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“Inside” article 1466
au Palais de Tokyo, Paris

du 20 octobre 2014 au 11 janvier 2015



www.palaisdetokyo.com

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 19 octobre 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Andro Wekua, Untitled, 2011. © Andro Wekua. Courtesy de la Gladstone Gallery, New York – Bruxelles.
2/  Dove Allouche, Les Pétrifiantes, 2012. Collection Frac Bretagne © Dove Allouche. Courtesy de l'artiste et de la Galerie Gaudel de Stampa, Paris.
3/  Numen, Tape Melbourne. Photo : Numen.

 


1466_Inside audio
Interview de Daria de Beauvais, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 19 octobre 2014, durée 3'56". © FranceFineArt.

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

 

La forêt est en carton ciselé, la membrane surélevée en scotch transparent, les vitres ne sont qu’illusion optique, un homme entre en gestation dans la peau d’un ours, les cabanes d’enfant sont en marbre, une personne tousse à en cracher tout son sang, le regard d’un jeune homme électrise le corps d’une femme mûre, la pluie se déverse de l’intérieur d’une maison, le feu se répand dans une autre sans que personne n’y prenne garde, la pellicule d’un film fait le tour d’une pièce avant de se réengager dans l’appareil de projection qui ne fait que montrer le défilé sans issu d’un tunnel.

Nous ne sommes pourtant pas au pays des merveilles, mais bien à l’intérieur du Palais de Tokyo, dans l’exposition collective, Inside. Et c’est un peu comme si nous pénétrions les entrailles de la création contemporaine. On traverse des forêts, des mines, des grottes, des zones dévastées, des ateliers en construction, des œuvres parfois restées dans l’impasse, des combats internes, des récits enfantins en révolte, etc. Ici et là, les œuvres se font subtilement écho à quelque distance. Là, vous devez traverser une pièce obstruée par une vitre qui n’en est pas (Marcius Galan). Ici, vous trouverez vous-même le moyen d’actionner la porte pour sortir de la pièce (Valia Fetisov). Plus loin, c’est la caverneuse voix de Bruce Nauman qui vous exhorte à quitter la salle. Comme dans une seconde ligne de canevas, d’autres récits s’installent : avec Andro Wekua, les acteurs portent des masques de cires. L’homme qui tousse chez Christian Boltanski a le visage recouvert de bandelettes. Les figurines de Nathalie Djurberg sont déjà eux intégralement faites de tissus et de pâte à modeler. Avec Araya Rasdjarmrearnsook, les personnages sont pourtant de vrais morts, ne bougeant plus, ne souffrant plus.

Ainsi, vidéos et installations, parfois dessins et graffitis, se succèdent et s’alternent dans une régularité de plus en plus marquée au fur et à mesure que le fil se déroule sous nos pieds. Car on se sent galvanisé, happé, absorbé d’un univers à l’autre, embarqué dans les songes de l’un, et projeté dans les peurs d’un autre. Le cheminement est rapide, comme dans l’excitation d’une redécouverte de l’intérieur de soi. L’intérieur comme lieu de protection, de refuge, l’intérieur comme espace de projection, l’intérieur comme lieu de création ou même d’autodestruction. Les œuvres se succèdent sans transition, mais dans une alternance d’environnement clair à salle obscure, comme un balancement entre un blanc muséal, clinique et un noir cinématographique. Un domino presque sans fin qu’on aurait peut-être même pu penser encore plus audacieux. Un moyen de voyager tout aussi tragique que ludique dans la création d’aujourd’hui, avec des œuvres pointues qui s’appréhendent aussi dans l’immédiateté. Une scénographie qui ne demande pas forcément de décryptage. Un art contemporain proche, accessible, qui parle de l’intérieur de nous-mêmes et qui pourrait réconcilier plus d’un avec les dédales du Palais de Tokyo.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires : Jean de Loisy, Daria de Beauvais, Katell Jaffrès



Avec : Jean-Michel Alberola, Dove Allouche, Yuri Ancarani, Sookoon Ang, Christophe Berdaguer & Marie Pejus, Christian Boltanski, Peter Buggenhout, Marc Couturier, Nathalie Djurberg & Hans Berg, Dran, Valia Fetisov , Marcius Galan, Ryan Gander, Ion Grigorescu, Hu Xiaoyuan, Eva Jospin, Jesper Just, Mikhail Karikis & Uriel Orlow, Mark Manders, Bruce Nauman, Mike Nelson, Numen/For Use, Abraham Poincheval, Araya Rasdjarmrearnsook, Reynold Reynolds & Patrick Jolley, Ataru Sato, Stéphane Thidet, Tunga, Andra Ursuta, Andro Wekua, Artur Zmijewski


Inside propose au visiteur une expérience unique, une traversée risquée de soi dont l’espace d’exposition est le sujet et la métaphore. Cette odyssée, tant physique que mentale, invite à traverser un Palais de Tokyo métamorphosé par les artistes de façon à ce que, d’une installation à l’autre, d’un étage à l’autre, nous soyons à l’intérieur d’oeuvres. Celles-ci, dont certaines créées spécifiquement pour l’exposition, nous conduisent au plus près de nous-mêmes, de l’expérience de l’espace jusqu’à nos pensées et nos craintes les plus secrètes.

À la manière des chambres noires, l’intérieur est un lieu privilégié pour l’apparition des images : de l’art pariétal et des récits originels à la découverte de l’intériorité du sujet, des remous internes de la mélancolie au vaste territoire de l’inconscient. Pour les surréalistes ce fut l’accès aux puissances du rêve ; pour Bataille, une recherche extatique des états les plus extrêmes de la pensée. Inside est aussi l’occasion de plonger dans la psyché de certains des artistes, dont les œuvres présentées sont autant de projections mentales, face auxquelles le visiteur doit affronter sa propre intériorité. Ce long parcours permet d’appréhender de manière inédite le bâtiment – transformé en un organisme à découvrir– à la façon d’un voyage, du physique au mental, du psychique au spirituel, selon l’archétype du voyage initiatique. L’ensemble des oeuvres produit une expérience à la fois sensorielle et émotionnelle. Inside convoque toutes les émotions qui font notre humanité : joie, inquiétude, effroi, horreur, désir, plaisir… Une expérience profonde, troublante et imprévue.

N.B. : L’ordre des textes sur les artistes correspond à celui du parcours de l’exposition « Inside ».


NUMEN/FOR USE
Uniquement constituée de scotch transparent, l’installation monumentale de Numen/For Use (Sven Jonke, né en 1973, vit et travaille à Berlin ; Christoph Katzler, né en 1968, vit et travaille à Vienne et Nikola Radeljkovic, né en 1971, vit et travaille à Zagreb) se déploie dans le hall d’entrée du Palais de Tokyo comme une toile étirée. Les bras de ce corps suspendu au bâtiment laissent entrevoir l’intérieur de la forme organique. La structure invite les visiteurs à se diriger vers le début du parcours de l’exposition Inside. Les plus aventureux ont la possibilité de pénétrer dans cette matrice protectrice, dont la traversée constitue la première étape d’une plongée dans un intérieur tant physique que mental.

Eva JOSPIN
Pour pénétrer dans l’exposition Inside, il faut d’abord oser entrer dans une forêt mystérieuse, créée par Eva Jospin (née en 1975, vit et travaille à Paris). La forêt, incarnation de la nature à l’état sauvage, est surtout dans les récits traditionnels l’espace de l’épreuve, funeste ou initiatique. Elle est aussi le lieu de la rencontre avec soi-même. Traverser la forêt, c’est initier la visite de l’exposition Inside qui est un voyage intérieur. Eva Jospin travaille le carton pour concevoir volume et perspective, créant des bas-reliefs évocateurs. Un long travail de découpage, d’assemblage et de superposition, une certaine violence dans le geste, lui permettent de ciseler des forêts à la fois denses et délicates, mystérieuses et apaisantes L’artiste réalise des œuvres ayant la capacité d’être dans le même temps frontales et immersives, parfaits supports de projection mentale, via un matériau familier et sans qualité esthétique intrinsèque.

Mikhail KARIKIS & Uriel ORLOW
Sounds from Beneath (2011 - 2012) présente une chorale d’anciens mineurs qui imitent par leur chant les bruits de la mine. Le tintement des machines, l’écho sourd des galeries et la rumeur de centaines d’hommes au travail s’élèvent au-dessus du paysage désolé. Tel un appel à une plongée souterraine, la vidéo de Mikhail Karikis (né en 1975, vit et travaille à Londres) et Uriel Orlow (né en 1973, vit et travaille à Londres) a valeur d’introduction à l’exposition Inside. Le renversement spatial induit la représentation mentale d’un monde souterrain, enfoui et invisible, que les visiteurs vont être amenés à explorer dans l’exposition. Mikhail Karikis travaille la voix humaine comme un matériau à part entière. Dans ses vidéos, il étudie le son de la voix, ses possibilités plastiques mais aussi ses rapports à l’identité collective dans une perspective sociétale. Pour Sounds from Beneath, il s’est associé à Uriel Orlow dont la recherche porte notamment sur la construction des récits et sur le paysage comme lieu de mémoire et d’histoire.

Marcius GALAN
Diagonal Section (2014) est une oeuvre illusionniste de Marcius Galan (né en 1972, vit et travaille à São Paulo), qui fait passer le visiteur « de l’autre côté du miroir », lui permettant d’effectuer un voyage initiatique. D’une grande sobriété, cette installation in situ montre un obstacle symbolique, a priori infranchissable, que seuls les plus courageux – ou les plus inconscients – réussiront à pénétrer. L’artiste propose un jeu sur la perception (physique ou mentale) de l’espace qui nous entoure. Il s’agit de mettre en échec nos sens : l’oeuvre semble se dématérialiser sous nos yeux. Un art minimal et contextuel, d’une grande neutralité formelle, est au coeur de la pratique de Marcius Galan. L’artiste crée un trouble tant physique que mental avec des oeuvres à l’encontre des systèmes de représentation habituels : ce que nous voyons au premier abord n’est jamais ce qu’est effectivement l’oeuvre. Ses interventions architecturales et ses sculptures remplacent la réalité par son double et nous renvoient aux représentations qui structurent notre rapport à l’espace.

Marc COUTURIER
Pour l’exposition Inside, Marc Couturier (né en 1946, vit et travaille à Paris) est invité à poursuivre la série des dessins du Troisième jour en réalisant une intervention murale monumentale. Cette série se réfère au livre de la Genèse où, au troisième jour de la Création, les eaux se séparent de la terre sur laquelle sont créés la Nature et les végétaux. Réalisé au graphite, le dessin est le fruit d’un geste spontané et continu, dialogue permanent entre la volonté et l’intuition de l’artiste. C’est d’ailleurs par une approche intuitive que le visiteur peut appréhender cette oeuvre, où le paysage de cet élan originel de la création se révèle peu à peu. Ce travail majestueux et délicat engage une contemplation et un lâcherprise. C’est en chacun de nous et à distance de la réalité que la poésie existe alors. Marc Couturier glane et collecte objets et matériaux. Il en décèle le potentiel poétique qu’il révèle au monde. Lignes et matières forment un corpus et s’associent aux sculptures monumentales comme les Lames, invitant à un rapport contemplatif à l’oeuvre d’art.

Dove ALLOUCHE
Dove Allouche (né en 1972, vit et travaille à Paris) propose trois séries d’oeuvres qui ont en commun l’expérience du temps et de l’espace. Les Pétrifiantes (2012) nous place face au long travail de sculpture de sources souterraines ; Spores (2014) témoigne de l’action de champignons microscopiques dans l’air ambiant ; Pétrographies (2014) enfin, permet de faire l’expérience de l’invisible : des coupes transversales de stalagmites forment un système de datation. Apparait à l’oeil nu ce qui est habituellement caché, une intériorité organique dont la durée d’existence dépasse le temps humain. Adepte de techniques rares et complexes (héliogravure, physautotype…), Dove Allouche réalise des images à la lisière de la photographie, du dessin et de la gravure. Ces oeuvres, le plus souvent abstraites et jouant du contraste entre noir et blanc, trouvent leurs origines dans le domaine physique, qu’il s’agisse d’expérimentations scientifiques ou de documentation de phénomènes naturels dans ce qu’ils peuvent avoir de plus extrême (volcan en activité), voire sublime (ciels déchirés par des éclairs).

Abraham POINCHEVAL
La sculpture habitable d’Abraham Poincheval (né en 1972, vit et travaille à Marseille) a été conçue en collaboration avec le musée Gassendi (Digne-les-Bains) pour que l’artiste puisse vivre en son sein de manière autonome, coupé du monde extérieur. Pendant les treize jours de sa performance au musée de la Chasse et de la Nature (Paris), tel Jonas dans le ventre de la baleine, l’artiste a habité la peau de cette sculpture d’ours à taille réelle, a fait corps avec la bête, se nourrissant comme elle. Cette expérience extrême de solitude et de retrait du monde a été filmée et retransmise en vidéo. Abraham Poincheval explore le monde en repoussant ses limites physiques et mentales. L’enfermement, l’absence de communication et la vie en autarcie sont des démarches qu’il multiplie, passant par exemple une semaine dans un trou creusé dans le sol d’une galerie et recouvert par une pierre d’une tonne. En 2013, il renoue avec l’isolement souterrain et analyse la perte totale des repères visuels et temporels en habitant, pendant cinq jours, une grotte privée de lumière.

Ataru SATO
À l’occasion de sa première exposition en France, Ataru Sato (né en 1986, vit et travaille à Tokyo) réalise un ensemble de dessins spécialement conçus pour « Inside ». L’installation qu’il propose devient, le temps de son séjour à Paris, le réceptacle de son univers personnel. L’espace intérieur rouge accueille les dessins en couleurs qu’il réalise régulièrement depuis 2009. Ces dessins, associés à deux autres dessins encadrés, matérialisent les pensées quotidiennes de l’artiste à la façon d’un journal intime, alors que, sur les parois extérieures, ce sont les rencontres faites par l’artiste qui seront dessinées en noir, à même le mur. La paroi devient alors le point de rencontre de moments d’échange, de partage et de curiosité vécus par l’artiste durant son séjour parisien. Ataru Sato appréhende sa propre existence par le dessin. Par cette pratique obsessionnelle, il élabore un autoportrait, donnant à voir le foisonnement de son existence.

Yuri ANCARANI
« Da Vinci » : un nom évocateur de chefs-d’oeuvre de l’histoire de l’art, mais aussi un robot médical manipulé à distance permettant aux chirurgiens de réaliser des opérations. Yuri Ancarani, cinéaste et artiste (né en 1972, vit et travaille à Milan), nous fait avec ce film accéder à l’intérieur d’un corps humain, dans des tonalités de bleu évoquant la « grotta azzura », grotte maritime mythique à Capri. Ici s’observe la danse des machines, signe non pas d’un environnement déshumanisé mais au contraire d’une intelligence humaine au travail. Une image quasi-documentaire, sans dialogues et se focalisant sur le geste, est le signe distinctif des films de Yuri Ancarani. Sa trilogie sur la notion de travail présente, outre Da Vinci (2012), Il Capo (2010), tourné dans une carrière de marbre à Carrare et Piattaforma Luna (2011), autour d’une plateforme sous-marine en eaux profondes. Ces trois films mettent en avant des métiers extrêmes, dont chaque geste devient chorégraphie et transforme en héros ceux qui les effectuent.

Ryan GANDER
I is… est une série de sculptures dont trois nouvelles occurrences sont présentées ici pour la première fois. Créant des sculptures en marbre – matériau pérenne et noble – d’après des abris de fortune réalisés par sa petite fille, Ryan Gander (né en 1976, vit et travaille à Londres) met en exergue l’idée de protection : de la fragile cabane d’enfant dont la protection symbolique est immense, à la cabane de marbre, certes solide, mais impénétrable, avec ses drapés caractéristiques de la sculpture classique. Les oeuvres de Ryan Gander sont autant de fils rouges créant un enchevêtrement de formes et de sens (films, sculptures, performances, photographies, installations…), un puzzle mental héritier de l’art conceptuel, dont l’artiste dénoue les signifiants avec humour. D’une fausse publicité à la gloire de l’imaginaire à un courant d’air dans une pièce close, son travail pluriel n’est jamais là où on l’attend, et joue des rapports complexes entre réalité et fiction.

Peter BUGGENHOUT
Peter Buggenhout (né en 1963, vit et travaille à Gand) crée avec Hold On (2014) une installation in situ hybride et imposante, qui semble au premier regard être une structure abandonnée ou bien un bâtiment dévasté. Elle procure cette sensation d’arriver trop tard, après la fin du monde. L’oeuvre ne laisse au spectateur pas d’autre possibilité que suivre un parcours labyrinthique et accidenté, parmi les décombres de caravanes éventrées et de châteaux gonflables à bout de souffle qu’il faut néanmoins pénétrer. Les sculptures et installations de Peter Buggenhout semblent autant d’émanations du chaos, mais un chaos organisé, le plus souvent dans la monumentalité. Assemblages de poussière et de déchets, mêlant l’organique au mécanique et à l’industriel, ses oeuvres sont autant de reliques du quotidien élevées au rang d’autels spirituels. Le visiteur est saisi, entre la fascination et l’effroi, par le trouble de ne pas savoir ce qui lui fait face : la perte des repères se double d’une ode à l’informe.

Mark MANDERS
Entourés d’une membrane transparente, des simulacres de cellules forment un parcours accidenté. Comme la mise en forme d’un espace mental, cette installation réalisée spécifiquement pour le lieu par Mark Manders (né en 1968, vit et travaille à Ronse, Belgique) évoque l’atelier de l’artiste mais aussi un chantier de fouilles archéologiques. On imagine l’humidité de l’argile sous les bâches, alors qu’il s’agit de sculptures en bronze, tandis que des figures humaines amputées entrent en symbiose avec des éléments d’architecture. Depuis plus de vingt ans, Mark Manders développe un autoportrait au long cours au moyen de sculptures, installations et architectures. Définissant lui-même son travail comme un « autoportrait en bâtiment », l’artiste mêle les références empruntées à l’histoire de l’art – des édifices solitaires de Giorgio De Chirico aux sculptures de jeunes gens dans l’Antiquité grecque – pour imaginer des oeuvres qu’il souhaite voir réunies dans ce bâtiment aux fenêtre obstruées, mêlant le futur au passé.

Mike NELSON
Mike Nelson (né en 1967, vit et travaille à Londres) poursuit un travail en série initié en 1998 puis repris en 2005. L’artiste investit ce qu’il appelle « dispositif d’atelier », construisant une oeuvre qui se situe quelque part entre l’exposition et l’espace de travail. Mike Nelson l’envisage comme un espace de création dans lequel les objets et les matériaux, ainsi que les idées, précédemment employés, sont conservés et réarticulés, créant ainsi une sorte de mécanisme à prédire l’avenir de sa propre création.
La pièce inédite présentée dans l’exposition « Inside » fait écho à une autre oeuvre créée simultanément à la Kunsthalle Münster. Chaque « dispositif » s’inspire d’une introduction au livre L’École des Robinsons dans lequel Jules Verne parodie « l’Île Mystérieuse », son thème de prédilection. Mike Nelson s’empare de ces notions de parodie, du motif de l’île et du scénario désormais cliché de ses habitants, pour concevoir son oeuvre. Le visiteur est invité à entrer dans la psyché de l’artiste à un moment particulier, entre son passé et son futur – une chimère insaisissable que l’on pourrait nommer le présent.

Ion GRIGORESCU
Dans Boxing (1977), Ion Grigorescu (né en 1945, vit et travaille à Bucarest) combat son double à mains nues. Par un trucage simple, la double exposition du film, l’artiste met en images une lutte intérieure, la dualité de chacun et le dédoublement de la vie individuelle et publique. Il utilise dès les années 1970 son corps comme principal outil d’expérimentation. Réalisés dans la clandestinité, ses premiers films le mettent en scène, souvent nu, dans l’intimité de son espace domestique, loin de la surveillance policière du régime de Ceaucescu. Figure importante de l’art contemporain roumain, Ion Grigorescu utilise la photographie, la peinture, le film et la lithographie pour exprimer sa quête d’identité dans un climat de malaise social et politique. Jusque dans ses oeuvres récentes, l’autobiographie et l’investissement de la sphère personnelle sont pour lui un moyen de résistance.

dran
Artiste peintre, dran (né en 1979, vit et travaille à Toulouse), investit le grand escalier reliant les deux niveaux de l’exposition Inside. Coupé de la lumière naturelle, ce parcours graphique peint exclusivement en noir se présente comme une descente dans les entrailles du bâtiment. Nourrie de de souvenirs, d’observations et de ressentis, d’histoires et d’anecdotes, cette intervention constitue un portrait spatial, à découvrir au fil de la descente. La bande dessinée, la caricature et le graffiti ont suivi l’artiste tout au long de ses études à l’école des Beaux-Arts de Toulouse constituant un monde parallèle face à une réalité à laquelle il n’avait pas l’impression d’appartenir. Il s’est fait connaître par ses livres comme La télévision (2005), Ma ville, je l’aime (2005) ou encore 100 jours et quelques (2010), empreints de satire, d’humour et d’imaginaire surréaliste. dran parle en image, comme un mime crierait. Le dessin et sa thérapie constituent son lien avec le monde et la vie.

HU Xiaoyuan
L’installation vidéo No Reason Why (2010) de Hu Xiaoyuan (née en 1977, vit et travaille à Pékin) présente à première vue l’étrange et lente chorégraphie d’un cocon qui se déplace sur une table ou dans une boîte. Dans son enveloppe protectrice, un corps s’agite ; l’éclosion semble imminente. Étroitement emballée dans un tissu, une jeune fille se débat dans une longue performance sans issue qui éclaire la frontière ténue entre protection et enfermement, abri et prison. Les vidéos de Hu Xiaoyuan, ses dessins et ses installations isolent de petits mouvements répétitifs et de légères impulsions. Étirés dans le temps, ils sont autant de fragments de vie animés par un souffle invisible. Hu Xiaoyuan compose avec le tissu, les matières organiques et le bois des jeux optiques et poétiques oscillant entre quiétude et confinement.

Sookoon ANG
Exorcise Me est une installation vidéo sur quatre écrans, créant un environnement dans lequel le visiteur est happé. Des adolescentes en uniforme de collégienne, le visage grimé en tête de mort, posent avec langueur et flegme. Le maquillage fait référence au langage gothique du rock métal, alors que leur attitude rappelle les jeunes filles tournées vers elles-mêmes peintes par Balthus. L’adolescence est un moment particulièrement intense dans la recherche de soi. Le doute, l’anxiété, la recherche de son identité et de son rapport au monde entrainent un inconfort propre à ce passage de l’enfance à l’âge adulte. À travers la photo, la vidéo et la sculpture, Sookoon Ang (née en 1977, vit et travaille à Singapour et en France) aborde la question de l’existence et de sa nature instable. Les émotions, la vie quotidienne, les notions de réalité et de perception traversent ses oeuvres, nous amenant à reconsidérer notre environnement sensible.

Andro WEKUA
À l’intersection de l’histoire, de la mémoire et du fantasme, le travail d’Andro Wekua (né en 1977, vit et travaille à Berlin) suscite un sentiment d’inquiétante étrangeté. Il présente ici un condensé de ses investigations mnémoniques, avec une sculpture, un film et un environnement. Les trois sont liés afin de créer un sentiment de claustrophobie, voire d’angoisse : Untitled (2011), un mannequin de cire à la tête encapsulée dans une maison fait écho à un court-métrage à la lisière de la science-fiction, Never Sleep With a Strawberry in Your Mouth II (2010-2012). Dans les deux cas quelqu’un, ou quelque chose, prend possession de notre esprit. Originaire de Georgie, en ex-URSS, pays qu’il a dû fuir dans son enfance, Andro Wekua conserve dans son travail la trace de cet ailleurs. Ses personnages de cire à échelle humaine semblent se protéger du monde extérieur par la richesse de leurs pensées les plus intimes, tandis que ses peintures convoquent les avantgardes du début du XXe siècle et que ses maquettes sont des souvenirs de l’architecture communiste de son passé.

Christian BOLTANSKI
Avec L’Homme qui tousse (1969), Christian Boltanski (né en 1944, vit et travaille à Malakoff) place le visiteur en position de voyeur et fait de lui le témoin d’une scène noire. Réalisé avec peu de moyens, le film présente un homme modestement habillé, assis à même le sol d’une pièce vétuste, qui tousse sans relâche au point de cracher un flot de sang sur sa poitrine et sur ses jambes. Métaphore du combat intérieur qui nous habite, l’oeuvre nous confronte à nos sentiments les plus troubles. Figure majeure de l’art contemporain, internationalement reconnu, Christian Boltanski place au coeur de son travail les récits tant individuels que collectifs. Film, photographie et installation sont pour lui les outils d’une collecte au caractère existentiel. Ses oeuvres, telles des monuments dédiés aux souvenirs, fictifs ou partagés, mettent en lumière les traumatismes du XXe siècle.

Christophe BERDAGUER & Marie PEJUS
À l’occasion de l’exposition Inside, les artistes Christophe Berdaguer et Marie Péjus (nés respectivement en 1968 et 1969, vivent et travaillent à Paris et Marseille) présentent l’installation E.17 Y.40 A.18 C.28 X.40 0.13,5 composée d’un ensemble de sculptures issues de dessins réalisés dans le cadre d’un test psychologique où il est demandé au patient de dessiner un arbre. Chaque dessin fait appel à des déterminations inconscientes de l’auteur dont l’état psychique génère un ensemble de formes et de constructions. La traduction en volume de ces dessins produit des « auto-portraits » partagés et partageables qui nous renvoie à nos propres histoires, nos propres traumas et défaillances. Berdaguer & Péjus manipulent les symptômes de l’existence, comme les émotions ou les pathologies pour générer des formes, révélant l’état d’un monde et la manière dont les hommes inventent sans cesse de nouveaux remèdes pour s’adapter aux nécessités de l’époque.

Jesper JUST
This Nameless Spectacle (2011) est une installation vidéo de Jesper Just (né en 1974, vit et travaille à New York), constituée d’une double projection sur deux murs opposés. Elle donne à voir une femme qui se déplace en fauteuil roulant dans un parc et ce que voit cette femme. Dans un deuxième temps, la femme est suivie par un jeune homme. Il s’ensuit un échange à distance entre les deux personnages, depuis deux immeubles qui se font face, qui suscite interrogation et inquiétude. Quelle relation – séduction ou prédation – s’installe entre eux ? Jesper Just développe un travail déplaçant les codes de l’image en mouvement et de la narration pour en faire des expériences cinématographiques à l’échelle de l’espace d’exposition et du corps du regardeur. Jouant de confrontations ou de dialogues entre l’espace urbain et le paysage naturel, l’artiste convoque, à travers la présence des personnages, des situations troublantes et une forte tension sentimentale.

Stéphane THIDET
Le Refuge de Stéphane Thidet (né en 1974, vit et travaille à Paris) est une cabane en bois, équipée de quelques éléments de mobilier, comme celles où alpinistes et randonneurs viennent s’abriter ou passer la nuit en montagne. Cependant qui songerait à y pénétrer puisqu’il pleut à l’intérieur ? Regarder par la fenêtre la pluie tomber ne procure pas ici un sentiment de plaisir et de sécurité. C’est un rapport d’inversion, de l’extérieur vers l’intérieur, du refuge en un lieu hostile, auquel chacun de nous se trouve confronté. Le refuge est alors à trouver à l’extérieur, et peut-être en nous-mêmes. Stéphane Thidet manipule les objets et les formes et propose à travers ses oeuvres des situations. Il détourne et trouble ce qui nous est connu, amenant chacun de nous à regarder et à interroger la réalité. Notre quotidien et nos connaissances sont malmenés à bon escient pour interagir avec notre imagination.

Nathalie DJURBERG & Hans BERG
Les films d’animation et les sculptures cathartiques de Nathalie Djurberg et Hans Berg (nés en 1978, vivent et travaillent à Berlin) permettent de jouer des fantasmes, des obsessions et des peurs. Une gigantesque pomme de terre germée (Potato, 2008), entre pourrissement et renouveau, à l’intérieur de laquelle sont projetés trois films, forme le coeur de leur installation. D’autres films, projetés sur les murs alentours, entremêlent leurs narrations, dont les personnages à l’esthétique outrée sont autant de masques portés par les artistes mais aussi par les visiteurs. Une force primitive oeuvre dans les films d’animation de Nathalie Djurberg (dont Hans Berg signe les bandes-son originales). Le corps humain, torturé, en lutte ou en osmose avec celui d’autres créatures, est l’un des sujets principaux d’oeuvres qui sont une plongée dans notre subconscient. Le duo joue, avec un humour très noir, de la part sombre présente en chacun de nous, par le biais de folklores oubliés, de touches d’animisme et de références à la psychanalyse.

Reynold REYNOLDS & Patrick JOLLEY
Les habitants d’une maison en feu, absorbés par leurs activités quotidiennes, ne semblent pas prêter attention au drame qui se déroule. Dans la cuisine, dans le salon et dans la chambre, les flammes lèchent le mobilier, les objets fondent sous la chaleur. Dans cet intérieur étouffant, l’incendie atteint les occupants qui, incapables de réagir ou refusant la réalité, se consument à leur tour. Patrick Jolley (1964 – 2012) et Reynold Reynolds (né en 1966, vit et travaille à New-York et à Berlin) font le portrait inquiétant de notre intérieur, habité et consumé par le feu, paralysé par le déni. La représentation tant poétique que macabre de drames et de catastrophes est au coeur de la collaboration entre Reynold Reynolds et le photographe Patrick Jolley. Leurs installations vidéos et photographiques plongent l’observateur dans des scénarios angoissants, renvoyant à nos peurs intimes ou collectives d’accidents domestiques et de cataclysmes.

Andra URSUTA
L’oeuvre d’Andra Ursuta (née en 1979, vit et travaille à New York) intitulée Stoner (2013) traite de la violence faite aux femmes, notamment par le biais de la lapidation. C’est ainsi qu’un mur aux teintes chair, parsemé de longues chevelures noires, est la cible d’une machine tirant habituellement des balles de baseball, remplacées ici par des simulacres de pierres. L’artiste fait également référence, avec cette oeuvre pleine d’un humour noir, à une tradition archaïque qui consistait à emmurer vivants des êtres humains dans les fondations de nouvelles constructions, afin d’en garantir la pérennité et de conjurer le mauvais sort. Andra Ursuta crée des oeuvres se nourrissant de ses peurs et de son histoire. Réagissant à des situations de crise qu’elle trouve dans l’actualité internationale (violences domestiques, attentats, découvertes de charniers…), elle évite néanmoins tout rapport frontal à l’horreur. Avec subtilité et mystère, elle place le visiteur face au côté sombre de l’humanité.

Araya RASDJARMREARNSOOK
Araya Rasdjarmrearnsook (née en 1957, vit et travaille à Bangkok) a réalisé une série d’oeuvres où elle s’occupe des morts en leur faisant la lecture, la conversation ou en leur transmettant un savoir. Conversations I-III est un ensemble de cinq projections vidéo témoignant de moments que l’artiste a consacrés dans une morgue à des morts que personne ne réclamait. Remplaçant la famille et les proches de ces morts « orphelins », elle témoigne un ultime geste d’attention à ces derniers. Elle leur offre, avec sérénité et amour, un moment de lecture et de chant qui leur est destiné exclusivement. À travers le recueillement et par une mise en retrait de l’activité intense du monde, l’artiste prolonge le lien entre la vie et la mort. Après avoir reçu une formation académique, l’artiste s’est émancipée d’une pratique liée aux objets à la fin des années 1990. Elle utilise à présent essentiellement la vidéo et l’écriture, médiums qui lui permettent de s’engager et révéler des sujets sensibles, parfois tabous.

Artur ZMIJEWSKI
Figure essentielle de la scène artistique polonaise, Artur Zmijewski étudie les comportements sociaux et les rapports entre les individus d’un groupe. La vidéo lui permet de documenter et transmettre ses expériences radicales, confrontant le spectateur aux relations troublantes ou insoutenables que les hommes entretiennent entre eux. Tourné dans une chambre à gaz d’un ancien camp de concentration et dans la cave d’une maison, le film Berek (1999) présente un groupe d’adultes nus jouant à chat. Parmi eux, le sentiment de gêne et de malaise cède parfois la place au rire. Artur Zmijewski (né en 1966, vit et travaille à Varsovie) n’impose pas de script aux participants de ses expériences filmées. Il se place davantage comme un observateur des mécanismes sociaux et de notre rapport à l’histoire. Investir un lieu de traumatisme collectif par le jeu relève, pour l’artiste, du traitement thérapeutique et de l’exorcisme. Là où le devoir de mémoire et les commémorations ne suffisent pas toujours, l’homme replonge dans le trauma pour mieux s’en émanciper.

Bruce NAUMAN
Get Out of my Mind, Get Out of This Room (1968), installation sonore historique de Bruce Nauman (né en 1941, vit et travaille au Nouveau-Mexique), offre aux visiteurs une expérience immersive, à la limite de la claustrophobie. Cette oeuvre présentée à la fin du parcours labyrinthique de l’exposition Inside, permet au visiteur de se libérer des images troublantes qu’il a pu voir auparavant, tout en l’enfermant dans ses propres pensées. D’une grande intensité, cette oeuvre nous prend en otage, tout en nous libérant. Bruce Nauman est, depuis plus de quarante ans, une figure majeure de l’art contemporain. Son travail extrêmement polymorphe traite de la condition humaine dans toutes ses contradictions. Inscrivant le langage corporel – entre autres – au centre de ses préoccupations, l’artiste permet au visiteur d’avoir une grande conscience de lui-même, dans son rapport à soi et aux autres, parfois avec la plus grande violence.

TUNGA
L’installation (1981), réalisée par Tunga (né en 1952, vit entre Rio de Janeiro et Paris), est constituée d’une projection 16 mm qui se déploie dans l’espace. Le déroulement de la pellicule dessine un large anneau au sol, créant un dispositif à la fois cinématographique et spatial. À l’écran, un plan de quelques secondes tourné à l’intérieur d’une courbe du tunnel Dois Irmaõs à Rio de Janeiro est projeté en boucle. Cette répétition donne l’impression d’un parcours sans fin. Elle est amplifiée par celle d’un court extrait de la chanson Night and Day de Frank Sinatra. L’illusion d’un cheminement à l’infini fige le temps et l’espace. Cette boucle, produisant l’impression d’un temps cyclique, s’oppose à une conception du temps continu et infini. La répétition et le système de boucle sont récurrents dans le travail de Tunga. Les objets et les matériaux utilisés sont détournés de leur usage et livrent avec poésie des questionnements métaphysiques sur le monde contemporain. L’ensemble des oeuvres de l’artiste se répondent et créent de fortes tensions physiques et psychologiques.

Jean-Michel ALBEROLA
En 2013, Jean-Michel Alberola (né en 1953, vit et travaille à Paris) a conçu La Salle des instructions, une salle du Palais de Tokyo transformée en salle d’attente et de conversation par la présence de peintures murales mêlant couleurs vives et écriture. Différentes phrases s’offrent au regard comme des injonctions. « La sortie est à l’intérieur » est l’une d’entre elles. L’artiste l’a repensée spécialement pour clore le parcours de l’exposition Inside. Fragment de narration, formule politique ou philosophique ? Le sens de cette phrase est laissé à la libre détermination de chacun. On peut quitter l’exposition, sortir de l’expérience proposée, mais une suite mentale ne se poursuivrait-elle pas à l’intérieur de chacun de nous ? Jean-Michel Alberola déploie une oeuvre aux formes multiples entre figuration et abstraction, où prédomine la peinture. Composée de fragments formels, elle exprime des questionnements sociaux et politiques, tout en interrogeant son propre rôle et celle de l’artiste.