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“Jacques-André Boiffard” la parenthèse surréaliste
au Centre Pompidou, galerie de photographies, Paris

du 5 novembre 2014 au 2 février 2015



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 4 novembre 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Jacques-André Boiffard, Photomontage avec l’empreinte d’une main et la tête de la Marseillaise de Jean-François Rude, vers 1930. Épreuve gélatino-argentique, photomontage d’époque. Centre Pompidou, musée national d’art moderne, Paris. Achat grâce au mécénat d’Yves Rocher, 2011. Ancienne collection Christian Bouqueret. Photo : © Centre Pompidou, MNAM / CCI, Dist. RMN-GP / G. carrard. © Mme Denise Boiffard.
2/  Jacques-André Boiffard, Autoportrait dans un photomaton, vers 1929. Épreuve gélatino-argentique, tirage d’époque Centre Pompidou, musée national d’art moderne, Paris. Photo : © Centre Pompidou, MNAM / CCI, Dist. RMN-GP / G. Meguerditchian. © Mme Denise Boiffard.
3/  Jacques-André Boiffard, Papier collant et mouches, 1930. Épreuve gélatino-argentique, tirage d’époque. Centre Pompidou, musée national d’art moderne, Paris. Achat grâce au mécénat d’Yves Rocher, 2011. Ancienne collection Christian Bouqueret. Photo : © Centre Pompidou, MNAM / CCI, Dist. RMN-GP / G. Meguerditchian. © Mme Denise Boiffard.

 


1485_Jacques-Andre-Boiffard audio
Interview de Clément Chéroux et Damarice Amao, commissaires de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 4 novembre 2014, durée 15'25". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Clément Chéroux, conservateur, chef du cabinet de la photographie au musée national d’art moderne
Damarice Amao, historienne de l’art




Le 5 novembre 2014, le Centre Pompidou inaugure une nouvelle galerie permanente d’exposition dédiée exclusivement à la photographie. Située dans le Forum, au coeur du Centre Pompidou, cette nouvelle « Galerie de photographies » de 200 m2, en accès libre, a pour vocation de déployer plus généreusement toute la richesse de la collection de photographies du musée national d’art moderne, en proposant au public de nouvelles lectures d’un fonds riche de 40 000 épreuves et de plus de 60 000 négatifs.

Cette collection est aujourd’hui l’un des rares ensembles au monde apte à présenter une histoire complète de la photographie moderne et contemporaine dans toute sa diversité, avec des points forts, notamment pour la photographie des années 1920 et 1930, l’oeuvre de Man Ray, de Brassaï, de Brancusi, la Nouvelle vision et le Surréalisme.

C’est à ce mouvement que l’exposition inaugurale rend hommage avec une première rétrospective consacrée à l’oeuvre de Jacques-André Boiffard.

La photographie restera très présente au sein du musée dans le parcours pluridisciplinaire des collections modernes et contemporaines où dialoguent les disciplines. Elle trouvera une nouvelle visibilité dans cette nouvelle galerie dédiée qui permettra la programmation régulière de trois expositions par an, thématiques ou monographiques, déclinées selon différents modules ; historique, transversal ou contemporain.



L’exposition inaugurale : Jacques-André Boiffard, la parenthèse surréaliste

Pour l’ouverture de sa nouvelle Galerie de photographies, le Centre Pompidou expose pour la première fois une sélection de soixante-dix photographies de Jacques-André Boiffard, dernier grand photographe surréaliste à n’avoir encore jamais fait l’objet d’une exposition rétrospective dans un musée.

Se résumant à une courte décennie, sa trajectoire fut pour le moins fulgurante. Restreinte, dans la durée comme dans le nombre, sa production photographique est l’une des plus authentiquement surréalistes de son temps. Augmentée de quelques épreuves vintage encore conservées dans des collections particulières, l’exposition rassemble pour la première fois les images de Jacques-André Boiffard pour André Breton, pour Georges Bataille, ses travaux de commande ou ses recherches plus expérimentales. Bien que la publication des images de Boiffard dans Nadja et dans Documents ait, ces dernières années, suscité une très large fortune critique, notamment anglo-saxonne, son oeuvre demeure encore trop peu connue. En 2011, l’acquisition de la collection de photographies de Christian Bouqueret venait accroître les collections du Centre Pompidou, déjà riches de vingt-six épreuves originales de l’artiste, de cinquante tirages supplémentaires. Il s’agit désormais de la plus importante collection institutionnelle de photographies de Jacques-André Boiffard.

Traçant un portrait inédit de ce météore du surréalisme, cette première rétrospective rend à Jacques-André Boiffard la place qu’il mérite dans l’histoire de la photographie.

14 janvier 2015: Colloque Jacques-André Boiffard en Petite Salle, Forum-1, de 11h à 19h00.

Un catalogue sera édité pour chacune des expositions de la Galerie de photographies en partenariat avec les éditions Xavier Barral.




Extrait de texte du catalogue
À ceux qui cherchent l’œuvre
, par Clément Chéroux, commissaire de l’exposition

Le tout premier nom propre qui, le 1er décembre 1924, apparaît sur la couverture du numéro inaugural de La Révolution surréaliste, bien avant celui d’André Breton, de Louis Aragon, de Giorgio de Chirico ou de quelques autres membres du groupe, est celui de Jacques-André Boiffard. Son visage est également visible sur les portraits collectifs pris par Man Ray à la Centrale surréaliste qui ornent la couverture orange de la revue. Entre 1924 et le milieu des années 1930, le jeune homme, que ses amis surnomment affectueusement « Jacques Blafard », « JAB », « Boiff » ou « le Bouif », et qui a lui-même élaboré à partir de ses nom et prénoms l’anagramme approximatif « boire hanté par les affres », est très impliqué dans l’aventure surréaliste naissante. Grand ami de Pierre Naville, le premier directeur de la revue, il rédige avec Paul Eluard et Roger Vitrac la préface de son premier numéro, ce qui, par la grâce de l’ordre alphabétique, lui vaut sa préséance sur la couverture.
[…]

De tous les photographes qui ont, à un moment de leur parcours, pris part à l’épopée surréaliste, Boiffard est sans conteste celui qui s’est approché au plus près de son coeur radiant. Il est beaucoup plus intimement lié aux membres du cénacle et bien davantage impliqué dans leurs activités collectives que Brassaï, Hans Bellmer, Raoul Ubac, Claude Cahun, Henri Cartier-Bresson, par exemple, et aussi, à bien des égards, que Man Ray lui-même. Il est le seul photographe dont Breton ait pu dire qu’il avait « fait acte de surréalisme absolu ». Ses images ont également la rare particularité d’avoir accompagné les publications d’André Breton autant que celles de Georges Bataille, les deux pôles les plus éloignés sur l’échelle de la sensibilité surréaliste. Des images radicalement impersonnelles prises dans Paris pour Breton aux clichés outrancièrement expressifs réalisés pour la revue de Bataille, Boiffard a produit quelques-unes des grandes icônes du surréalisme. Comme l’a bien noté Ian Walker, il nous serait aujourd’hui difficile d’imaginer Nadja sans le marchand de vin de la Place Dauphine, l’Hôtel des Grands Hommes, ou l’affiche Mazda, pas plus que les pages de la revue Documents, sans les photographies du gros orteil, du ruban tue-mouches ou de la bouche ouverte en gros plan sur la béance des muqueuses. Breton, et peut-être plus encore Bataille, doivent à Boiffard une bonne part de l’imaginaire visuel qui s’est déployé à partir de leurs textes. Par ses images, le photographe n’a pas uniquement participé à l’activité du mouvement surréaliste, il a aussi largement contribué à en forger l’identité visuelle. Si, parmi les photographes de cette époque, Boiffard est, indéniablement, l’un des plus authentiquement surréalistes, il faut s’étonner du peu de place qu’il occupe dans l’historiographie du mouvement. Son nom figure certes dans la plupart des index des ouvrages sur le surréalisme, mais, dans le corps du texte, il n’apparaît le plus souvent que dans les longues séquences énumératives des différents membres du groupe. Il est à la fois partout et nulle part.
[…]

Bien que les images de Boiffard aient été à l’époque publiées et exposées, qu’elles soient aujourd’hui présentes dans tous les ouvrages sur la photographie surréaliste, les recherches qui lui ont été consacrées sont rares. Les travaux universitaires se comptent sur les doigts d’une seule main. Aucun article scientifique n’a jamais été publié sur ses photographies, même sur les plus iconiques. Certaines lui ont été attribuées à tort. Le présent ouvrage, publié à l’occasion de la première exposition monographique jamais organisée autour de son travail, est en somme la première étude monographique qui lui soit entièrement consacrée. Comment expliquer la discrépance entre l’importance avérée de Boiffard dans l’élaboration de l’imaginaire visuel surréaliste et sa bien maigre fortune critique ? Qu’il ait été l’une des plus jeunes recrues du groupe – Eluard a sept ans de plus que lui, Breton six, Aragon et Soupault cinq – laisse imaginer qu’il a sans doute été un peu écrasé par la renommée de ses aînés. Des problèmes de santé chroniques, qui entraînent des absences répétées, expliquent peut-être aussi un engagement moindre au sein du groupe. Il est vrai qu’il a beaucoup moins écrit que la plupart de ses condisciples et que sa production photographique se limite à quelques centaines d’images, ce qui est peu par rapport aux autres photographes de sa génération. Mais l’histoire des avant-gardes est pleine de personnalités dont la production limitée, parfois inexistante, n’a pas empêché – bien au contraire – l’élaboration du mythe : il suffit pour s’en convaincre de penser à Jacques Vaché, à Arthur Cravan, ou à tous ceux que Jean-Yves Jouannais a décrit comme des « artistes sans oeuvres ». […] la faible réception critique de Boiffard s’explique surtout par son inadaptation aux traditionnels critères d’appréciation de l’histoire de l’art. Il s’agit, à n’en pas douter, d’une production photographique qui déroute. Boiffard n’est définitivement pas conforme à un certain jugement esthétique. Il est important de rappeler qu’en France la reconnaissance par le grand public de la photographie comme art s’est faite dans les années 1980, soit assez tardivement. Dans son combat pour la légitimation du médium, la première génération d’historiens, de conservateurs, de commissaires, de critiques et de responsables culturel a privilégié des oeuvres photographiques qui manifestaient le plus ostensiblement possible leurs ambitions artistiques. Pour que le photographe soit reconnu comme un authentique créateur, il fallait qu’il affiche quelques gages de légitimité artistique immédiatement reconnaissables comme tels. Il était impératif qu’il invente un nouveau langage, de nouvelles formes, qu’il fasse preuve d’innovation, ou qu’il mette en oeuvre ce que Pierre Bourdieu a décrit comme des stratégies de distinction lui permettant de se différencier du tout venant de la pratique photographique. L’artiste-photographe devait également être doué d’une certaine virtuosité technique et maîtriser parfaitement ses outils, de l’éclairage jusqu’au tirage. Il était important qu’il fasse aussi preuve de cohérence stylistique. En d’autres termes, sa touche ou sa manière devaient être identifiables sur-le-champ. À cet égard, la longévité de l’oeuvre était un gage essentiel de qualité. Il était également préférable que l’artiste-photographe n’ait pas travaillé « à la commande » et que son art soit ainsi exempt de toutes compromissions. Il fallait par-dessus tout qu’il ait fait preuve d’intentionnalité artistique, c’est-à-dire de «Kunstwollen » pour employer l’expression forgée au début du XXe siècle par Aloïs Riegl.
De Man Ray, il est possible de dire qu’il a introduit le photogramme ou la solarisation dans la photographie moderniste, de Germaine Krull qu’elle a largement contribué à importer en France le basculement du regard caractéristique de la Nouvelle Vision et de Cartier-Bresson qu’il était le photographe de « l’instant décisif ». Rien de tel avec Boiffard. Il n’a signé son apport au langage photographique d’aucune innovation formelle particulière. Il n’est pas même l’introducteur du très gros plan en photographie ; Karl Blossfeldt ou Albert Renger-Patzsch l’avaient déjà abondamment utilisé avant lui. Si Boiffard maîtrisait très correctement la technique photographique à l’issue d’un apprentissage auprès de Man Ray, il ne s’est pas fait remarquer par une dextérité particulière en matière d’éclairage, de cadrage, ou de tirage. Il n’y a pas non plus de « style Boiffard ». Il s’est, au contraire, distingué par une très grande hétérogénéité formelle. En comparant les images de Nadja prises dans un style documentaire très neutre, à celles beaucoup plus agressives publiées dans la revue Documents, en les confrontant aux expérimentations totalement abstraites des années 1930, on ne peut que se demander si elles ont été réalisées par le même photographe. Que cette diversité créative se soit manifestée sur une période assez courte, de moins de dix ans, aura contribué à laisser de Boiffard l’image d’un toucheà- tout manquant quelque peu de persévérance, bien davantage que celle de l’un des photographes importants de cette période.[…] Malgré leur très grande diversité formelle, les photographies de Boiffard ont un point en commun : elles sont quasiment toutes appliquées ou fonctionnelles. Dans Nadja, par exemple, elles permettent à Breton de faire l’économie dans son texte des fastidieuses descriptions des lieux parisiens fréquentés avec celle qui avait choisi cet étrange pseudonyme […] Lorsqu’en 1929, Boiffard ouvre un studio avec Eli Lotar, il y pratique la photographie la plus appliquée qui soit : le portrait ou la publicité. En 1935, il participe à l’exposition « Documents de la vie sociale » organisée par l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). La seule de ses photographies présentées qui ait été aujourd’hui identifiée documente la vie des travailleurs espagnols ; c’est un exemple caractéristique de photographie mise au service de la rhétorique communiste, Boiffard ayant lui-même adhéré au Parti en 1927. Même les photographies les plus ouvertement créatives de Boiffard, celles pour lesquelles il était sans doute son propre commanditaire, ont une fonctionnalité induite. Les nus de Renée Jacobi peuvent ainsi être envisagés comme autant d’études de perspective et de lumière interrogeant la déformation du corps par les angles de vue ou les éclairages adoptés par l’opérateur. La série des abstractions questionne quant à elle le soi-disant réalisme de la photographie. Toutes les photographies de Boiffard ont donc bien une utilité, qu’elle soit documentaire, commerciale, politique, ou expérimentale. En cela le photographe s’inscrit pleinement dans un dynamisme moderniste qui, du Bauhaus au Réalisme socialiste, a érigé le principe d’utilité en véritable dogme.[…] C’est dans ce contexte d’un retour à l’usage qu’il faut comprendre les photographies de Boiffard. La cohérence mais aussi l’intérêt de sa production photographique résident très précisément dans son fonctionnalisme.
Ce principe est peut-être aussi à l’origine de la reprise de ses études de médecine. En 1935 Boiffard retourne en effet sur les bancs de la Faculté qu’il avait abandonnés en 1924 pour rejoindre le groupe surréaliste. Cinq ans plus tard, il reçoit son titre de docteur en médecine. Après la guerre, il se spécialise dans l’imagerie aux rayons X. Les rares images de son activité de radiologue qui nous soient parvenues, celles qui figurent dans son mémoire de 1951 pour l’obtention du certificat d’études spéciales d’électroradiologie intitulé Contribution à l’étude des modifications apportées au sang et aux organes sangui-formateurs par les radiations ionisantes, ressemblent étrangement à ses expérimentations abstraites des années 1930. Comme si Boiffard avait retrouvé dans ses travaux d’imagerie médicale ce qui l’avait visuellement fasciné au temps du surréalisme, à la différence près que ses clichés radiographiques répondaient désormais parfaitement aux exigences de fonctionnalité.