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“Haïti” Deux siècles de création artistique
au Grand Palais, Paris

du 19 novembre 2014 au 15 février 2015



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 18 novembre 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Marie-Hélène Cauvin, Bullet Proof Vest, 2007, encre, fusain, aquarelle, linotype sur papier, 112 x 76 cm. Montréal, collection de l’artiste. Photo Paul Litherland.
2/  Maksaens Denis, Tragédie tropicale, 2013, installation vidéo, dimensions variables. Port-au-Prince, collection de l’artiste. Photo Maksaens Denis.
3/  Roland Dorcély, Le Mur de la vie, vers 1956 – 1961, huile sur toile, 193 x 129 x 3 cm. Bethesda (Etats-Unis), legs Lina Wiener Assad. Photo Josué Azor.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

La nouvelle exposition du Grand Palais: Haïti, deux siècles de création artistique se veut plus qu'un simple alignement de cimaises. Il s'agit, à travers un échange entre artistes de sensibilités et d'époques différentes, d'une invitation à participer à un dialogue à bâtons rompus autour d'une table, une de ces conversations chaleureuses se prolongeant tard dans la nuit.

Les diverses religions et spiritualités de la culture haitienne sont très présentes dans l'art. Toutefois ce joyeux métissage échappe au folklore et vient s'inscrire dans une modernité bien vivante. Les crânes de Dubréus Lhérisson, couvert de paillettes étincelantes, de strass et de coquillages en sont une illustration. Des motifs africains, d'éléments mythologiques à une élégance d'ornementation surfant sur la culture globale, l'enracinement dans les traditions vient rencontrer le présent le plus dynamique du stylisme de mode contemporain.

Un autre cliché sur Haïti est l'art de la récupération. Loin de ces préjugés, David Boyer assemble des tableaux avec des boutons métalliques, des circuits d'ordinateurs, des fourchettes, du métal façonné en visages. Sa scène de crucifixion est étonnante dans sa stylisation. L'organisme des textures métalliques de boutons se voit tranché nettement par la géométrie de cartes électroniques. Sur une forme rectangulaire dessinant un corps, l'apport unique de deux fourchettes comme mains entrecroisées en prière suffit à affirmer la présence d'un personnage.

Sous l'apparente simplicité d'un art faussement naïf émerge le sentiment nostalgique d'un paradis perdu, parabole abordant les questions sociales, économiques et écologiques du présent. Dans le paradis terrestre de Wilson Bigaud, l'image d'Adam et Eve dans une luxuriante forêt est littéralement envahie d'un surpeuplement d'animaux, créant une dérangeante promiscuité. Préfète Duffaut couvre toute la surface de son cercueil d'une fresque colorée représentant un pays dynamique, heureux, dont le peuple développe industrie et commerce dans un vibrant optimisme. Cette simplicité est justement la force et le courage de mettre face à face la vie et la mort.

Les questionnements politiques sont également présentés avec humour et habileté. Les pintades de Fritzner Lamour portent des uniformes militaires et sont bardées de mitraillettes et de revolvers, leur regard morne reste celui d'une gallinacée, empreint d'une profonde stupidité. L'image de ce viril sheriff pintade aux bottes et chapeau de cow boy est hilarante et en même temps une représentation de la cruauté d'une dictature. D'une autre façon, les portraits des Duvallier réalisés à l'agrafeuse sur des panneaux de bois par Sasha Huber démontrent cette inspirante capacité des artistes haïtiens à défier l'adversité avec une cinglante ironie.

C'est avec un petit regret de ne pas en avoir goûté plus que l'on quitte cette exposition, tant ces artistes nous ont offert un art généreux comme un vieil ami. Avec un vocabulaire lisible par tous, loin de tout élitisme, ils réussissent à peindre la profondeur et la complexité d'une histoire, d'une culture et d'une société.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaires :
Régine Cuzin, commissaire indépendante, fondatrice de l’association OCEA, Paris
et Mireille Pérodin-Jérôme, directrice des Ateliers Jérôme, Port-au-Prince
scénographie : Sylvain Roca et Nicolas Groult




Cette exposition est dédiée à la création artistique haïtienne, du XIXe siècle à aujourd’hui. Autour d’un noyau d’oeuvres contemporaines, certaines réalisées spécifiquement pour l’occasion, elle présente selon un parcours non chronologique, des temps forts de l’histoire de l’art haïtien, et propose de porter un nouveau regard à cet art insuffisamment connu en France.

L’exposition a pour objectif de dépasser les stéréotypes de la peinture naïve et de transcender la vision magico-religieuse et exotique trop souvent associée de manière restrictive à l’art haïtien. Sans écarter les influences syncrétiques des symboles chrétiens, maçonniques et vaudou sur l’imaginaire collectif, l’exposition rend compte de l’extraordinaire vitalité de la création artistique, où tout se métamorphose en toutes circonstances, où se côtoient de manière singulière le « pays réel » et le « pays rêvé ».

Depuis la fin du XXe siècle, la concentration urbaine à Port-au-Prince et l’effervescence qui parcourt la société haïtienne a favorisé l’émergence d’une esthétique contemporaine à travers la peinture, le dessin, l’installation, la vidéo, la sculpture d’objets recyclés…

Autour de sept sections, dont un Duo avec Jean-Michel Basquiat et Hervé Télémaque, la scénographie laisse une large place aux artistes contemporains de toutes générations vivant en Haïti (Mario Benjamin, Sébastien Jean, André Eugène, Frantz Jacques dit Guyodo, Céleur Jean-Hérard, Dubréus Lhérisson, Patrick Vilaire, Barbara Prézeau, Pascale Monnin…), en France (Hervé Télémaque, Elodie Barthélemy), en Allemagne (Jean-Ulrick Désert), en Finlande (Sasha Huber), aux États-Unis (Edouard Duval Carrié, Vladimir Cybil Charlier), au Canada (Marie-Hélène Cauvin, Manuel Mathieu). À l’extérieur du Grand Palais, les visiteurs sont accueillis par une sculpture monumentale d’Edouard Duval Carrié.

Aux lendemains de l’Indépendance d’Haïti, au début du XIXe siècle, des académies de peinture sont créées par les dirigeants de la première République noire du monde. Animées pour la plupart par des peintres européens, elles donnent naissance à l’art du portrait (Colbert Lochard, Séjour Legros, Edouard Goldman), consacré essentiellement aux hommes et femmes de pouvoir confrontés à la nécessité de se construire une identité historique.

Cette tradition du portrait officiel sera ensuite interprétée, sous forme de satire, pour témoigner du climat politique tourmenté d’Haïti.

Fondé en 1944, le Centre d’Art de Port-au-Prince, devient le lieu emblématique de la vie artistique haïtienne. Avec une rare puissance évocatrice, les artistes populaires font irruption dans la ville et forcent à la reconnaissance de leurs sensibilités (Hector Hyppolite, Philomé Obin, Préfète Duffaut, Wilson Bigaud, Robert Saint-Brice…).

En forme de dissidence, les années 50 voient naître un nouvel élan créatif avec l’ouverture du Foyer des arts plastiques, puis de la galerie Brochette. Des artistes, parmi lesquels Lucien Price, Max Pinchinat, Roland Dorcély… en quête de nouveaux paradigmes, explorent alors les voies de l’abstraction et du surréalisme dans un contexte d’échanges permanents avec les artistes ou les intellectuels américains et européens.

Avec près de 60 artistes et plus de 160 oeuvres provenant de collections publiques ou privées haïtiennes (Musée du Panthéon national haïtien, Musée d’art haïtien du Collège Saint-Pierre, Bibliothèque des Pères du Saint-Esprit, Loge L’Haïtienne du Cap-Haïtien, Fondation FPVPOCH / Marianne Lehmann, Fondation Culture Création), françaises (Château de Versailles, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Musée d’art contemporain de Marseille), américaine (Milwaukee Art Museum), l’exposition présente une création artistique dégagée de tout cadre rigide, mêlant sans difficulté poésie, magie, religion et engagement politique.

Ces oeuvres d’une extraordinaire richesse qui n’ont cessé de jaillir au coeur du destin agité d’Haïti – certaines restaurées après le séisme de janvier 2010 – sont en grande partie présentées pour la première fois en France.