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“S’il y a lieu je pars avec vous” article 1418
au Bal, Paris

du 11 septembre au 26 octobre 2014



www.le-bal.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 9 septembre 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  © Sophie Calle/Adagp, Paris, 2014. Courtesy the Artist & Galerie Perrotin.
2/  © Antoine d’Agata / Galerie Les Filles du Calvaire / Magnum Photos.
3/  © Julien Magre

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

 

L’autoroute est le thème de la carte blanche donnée par le Bal avec le soutien de Vinci, mécène fondateur du Bal, à cinq artistes photographes qui ont envahit jusqu’au 26 octobre ce lieu dédié à l’image.

Au rez-de-chaussée, Alain Bublex décline sa série sous différents formats et divers habillages, avec des paysages autoroutiers flottants entre réalité et fiction. La route grise, uniforme, aux courbes parfaites est un leurre, un trompe l’œil dessiné qui jette un doute sur l’intégralité de l’image y compris la nature photographiquement reproduite (ciel et forêt). Le paysage est recomposé, factice, ici et là des éléments routiers qui paraissent improbables, comme cette vieille borne kilométrique. Des plantes vertes peintes sur les murs de la salle d’exposition, accompagnent ces images et renforcent ce jeu de trompe l’œil, ce sentiment d’étrangeté. Ici, impossible de se laisser aller au voyage. Le calme apparent pourrait cacher quelque chose. Alain Bublex est le seul à nous placer réellement dans la position du déplacement sur l’autoroute, rapide presque insipide, dans une sensation de grande vitesse immobile.

C’est peut-être ce qui a poussé Antoine d’Agata à nous emmener dans un voyage personnel entre aires de repos, histoire familiale et intimité sexuelle. C’est ce qui souvent arrive lors de la conduite sur autoroute. Une confrontation avec soi-même, en l’absence d’évènement. D’Agata nous propose un récit complexe dans une sérialité organisée autour d’une forme hybride en triptyque : images couleurs de sous-bois vus la nuit depuis une aire de repos avec un éclairage manuel en light painting, journal d’une recherche dans le passé familial qui est rendu illisible par effacement (là, d’Agata marque le seuil de son intimité) et puis images noir et blanc à la nudité orgasmique dont on a l’habitude, mais qui, ici, sont miniaturisées, renversées, répétées, quelque chose entre le photomaton, la planche-contact, la vignette et la planche de timbres, comme un jeu, une collection, une addiction. Un récit répétitif et quelque peu inquiétant avec cette lumière irréelle qui recouvre ces bois. A chaque fois, durant les 36 jours qu’a duré son périple, la régularité et la froideur de la légende (N° du jour, date, température, n° de l’autoroute, nom de l’aire) nous restitue la réalité commune de l’autoroute.

Un déroulement à l’encontre de celui de Julien Magre, qui lui dans une narration cinématographique déroule aussi une histoire familiale sous la forme d’une bande d’images rétro-éclairée et soutenue par un muret qui s’insère dans la pièce du sous-sol, permettant ainsi la distribution de l’espace. Une histoire entre les siens (les acteurs principaux sont toujours sa femme et ses filles), qui est ponctuée d’images insolites oscillant entre banal et accidentel. La voiture, l’autoroute est bien élément de construction familiale. L’enfant photographié ici, probablement le narrateur fantasmé de ce road movie, offre au regard un visage dur, fermé. Ici et là des lumières colorées viennent charmées la pupille.

Stéphane Couturier, spécialiste de la photographie d’architecture monumentale, vient ici casser, déconstruire le paysage autoroutier et sa ligne fluide. A l’aide d’une installation de bandes fines verticales montées sur des lamelles de bois, espacées les unes des autres de quelques centimètres, il recompose un paysage, cette fois, heurté et morcelé. Une forme qui évoque des procédés d’illusions optiques lorsque le mouvement de l’image est opéré par le déplacement du spectateur ou bien rappelle la forme de rideaux en lamelles verticales que l’on pourrait ouvrir et fermer en laissant pénétrer ou non la clarté. Avec une régularité symétrique et une représentation en mouvement, Stéphane Couturier vient appliquer à l’image photographique ce que l’autoroute inscrit dans nos paysages.

Toujours initiatrice d’actions incongrues (invitations aux automobilistes affichées sur les gigantesques panneaux d’information, démarchage et récolte de propositions depuis une cabine de péage offerte à l’artiste le temps d’une nuit), Sophie Calle fait irruption dans nos vies, comme elle nous laisse faire irruption dans la sienne. Avec des propositions à la fois simples et hors de la dimension du commun, elle grille, à nouveau, somptueusement les frontières de l’intimité et du public dans un jeu presque clownesque : « Ou pourriez-vous m’emmener ? », lance-t-elle provocatrice. En contre-champ, s’emparant et détournant les dispositifs en place, ici les caméras de surveillance, elle vient rendre visible ce qui parait improbable : la vie des animaux qui vivent à proximité des autoroutes. Dans des petits cadres sertis de métal blanc, on distingue des biches, chevreuils, renards, sangliers, lièvres, faisans au regard scintillant.

Le Bal, soutenu par Vinci, nous offre-là des propositions riches de questionnements et de détournements partagées par cinq artistes qui nous font parfois revivre, parfois oublier les centaines d’heures passées sur les réseaux autoroutiers qui quadrillent nos territoires et nos mémoires.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition : Diane Dufour et Fannie Escoulen



avec Sophie Calle, Julien Magre, Stéphane Couturier, Alain Bublex et Antoine d’Agata

« L ’autoroute est une boucle. D’un point de départ, on y revient toujours. Voilà cinq artistes partis sur la route à l’invitation du BAL. à la recherche d’une histoire, souvent la leur. L’autoroute, anonyme et pourtant si familière, devenue leur territoire de création, le terrain du «je».

Sophie Calle s’y installe, le temps d’une nuit. Elle nous attend cabine 7 du péage de Saint-Arnoult. Elle demande, à qui veut bien l’entendre : Où pourriez-vous m’emmener ? Est-ce loin ? Que quittez-vous ?... D’étranges voisins, surgis des écrans de surveillance, semblent vouloir lui répondre.

Julien Magre voyage toujours en famille. Caroline, sa femme, une carte à la main, Louise et Suzanne ses deux filles, à l’arrière de la voiture, embarqués pour un road movie entre rêves, apparitions et hallucinations... Qu’avons-nous vu cette nuit-là ?

Stéphane Couturier est observateur. Il réinvente le paysage classique en prélevant une portion de l’espace terrestre. Fragmentés, fractionnés, recomposés, sa route et ses morceaux de champs, de ponts, de chemins et d’habitations existent bien mais comment les lire dans cette déconstruction visuelle organisée?

Alain Bublex dans sa voiture. Ensemble, ils arpentent depuis bien longtemps déjà le bitume. Se dessinent alors des horizons artificiels et des aplats trompeurs. Des paysages plein d’artifice pour nous emporter, nous troubler, nous bercer d’illusions. Car la réalité de Bublex ne semble pas être précisément celle que nous voyons... la vraie vie est ailleurs?

Enfin, Antoine d’Agata, parti sur les traces de ses origines. Paris-Marseille-Nice, la frontière italienne. Un journal, 36 jours sur la route, des rencontres, des retrouvailles, familiales et intimes, une histoire en train de se ré-écrire. Notes autobiographiques, fragments de paysages, de mémoires et de vies. En reviendra-t-il ?

Pour tous, assurément, une invitation à se trouver, à se perdre... s’il y a lieu. »

Diane Dufour et Fannie Escoulen




Drôle d’endroit pour une rencontre par Philippe Azoury
Extrait du texte publié dans son intégralité dans l’ouvrage accompagnant l’exposition S’il y a lieu je pars avec vous.

« Ce que je crois savoir des autoroutes, je le range dans le coffre arrière et je l’oublie.

De toute façon, les autoroutes, elles aussi sont sans mémoire, ou du moins nous ne savons pas nous en souvenir : on ne se rappelle d’un voyage que s’il s’est mal passé. Parce qu’à l’arrivée nous attendait un moment fort de notre vie. Pour ce morceau entendu soudain dans l’autoradio. Mais la route en elle-même ? Non, jamais. Comme si son existence s’effaçait au fur et à mesure de sa traversée.

L’A7 traverse la vallée du Rhône. L’A9 croise l’Hérault. Ah ! Et ces arbres là, ils sont très bien. C’est quoi ? Je serais incapable de le dire. Et ce joli village, là, de l’autre côté de la borne ? Où ça ? Nous ne l’avons qu’à peine croisé. Toute une faune habite les 11 882 kilomètres d’autoroutes de France. Ah bon ? Moi, je ne vois rien.

Ils sont cinq sur cette autoroute – drôle d’endroit pour une rencontre. Cinq photographes / artistes à qui l’on a demandé de voir à notre place – nous qui roulons là sans rien y voir, nous qui roulons à l’aveugle. Cinq pour investir l’autoroute, et la faire sortir de cette idée fausse qui lui colle à la roue : n’être à jamais qu’un non-lieu.
Pour cela, rouler différemment, prendre leur temps, un autre temps, a contrario de l’excès de vitesse. Un temps de pause, peut-être. Le temps de se perdre et celui de s’arrêter, de parler, de chercher à parler, d’écrire.
Pour atteindre quelque chose qui aurait l’intensité du voyage ultime et l’ironie de l’aire de jeu. »



L’exposition est accompagnée d’un ouvrage co-publié par Le BAL et Xavier Barral éditions.
L’exposition est réalisée avec le soutien de Vinci, mécène fondateur du BAL