contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Dirk Braeckman” article 1491
au Bal, Paris

du 7 novembre 2014 au 4 janvier 2015



www.le-bal.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 6 novembre 2014.

1491_Dirk-Braeckman1491_Dirk-Braeckman1491_Dirk-Braeckman

Légendes de gauche à droite :
1/  Dirk Braeckman, T.A.-A.N.-96, 1996, ©Dirk Braeckman - Courtesy of Zeno X Gallery, Antwerp.
2/  Dirk Braeckman, I.P.-E.E.-01, 2001, ©Dirk Braeckman - Courtesy of Zeno X Gallery, Antwerp.
3/  Dirk Braeckman, Z.D.-L.O.-97, 1997, ©Dirk Braeckman - Courtesy of Zeno X Gallery, Antwerp.

 


1491_Dirk-Braeckman audio
Interview de Dirk Braeckman,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 6 novembre 2014, durée 15'32". © FranceFineArt.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt.

 

L’obscurcissement du sujet
S’il est bien une œuvre dans laquelle le sujet s’absente sublimement c’est celle de Dirk Braeckman. Jouant avec la lumière lors du tirage, il obscurcit ses images jusqu’à atteindre le seuil de visibilité. Tout d’abord le spectateur déstabilisé est tenté de se rapprocher pour discerner ce qu’il croit devoir voir. Mais voilà, aussitôt que l’on se rapproche de l’image, on est tenté de s’en éloigner de nouveau, pensant ainsi pouvoir l’appréhender. On essaie de la capter mais elle est toujours disparue. Dans ce va et vient, le sujet perd finalement toute son importance. Dirk Braeckman ne veut pas donner d’indication de lecture au spectateur qu’il préfère abandonner à sa propre perception. Il minimise toutes les informations jusqu’à ne laisser pour titre que des chiffres et des lettres le plus souvent des plus obscurs. On se plonge avec délice dans notre propre chambre noire, notre laboratoire d’images intérieur. Chaque image se suffit à elle même, ce sont des mondes clos, en suspens qui nous renvoient à nous même. Pas de mise en scène donc, le sujet est vidé de son récit. La matérialité prend le dessus, dans des oeuvres qui frôlent l’abstraction. Le sujet devient moins important que la présence de l’image.


L’énigme photographique
Dirk Braeckman travaille avec son corps ses grands formats qu’il tire lui-même. L’acte photographique et l’acte physique du tirage ont toute leur importance dans son travail. Les images semblent palpables tant leur texture est riche.
Dans 27.1 21.7 044 2014, par exemple on fixe les montagnes sans bien comprendre à quoi tient le sublime de l’image. On se dit qu’elle aurait pu être peinte et on se réjouit que ce ne soit pas le cas, car ce n’est pas sa picturalité qui en fait la substance. Quelque chose est différent. Est-ce le lien particulier qu’entretient toute photographie avec la réalité ? Dans la chambre noire il crée une lumière qui n’est pas vraiment dans l’image. Peut être est-ce ce balancement entre éblouissement et opacité qui nous fascine? La lumière semble avoir été capturée, procurant aux images une aura hypnotisante. Il y a quelque chose d’indéfinissable non seulement dans ces images, mais aussi dans l’effet qu’elles nous procurent. Et cependant tout est là, comme si ce qu’il y avait de plus vrai résidait dans ce sentiment diffus d’inexplicable. Comme si la nature véritable du monde était ce mystère indéchiffrable. Happé par les trous noirs récurrents dans ses tirages on se laisse aller à la contemplation et on en ressort envouté.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Diane Dufour, directrice du Bal



« La photographie est pour moi une tentative presque obsessionnelle de scanner à ma façon tout ce qui m’entoure, tout ce que je rencontre, poussé par le désir d’ordonner le chaos. Avec ou sans appareil » D. B.

LE BAL est heureux de présenter la première exposition d’envergure en France consacrée au travail de Dirk Braeckman, figure majeure de la scène contemporaine flamande.

À première vue, Dirk Braeckman photographie le plus simplement du monde : il ne se met pas en quête de sujets remarquables ou de lieux singuliers mais photographie ce qui l’entoure, au 35 mm, souvent frontalement et à hauteur d’yeux. Ses images, à faible teneur narrative ou anecdotique, ne sont pourtant jamais une représentation directe de la réalité. Dirk Braeckman prélève, élimine, distord, sculpte, tout ce qu’il voit. Et soudain, rien n’est plus ce qu’il paraît. Carreaux de salle de bain, coin de lit, pan de papier peint, l’objet le plus anodin se met à vibrer, à envahir l’espace, à devenir palpable. Le satin d’un drap irradie, le formica de la table basse exulte.

La sensualité exacerbée de ce monde inerte renvoie à la tactilité du tirage photographique lui-même, magnifiée par un papier mat et un raffinement extrême des nuances de gris. Toutes les nuances de gris. Gris perle, gris charbon, gris argent, gris lézard, gris platinium, gris phénix, gris ardoise, gris Lisbonne, gris horloge, gris lune.... la palette infinie du monochrome.

Formé à l’Académie royale des Beaux-Arts de Gand à la peinture autant qu’à la photographie, Dirk Braeckman donne vie à ses images dans la chambre noire. Là, parfois des années après la prise de vue, il retravaille la matière même du négatif puis du tirage, éclaircissant ou obscurcissant certaines parties de l’image, rephotographiant souvent ses propres tirages ou ses « images d’images » prises dans les magazines ou sur internet. Les négatifs et les tirages ainsi accumulés deviennent la matière première de son oeuvre. Une mine dans laquelle il peut tailler à l’infini. Tirage après tirage, cet épuisement de l’image par l’image finit par faire basculer le travail de Dirk Braeckman du côté du geste performé plus que de l’enregistrement du réel. Son exigence picturale rend tout probable, même le vrai.

Avant tout expression de l’expérience d’un moment, les photographies de Dirk Braeckman surgissent tels les fragments épars d’un journal intérieur. Dans ce huis-clos sans récit, sans personnage ni histoire, tout se passe comme si le ressort ou l’intrigue de la scène se tramaient hors-champs. Dirk Braeckman cite parfois le livre de Luc Sante Évidence (1992) et ses images prises par la police de New York au début du siècle dernier. Les photographies de Dirk Braeckman s’apparentent à ces scènes de crime, trop vides, sans mobile apparent où tout devient indice. « Je préfère les images qui ne se laissent pas facilement déchiffrer par le spectateur. Ce peut être un obstacle visuel, un point aveugle dans la représentation comme si, au cours du processus, des détails avaient disparu, des éléments d’information s’étaient perdus, des repères détruits. Cette obstruction me plaît car elle conduit le spectateur, face à l’image, à ne compter que sur sa propre perception. » (DB) Une image-énigme, autonome, se déploie face à nous en grandeur nature, et nous absorbe.

L’opposition classique en histoire de l’art entre « abstrait » et « figuratif » semble ici dépassée. Le sujet n’est plus que prétexte à une réflexion sur la représentation EN photographie. Ou comment, par l’image, traduire le mystère de sa propre présence au monde. Dirk Braeckman « se voit voir. Comme une conscience qui se retourne sur elle-même. » (Jacques Lacan)

Diane Dufour




Autour de l’exposition, le livre, Sisyphe de Dirk Braeckman


À l’occasion de l’exposition, LE BAL et Xavier Barral Editions co-éditent le livre Dirk Braeckman Sisyphe. Pour la première fois publiée dans son intégralité, la série se déploie en 32 images. Comme autant de fragments d’une scène soudainement devenue opaque où n’affleure plus en surface qu’un enchevêtrement énigmatique de cuisses, dos, nuques, seins, cheveux. Des gestes anonymes, sans histoire. Une volupté des corps mêlés, sans regard.

« Là-haut c’est la lumière, ce sont les éléments, une sorte de lumière, suffisante pour y voir, les vivants se dirigent, sans trop de mal, s’évitent, s’unissent, évitent les obstacles, sans trop de mal, cherchent des yeux, ferment les yeux, arrêtés, sans s’arrêter, au milieu des éléments, les vivants. À moins que ça n’ait changé, à moins que ça n’ait cessé. Les choses aussi doivent y être encore, un peu plus usées, un peu amoindries encore, beaucoup à la même place que du temps de leur indifférence. »

Samuel Beckett, « Textes pour rien » in Nouvelles et textes pour rien, 1955




Dirk Braeckman est né en 1958 à Eeklo en Belgique. De 1977 à 1981, il étudie à l’Académie royale des Beaux-Arts de Gand. Fondateur avec Carl de Keyzer de la galerie XYZ (1982-1989) et de la revue du même nom, Dirk Braeckman contribue à la reconnaissance en Flandres de la photographie en tant que medium artistique à part entière. En 1999 et 2001, il publie z.Z(t). I et z.Z(t) II, deux livres marquants de l’édition photographique contemporaine. Ses photographies figurent dans de nombreuses collections (Musée d’art contemporain d’Anvers, MEP, BNF, Musée de l’élysée de Lausanne, Palais Royal de Bruxelles...) et ont été exposées notamment au S.M.A.C.K à Gand (en 2001 et 2014), à la Fondation De Pont à Tilburg aux Pays-Bas (en 2004). Une rétrospective, accompagnée de la monographie Dirk Braeckman publiée par ROMA qui revient sur l’ensemble de son travail et présente beaucoup d’images inédites, lui a été consacrée en 2011-2012 au M Musée de Louvain et au De Appel Center for Contemporary Art, Amsterdam. Dirk Braeckman est représenté par la galerie Zeno X à Anvers.