux et documents d’archives témoignent de cet engouement devenu un art de vivre. Une sélection d’objets étonnants – qu’ils soient usuels (verres, boites d’allumettes, cendriers etc..), accessoires pop (flacons de parfums ou de ketchup), éléments de décoration d’intérieur, etc. – est présentée aux côtés d’oeuvres authentiques (sculpture Tekoteko Maori, bol Tonga à Kava…).

Alors que le style Tiki revient depuis peu sur le devant de la scène aux Etats-Unis (réouverture des bars à cocktails…), l’exposition TIKI POP, L’Amérique rêve son paradis polynésien explore la montée en puissance de ce phénomène unique dans la culture américaine, ayant connu son apogée dans les années 50, jusqu’à son déclin à la fin des années 60 et son oubli dans les années 80.

« Dans l'histoire de l'art, certaines époques se distinguent par l’utilisation de la sculpture au service de l'architecture et de l'art décoratif. Le réalisme idéalisé de la statuaire grecque ou les voluptueux chérubins de la Renaissance sont, chacun à leur tour, devenus les icônes d'une certaine période stylistique. Cette exposition présentera un style peu connu du milieu du 20e siècle, inspiré par une forme d'art considéré comme l'antithèse de l'art classique : les sculptures « primitives » des peuples des îles océaniques, qui furent sommairement dénommés « Tiki » par l'Amérique du milieu du 20e siècle. Dans ce monde imaginaire de la culture Tiki Pop, les Américains purent réaliser leur propre film des Mers du Sud, et y tenir des rôles, à grand renfort de faux palmiers, de stars ténébreuses et de bande sonore exotique. Le visiteur cheminera le long d'une trame chronologique qui relatera les prémices de ce mouvement, sa montée en puissance, puis la disparition de ce phénomène unique dans la culture américaine. » Sven Kirsten



Parcours de l’exposition

Section 1 : PRE - TIKI (du 17ème au milieu du 20ème siècle)


L'essor du style Tiki américain, au milieu des années 1950, fut précédé d'un cortège de représentations fantaisistes de la vie dans les Mers du Sud. Quand le Tiki fit son entrée sur la scène américaine, celle-ci était déjà imprégnée de nombreuses interprétations de la culture océanienne.

Les récits de voyages de Bougainville et Cook puis Pierre Loti, Melville et Paul Gauguin ou encore la vogue de la musique hawaïenne dans les années 20 ont tous joué un rôle précurseur dans la formation des mythes liés aux Mers du Sud. Ces références sont à la base de nombreuses idées reçues sur la culture polynésienne et ses extrapolations dans l'imaginaire populaire.

Ainsi fondé, ce mythe du paradis océanique évolua, au cours du 20e siècle, de manière sensiblement identique au divertissement populaire. Jusqu'au début du siècle, l'imagination du grand public avait principalement été influencée par la lecture de romans. A partir des années 1920, les livres cèdent la place à la musique comme source d'inspiration des rêves des Mers du Sud, puis aux films (dont une partie significative fut elle-même tirée des précédents). Le cinéma hollywoodien joue désormais le rôle de nouveau média par lequel le mythe populaire de la Polynésie va pouvoir se perpétuer.

Dans toute l’Amérique, des bars et restaurants à l’ambiance polynésienne sont inspirés de ces films où des personnages inventés évoluaient dans une ambiance irréelle. Ils permettaient ainsi au citadin moyen de se croire au coeur d'un film hollywoodien et d'oublier un instant la routine. Très rapidement, le grand public a adhéré à cette ambiance qui a tout d’abord attiré de nombreuses célébrités hollywoodiennes. Le "Don's Beachcomber Cafe" à Hollywood est devenu une référence pour tous les bars Tiki du 20e siècle. L’idée du fameux "Walk of Fame" (le trottoir de Hollywood Boulevard sur lequel sont gravés des noms de stars) est directement inspirée d'une carte de cocktails tropicaux.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux Américains sont envoyés dans le Pacifique. Malgré la violence du conflit, la notion de paradis polynésien se révéla plus forte que la réalité à laquelle les soldats étaient confrontés. Avec la nouvelle prospérité d'après-guerre, le besoin de divertissement se fit plus grand que jamais. Les épreuves subies pendant les combats cédèrent la place à une vision fantasmée des terres enchantées des Mers du Sud.

La chanteuse et actrice Frances Langford suivit le même chemin que la vogue polynésienne pop en Amérique. Passant de la radio au cinéma, puis au divertissement des troupes pendant la Seconde Guerre mondiale, elle épousa l'acteur de films des Mers du Sud, John Hall, et finit par ouvrir son propre restaurant polynésien appelé « The Outrigger». James Michene, ancien GI relata ses expériences de guerre dans le roman Pacifique Sud, adapté en comédie musicale puis en film. Les éléments romanesques furent enjolivés et bientôt toute l'Amérique se mit à fredonner l'air de Bali Hai.


Section 2 : Tiki - Le dieu américain des loisirs (du milieu des années 1950 jusqu'à la fin des années 1960)

Jusqu'alors, le Tiki faisait partie des nombreuses icônes peuplant l'univers visuel associé au fantasme des Mers du Sud en Amérique. Mais, à partir du milieu des années 50, le goût pour les arts dits «primitifs» devient une marque de raffinement. Des oeuvres provenant d’Océanie sont exposées dans les musées, mais aussi dans les halls d’entrée des bâtiments et les salons des particuliers. Connaître les « arts indigènes » confère une aura de distinction et de culture.

Le Tiki devient alors l'ambassadeur du Paradis polynésien ; son image est diffusée sur toutes sortes de formes et de supports. De grands "Temples Tiki" sont construits ; leur intérieur donnant l’impression d'être sur une île tropicale. Les restaurants et bars jouent également avec le symbole Tiki. Le succès de ces lieux s’explique en grande partie par les boissons qui y sont servies et l'extravagance des décorations tropicales comme de leurs contenants, dont le design prolonge celui du décor. Dès la fin de la Prohibition en 1933, l’art du cocktail fait partie intégrante de cette culture.

La télévision, nouveau média de masse, concurrence les grandes productions hollywoodiennes chez les classes moyennes. Des émissions comme "Hawaiian Eye" ou des séries telles que "Adventures in Paradise" deviennent très populaires. A la même période, Hawaï devient le 50ème état américain et la « cour de récréation » de l'Amérique. Le Luau, fête traditionnelle hawaïenne, arrive jusque dans les villes et les maisons américaines. A son apogée, le style Tiki américain a constitué une forme de pop art unique en son genre.


Section 3 : Montée en puissance, expansion et effondrement du Tiki (1960-1970)

Le Tiki est devenu un style à part entière lorsqu'il a quitté le domaine de la décoration de restaurant et a commencé à influencer le style des immeubles d'habitation, des motels et des bowlings. Les parcs à thème et les centres de villégiature surfèrent également sur la vague Tiki jusqu'à son effondrement.

L’architecture tiki se développe : des bâtiments modernes à fronton en pointe tenant des huttes indigènes et des maisons communes du Pacifique, tout en incarnant l'esprit de l'époque de l'avion à réaction (« Jet Age style ») sont construits. Le style tiki dans les applications architecturales est omniprésent, inventif mais aussi complexe. Le Tiki arrive aussi dans la sphère domestique : ustensiles de cuisine en forme de Tiki, nécessaires de jardin, kits de bricolage, ensembles complets de mobilier de bar maison (inspirés de celui d'Elvis Presley dans sa Jungle Room)…

Malgré cet engouement, la génération qui a créé et apprécié la vague Tiki vieillit et, avec le grand bouleversement social de la fin des années 1960, ses enfants décrètent que les loisirs de leurs parents sont dépassés et vieux-jeu. La prise de conscience de l'ampleur des crimes du colonialisme, du sexisme et du racisme met fin au fantasme des Mers du Sud. Dans les années 1980, le Tiki est complètement oublié.

Marlon Brando, vedette de la version de 1962 du film "Les révoltés du Bounty", constitue une métaphore de l'Amérique Tiki pop. L’histoire de la mutinerie donne corps au rêve du citoyen moyen de se rebeller contre son patron, de quitter son emploi et de vivre une vie sans soucis sur une île des Mers du Sud. Brando faisait figure de dieu parmi les hommes. Il avait le pouvoir de réaliser ce dont le reste de la population (masculine) ne pouvait que rêver : tout comme Fletcher Christian, il prit une jeune fille tahitienne pour femme, puis acheta sa propre île. Mais il ne put empêcher sa famille de succomber à la malédiction des mutins de Pitcairn Il semble qu’après tout, le rêve des Mers du Sud était destiné à rester une chimère qui jamais ne devait se réaliser.


Le retour du Tiki

Après avoir été complètement oublié dans les années 1970 et 80, le Tiki reparaît grâce au travail minutieux d'archéologues urbains et de chasseurs-collectionneurs d'objets pop qui s'emploient à remettre au jour les vestiges de ce style. Leur travail et les livres qu'ils publièrent conduisirent, à terme, à un renouveau artistique Tiki qui redevient un phénomène de la Pop culture.