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“Carlos Cruz-Diez” En noir et blanc
à la Maison de l'Amérique latine, Paris

du 5 novembre 2014 au 31 janvier 2015



www.mal217.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 4 novembre 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Cruz-Diez, Galipán, colline El Ávila, Vargas, Venezuela, 1950. ©Carlos Cruz-Diez.
2/  Cruz-Diez, Pays-Bas, 1961. ©Carlos Cruz-Diez.
3/  Cruz-Diez, Washington Bridge, New York, Etats-Unis, 1947. ©Carlos Cruz-Diez.

 


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Interview de Jordi Ballart, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 4 novembre 2014, durée 9'51". © FranceFineArt.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.

 

De Carlos Cruz-Diez, on connait le travail et les recherches dans l’art cinétique, qui ont permis de modifier la perception de la couleur dans l’art en général. Mais l’on ignore souvent en revanche que l’homme s’est aussi longtemps livré à l’exercice de la photographie. Dans le cadre du Mois de la Photo, la Maison de l’Amérique Latine propose de découvrir une soixantaine de ses clichés, pris entre 1943 et 1975 et qui témoignent d’un intérêt puissant pour l’image, son cadre et sa construction. Organisée en trois thèmes, l’exposition révèle une facette inconnu de ce grand théoricien de la couleur – le tout en noir et blanc.

La vie vénézuélienne
Dans les années 1940, Cruz-Diez s’associe à un projet conçu par de nombreux artistes et intellectuels vénézuéliens : montrer les conditions de vie souvent difficiles de ses compatriotes afin d’appeler ensuite à la modernisation de son pays. Mais c’est surtout la vie, rythmée par les rites instaurés par une culture populaire animée et colorée, qui laisse une large part aux fêtes religieuses, que capture son objectif. Hommes et femmes sont saisis sur le vif, dans l’impétuosité de leurs mouvements ou au contraire dans l’immobilité figée de leurs réflexions, venant ensuite nourrir son art pictural. Avec Los Diablos de San Francisco de Yare (1951), Cruz-Diez fixe les gestes de ces hommes déguisés et dansant à l’occasion de la Fête du Saint Sacrement, et dont il s’inspirera ensuite pour sa peinture (El diablo José Domingo, 1950).

Ses photographies construisent alors un véritable reportage sur la vie des classes défavorisées des classes vénézuéliennes, dévoilant les rues vides et blanches noyées de soleil de Caracas ou une réunion animée de femmes autour d’un puits d’eau (La pila de agua, 1949). Mais au milieu de ces images si proches du réel, on décèle parfois une certaine poésie comme quand, par exemple, le photographe saisit sa femme Mirtha au milieu des arbres du Parc National Henri Pittier (1951), frêle tache blanche perdue dans le gris de la nature.

Géométrie des villes
Mais bientôt, Cruz-Diez choisit de délaisser l’aspect narratif et réaliste qui ont jusque là caractérisé ses photographies pour se consacrer à l’étude de la forme géométrique pure. Ses sujets, il les trouve dans l’architecture, que ce soit celle d’El Masnou (1955), avec ses ruelles éclatantes écrasées de soleil, déchirées par des zones d’ombre, et bordées de maisons aux tuiles rouges et aux lignes brisées, ou celle de New York et ses structures en métal. Optant pour des points de vue parfois déconcertants dans leur originalité, l’artiste construit des photographies qui flirteraient presque avec l’abstraction. De la Statue de la Liberté (Statue de la Liberté, 1947), il ne prend que la main levant haut le flambeau, privant cette icône de l’Amérique de sa dimension symbolique.

Quant au Washington Bridge, ce miracle de pont suspendu défiant la gravité, c’est sa structure toute de lignes verticales qui s’enfonce dans la brume ou encore l’entrelacs de métal étourdissant de ses piliers qui l’intéressent (Washington Bridge, 1947). Les escaliers de Caracas aussi ont leur propre charme géométriques, leurs courbes brisées par les lignes droites des fils téléphoniques qui écorchent le ciel au-dessus d’elles. La présence de l’homme sur ces photographies devient alors accidentelle, morceau de narration et de vie animée dans un paysage où la forme prime sur le sens.

La photographie, compagne de route
Les dernières photographies, enfin, s’éloignent de cette recherche formelle pour devenir à la fois des témoignages de la vie artistique de l’époque et des compagnes de route puisant dans l’intimité de Carlos Cruz-Diez. Ce dernier immortalise en effet les sculpteurs Alexander Calder ou encore Jean Tinguely, alors qu’ils se préparent pour la grande exposition Bewogen Beweging au Stedelijk Museum d’Amsterdam, exposition qui a marqué les débuts de l’art cinétique sur la scène internationale. Même ici, pendant qu’il se fait le témoin de la vie artistique, Cruz-Diez cadre l’image de façon à ce que les lignes et les formes géométriques rythment la photographie, rapprochant l’artiste ainsi placé sous son objectif de son œuvre. Quand Alexander Calder semble auréolé des feuilles de son œuvre mobile (Alexander Calder, 1961), le plasticien Juvenal Ravelo, à genoux dans son atelier, parait se fondre dans sa peinture (Juvenal Ravelo, 1965).

Mais Cruz-Diez photographie aussi sa famille et ses amis, les capturant sur le vif au détour d’une conversation ou au contraire construisant l’image avec minutie. La série Antonio Estévez (1965) aligne ainsi les différentes expressions faciales du personnage du même nom alors qu’il semble lancé dans une discussion passionnée. Point d’artifice ni de construction élaborée, seulement la vie qui anime le sujet de la photographie. Plus loin, sur Pays-Bas (1961) se dessine la silhouette noire et frêle de la mère de Carlos Cruz-Diez, se tenant droite face à un moulin que l’on distingue à peine dans la brume, et qui semble comme perdue dans un rêve éveillé. Enfin, vient un dernier portrait de Mirtha qui, dans sa robe blanche et placée devant un panneau immaculée, s’apparente à une vision presque fantomatique, son visage et ses cheveux bruns se détachant nettement au milieu de cette blancheur éclatante.

Dans la peinture comme dans la photographie, dans son intimité comme dans son observation du monde, Carlos Cruz-Diez témoigne d’un sens du cadrage et de l’image capable de révéler toute la profondeur de ses sujets.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Jordi Ballart, Historien de l’art et Coordinateur du Centre de documentation de l’Atelier Cruz-Dies Paris
Dans le cadre du Mois de la Photo 2014 ; inscription dans le thème Anonymes et Amateurs célèbres.




Connu pour ses peintures ayant bouleversé l’appréhension moderne du phénomène chromatique, le franco-vénézuélien Carlos Cruz-Diez, figure majeure de l’art cinétique, nous révèle ici une facette inédite de son œuvre et de sa vie d’artiste, la photographie.

Environ soixante-dix photographies invitent le public à voyager entre 1947 et 1975, des barrios de Caracas à Paris, en passant par El Masnou (Barcelone), ou New York. C’est qu’un laboratoire de photographie a toujours accompagné Carlos Cruz-Diez dans chacun de ses déplacements : on peut ainsi mieux saisir l’influence décisive de son travail photographique sur ses premières œuvres, jusqu’à l’élaboration de sa proposition plastique autour de la perception de la couleur.

« Cruz-Diez en Noir et Blanc » capture avec une force et une justesse singulières diverses manifestations de la culture populaire vénézuélienne. Chaque composition dévoile des plans rythmés, fortement contrastés, dont l’enchevêtrement des formes géométriques forçant les limites de notre perception optique, n’est pas sans rappeler ses premières compositions abstraites. C’est en 1959, quelques mois avant qu’il ne s’établisse définitivement en Europe, que Carlos Cruz-Diez définit la voie qui lui vaut aujourd’hui une reconnaissance artistique internationale. Son travail photographique, qui se porte alors sur ses amis artistes ainsi que des vues d’expositions historiques, nous plonge avec la même acuité visuelle dans un milieu artistique parisien, fascinant et révolu. Découverte de ce Cruz-Diez photographe, qui donne au noir et blanc une rare profondeur, l’exposition se veut un clin d’œil à l’un des grands théoriciens de la couleur.