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“Sade” Attaquer le soleil
au Musée d'Orsay, Paris

du 14 octobre 2014 au 25 janvier 2015



www.musee-orsay.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 13 octobre 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Gustave Moreau (1826-1898), L’Apparition, 1876. Aquarelle sur papier, 106 x 72,2 cm. Paris, musée d’Orsay, RF 2130 recto. © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Jean-Gilles Berizzi.
2/  Charles-François Jeandel (1859-1942), Deux femmes nues attachées, allongées sur le côté, entre 1890 et 1900. Cyanotype, 17 x 12 cm. Paris, musée d’Orsay, PHO 1987 18 100. © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt
3/  Sir Edward Burne-Jones (1833-1898), La Roue de la Fortune, entre 1875 et 1883. Huile sur toile, 216 x 154 cm. Paris, musée d'Orsay. © RMN (Musée d'Orsay) / Gérard Blot.

 


1456_Sade audio
Interview de Laurence des Cars, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 octobre 2014, durée 8'01". © FranceFineArt.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Étrange initiative que celle à laquelle s’est livré le Musée d’Orsay en choisissant de construire une exposition autour de Sade, l’un des auteurs français les plus décriés et pourtant toujours sujet de fascination. Tableaux et sculptures mais aussi dessins et photographies viennent illustrer les propos d’un écrivain qui a contribué à bouleverser à partir du XVIIIe siècle la perception du corps et du désir.

Révéler les pulsions
Mais comment illustrer par l’art la pensée – considérée comme infâmante – d’un auteur tel que Sade et démontrer son influence sur le développement et la libération de la pratique artistique ? En plusieurs grands thèmes, l’exposition, particulièrement dense, s’appuie sur des œuvres du XIXe et du début du XXe siècles, de Eugène Delacroix à Man Ray, rythmées par des citations tirées des écrits du marquis. Elle met en exergue la violence et la cruauté contenues dans ces productions, aux images parfois presque insoutenables. La Scène de guerre au Moyen Âge de Degas (1865), avec ses hommes montés sur des cheveux et massacrant des femmes sans défense représentées nues, témoigne ainsi du penchant de l’homme à exercer une brutalité débridée qui, pourtant, trouve souvent une justification dans la célébration d’un soi-disant courage. L’esquisse de La Chasse au Lion de Delacroix (1854), avec ses couleurs chaudes qui se mélangent en tourbillonnant et d’où émergent des formes reconnaissables (une tête de cheval agonisant), symbolise alors quant à elle dans son déchaînement l’animalité constamment présente de l’homme.

Mais c’est surtout dans la représentation du corps, du désir et des pulsions sexuelles, forcément marquées par la violence, que l’influence de Sade se fait le plus sentir. Se nourrissant d’abord de mythes susceptibles d’exprimer le désir sexuel, comme celui de l’enlèvement des Sabines repris et décliné à l’infini (Je suis belleL’enlèvement, de Rodin, 1882), l’art finit peu à peu au cours du XIXe siècle à se libérer pour atteindre au début du XXe siècle une forme d’expression beaucoup plus directe et moins suggestive. Jusqu’à emprunter parfois un caractère pornographique. Tel est le cas des photographies de Man Ray (Nu attaché ou Mise en scène fétichiste pour William Seabrook, 1930) où le corps de la femme devient l’objet d’un jeu pervers, mais aussi des dessins d’André Masson qui, bien que s’apparentant à des gribouillages, représentent de façon très explicite des femmes nues aux corps entièrement livrés, proies du désir et du fantasme.

Libérer l’imagination
Les œuvres ici présentées ne cherchent pas tant à découler de la réflexion de Sade qu’à l’illustrer. Tous les grands thèmes abordés par l’auteur sont là, de l’exposition de la violence et de l’animalité inhérente à la nature humaine, des pulsions qui dominent l’homme à la société aux lois hypocrites qui tentent de les étouffer, en passant par l’athéisme radical qui nourrissait sa pensée. Et si les artistes n’ont certainement pas consciemment cherché à matérialiser la pensée de l’auteur, force est cependant de constater que l’art se libère au fil du temps, osant montrer ce qui jusque là devait rester caché, tout comme Sade a osé dire ce qui était condamné à rester tu. Mais c’est surtout au XXe siècle que l’auteur est réhabilité, alors que les artistes n’hésitent plus à désacraliser les figures divines (Oh Marie mère de Dieu, Pierre Molinier, 1962 et son imagerie érotico-démoniaque) ou à faire subir au corps nu les transformations les plus étranges, exprimant des fantasmes qui ne peuvent s’incarner dans la réalité de la chair (La Poupée, Hans Bellmer, 1935, et sa vision angoissante de deux paires de jambes reliées par le ventre).

En exposant les vices des hommes, en exprimant leurs pulsions et leurs désirs les plus enfouis, Sade a contribué à libérer la parole et les mœurs ainsi que l’imagination des artistes, prouvant que ces instincts cachés peuvent être de puissants moteurs de création. Car c’est uniquement par l’imagination que l’homme peut atteindre à une certaine forme d’infini, infini qui demeure l’objectif ultime de toute expression artistique.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Annie Le Brun, commissaire général
Laurence des Cars, conservateur général, directrice du musée de l’Orangerie




Annie Le Brun, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet dont l’incontournable Soudain, un bloc d’abîme, Sade, se voit confier le commissariat général de l’exposition consacrée à Sade organisée par le musée d’Orsay à l’occasion du bicentenaire de la mort de l’écrivain. Le propos, tel qu’elle le définit elle-même, sera de «montrer comment, avant d’avoir une importance majeure dans la pensée du XXe siècle, l’oeuvre de Sade a induit une part de la sensibilité du XIXe siècle, quand bien même le personnage et ses idées y auront-ils été tenus pour maudits.

Car si Baudelaire, Flaubert, Huysmans, Swinburne, Mirbeau… sans parler d’Apollinaire, s’y sont référés à titres divers, tout porte à croire que la force de cette pensée est d’avoir aussi rencontré, révélé, voire provoqué ce qui agite alors en profondeur l’expression plastique, concernant autant l’inscription du désir que son pouvoir de métamorphose.

C’est l’image du corps en train d’être bouleversée de l’intérieur, annonçant une révolution de la représentation. Que ce soit évident chez Delacroix, Moreau, Böcklin…, ce qui est en jeu n’est pas sans inquiéter aussi Ingres, Degas ou Cézanne et bien sûr Picasso. Et cela tandis que Félicien Rops, Odilon Redon, Alfred Kubin se rapprochant d’une expression restée jusqu’alors marginale (curiosa ou folie), avant que le surréalisme ne reconnaisse le désir comme grand inventeur de forme.

À retrouver ce cheminement, il sera possible de mesurer combien, à dire ce qu’on ne veut pas voir, Sade aura incité à montrer ce qu’on ne peut pas dire. Ou comment le XIXe siècle s’est fait le conducteur d’une pensée qui, découvrant l’imaginaire du corps, va amener à la première conscience physique de l’infini.
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