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“Ken + Julia Yonetani” Un autre rêve
à l’abbaye de Maubuisson, Saint-Ouen l’Aumône (95)

du 26 novembre 2014 au 30 août 2015



www.valdoise.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, le 26 novembre 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Portrait Ken + Julia YONETANI. © Photo Josh Robenstone.
2/  Ken + Julia Yonetani, The Last Supper. © Ken + Julia Yonetani.
3/  Ken + Julia Yonetani, Crystal Palace. © Ken + Julia Yonetani.

 


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Interview de Isabelle Gabach, directrice du centre d'art de l’abbaye de Maubuisson,
par Anne-Frédérique Fer, à l’abbaye de Maubuisson, le 26 novembre 2014, durée 13'56". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Isabelle Gabach Directrice de l’abbaye de Maubuisson



Exposés en 2009 à la Biennale d’art contemporain de Venise et en 2013 à la Biennale de Singapour, les Yonetani, duo d’artistes australiens d’origine japonaise, montrent pour la première fois leur travail en France à travers l’exposition Un autre rêve que leur consacre l’abbaye de Maubuisson.

La démarche artistique de Ken + Julia Yonetani rejoint leur parcours de vie : nés à Tokyo, ils se sont rencontrés en 1995 et n’ont cessé depuis de vivre et travailler entre l’Australie et le Japon. Tous deux croisent dans leur démarche leur formation d’universitaires (Economie et Arts visuels pour lui, Arts, Histoire de la culture asiatique pour elle) à leur engagement lié aux questions environnementales. Cette histoire commune les a conduit à prolonger leur formation académique (Ken a été formé par un maître potier traditionnel d’Okinawa) en installations plus complexes dont les matériaux sont faits à partir de procédés techniques qu’ils ont mis au point au sein de laboratoires de recherche et dont eux seuls détiennent le secret. Les matériaux qu’ils utilisent (sel, verre d’uranium) nécessitent une grande maîtrise technique et parfois la collaboration avec le milieu scientifique. Ce projet rejoint la volonté de faire dialoguer art, innovation et espace d’expérimentation à l’abbaye de Maubuisson. La dimension plastique et innovante des oeuvres de ces artistes et leur engagement sur des questions environnementales justifie le choix de programmation de ces artistes à l’abbaye de Maubuisson, elle-même insérée dans un environnement naturel menacé.

Pour cette exposition, trois de leurs oeuvres seront reconfigurées pour les espaces de l’abbaye et une oeuvre (The Last Supper) sera spécialement créée pour l’occasion. Crystal Palace est une collection de lustres lumineux illustrant le pouvoir nucléaire des nations du monde. Grape Chandelier, The Last Supper et The Five Senses interrogent l’impact environnemental de notre société de consommation, de la déforestation et de l’irrigation intensive des cultures tout en faisant référence à l’histoire des arts et aux arts décoratifs.

Cette méditation sur l’histoire englobe quelques objets illustrant les fastes du pouvoir, tel le lustre, les cadres ou encore la table omniprésente dans les natures mortes qui apparaissent à la fin du XVII e siècle. Ces objets décoratifs éminemment séduisants et attractifs, puissamment évocateurs, constituent des amorces de récit (la Cène, le château enchanté…). Ce décalage qui se fait jour entre les surfaces séduisantes de leurs oeuvres (lustres verts fluorescents, moulages d’aliments dressés sur une table luxueuse, cadres anciens ornés, etc.), le travail méticuleux des artistes et les connotations souvent angoissantes des sujets évoqués (les exploitations de minerai d’uranium et la gestion de leurs déchets, la problématique aiguë de la salinité des sols en Australie, l’agriculture intensive, la sécurité alimentaire, etc.) invite à appréhender l’oeuvre aux deux niveaux de l’émerveillement visuel et de l’analyse critique. Ils jouent sur les contrastes entre la beauté de leurs objets et la nature des sujets évoqués, tantôt prosaïques, tantôt polémiques, pour mieux stimuler la réflexion.

Ken + Julia Yonetani posent ici la question de ce que nous laisserons aux générations futures. Un autre rêve serait sans doute celui de ce que nous devons faire pour que nos enfants et petits-enfants puissent vivre dans un monde habitable en réconciliant nature et culture.




Le parcours

Hall
L’oeuvre Grape Chandelier (Lustre de raisins) est une reprise formelle des lustres montgolfières à pendeloques. Ce majestueux lustre orne le hall central du bâtiment abbatial où sont accueillis les visiteurs. Il est composé de plus de 5000 éléments en sel moulés qui copient des grains de raisins. L’association de la représentation d’un luminaire d’apparat ostentatoire et des baies du raisin nous renvoie au genre pictural de la nature morte, tradition artistique qui s’est développée parallèlement à l’apparition de nouvelles denrées alimentaires (type raisin) sur les tables de la classe bourgeoise européenne émergente. Si les sculptures faites à base de sel solidifié sont un élément récurent dans le corpus des oeuvres des Yonetani, c’est d’une part car ce matériau – non volatile – a été mis au point par les Yonetani mais c’est surtout en résonance à l’histoire de l’Australie où ce duo d’artistes s’est installé depuis plus d’une décennie. Au fil de l’histoire, la salinité des sols a posé un problème majeur pour les civilisations notamment en Australie. Le sel utilisé pour la réalisation de cette oeuvre provient du bassin Murray-Darling, véritable grenier de l’Australie puisqu’il produit jusqu’à 90 % des aliments frais du pays. Chaque année, 550 000 tonnes de sel sont extraites du sol de cette zone dans une tentative d’endiguement de la teneur en sel des eaux souterraines.

Salle du parloir
The Five Senses (Les cinq sens) présente cinq cadres élaborés à base de sel solidifié, matériau mis au point par les Yonetani. Le titre de cette installation Five Senses fait directement référence aux Allégories des cinq sens (musée du Prado, Madrid, Espagne) qui sont une série de cinq tableaux mettant en scène les personnifications féminines des sens, peints par Jan Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens en 1617 et 1618 à Anvers. Cette oeuvre a également été inspirée par le livre éponyme du philosophe français Michel Serres (éd. Hachette, 1985). Cependant, en lieu et place des allégories féminines de la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût campées dans de somptueux décors princiers des tableaux de Brueghel et Rubens, c’est un cadre vide qui nous est présenté dans lequel nous sommes invités à projeter notre imagination. De tout temps, le tableau – anciennement délimité par son cadre – est pensé comme une fenêtre sur le monde mais ici, les auteurs de cette installation sèment le trouble et jouent sur les codes de la peinture académique. Les cadres couleurs fleur de sel sur les murs en calcaire du bâtiment abbatial, sorte de ton sur ton, disparaissent et s’effacent. Il est question de « sens » et pourtant on ne pourrait presque ne pas voir ces cadres qui se (con)fondent sur les murs. Serait-on en train de perdre l’usage de nos sens, serait-on en train de vivre la fin d’un cycle comme le suggère Michel Serres ?

Salle du Chapitre
The Last Supper (Le dernier repas ou la Cène) est une sculpture de neuf mètres de long réalisée entièrement à base de sel. The Last Supper met en lumière les inquiétudes des artistes quant aux niveaux élevés de salinité des sols australiens du en partie aux pratiques agricoles intensives. Au lendemain de Fukushima et d’autres catastrophes environnementales, ce banquet gigantesque d’aliments de luxe devient une visualisation plus large des problèmes de sécurité alimentaire dans un monde de plus en plus toxique. Comme l’expliquent les artistes : « Le sel est ici une métaphore de la mort de la terre, sacrifiée au nom de la production et de l’industrie. Notre appétit insatiable de consommation prend fin avec The Last Supper. Les associations religieuses et historiques du sel, en tant que substance sacrée qui assure la vie mais peut aussi inviter la mort, sont développées dans une oeuvre puissante sur l’essence de ce qui orne nos tables au XXe siècle. Cette œuvre s’intègre parfaitement bien à l’abbaye, de part son rappel de l’esthétique médiévale, et de part l’importance religieuse et artistique de la représentation de la Cène. » Ken + Julia Yonetani, 2014.

Salle des religieuses
Cette oeuvre a été conçue en réaction à la catastrophe nucléaire de Fukushima qui est survenue au Japon en 2011. Elle se compose à l’origine de 31 lustres. Ici, dans l’espace de la salle des religieuses une sélection de 8 lustres est présentée. Pour réaliser cette installation, d’anciens supports de lustres ont été ornés de perles en verre d’uranium (ou ouraline) et d’éclairage UV. Les deux caractéristiques principales des objets en ouraline sont qu’ils brillent d’une lumière fluorescente verte obsédante quand ils sont placés sous une lumière ultraviolet et qu’ils sont considérés comme relativement inoffensifs. Toutefois, le verre même si il n’est que très peu radioactif a été utilisé par les artistes comme un moyen d’explorer la peur des radiations en réaction à la catastrophe nucléaire de Fukushima. Chacun de ces lustres rappellent les nations nucléaires du monde, et la taille de chaque lustre correspond au nombre de centrales nucléaires actuellement en exploitation dans cette nation. Sans surprise, le lustre des États-Unis qui détient le premier parc national de centrales nucléaires est le plus grand, suivi par celui de la France (rappelons que la France est le pays dont la part d’électricité d’origine nucléaire est la plus élevée). Le titre de cette oeuvre fait référence au bâtiment grandiose conçu pour l’Exposition universelle de 1851 à Londres et fait allusion à la tension entre l’ambition humaine, les progrès technologiques, et ses coûts et conséquences.

Antichambre
Conçu en réaction à la catastrophe nucléaire de Fukushima qui est survenue au Japon en 2011, l’oeuvre se compose à l’origine de 31 chandeliers représentant les 31 nations qui possèdent l’énergie nucléaire (voir notice d’oeuvre précédente, cf. salle des religieuses). Ici, dans l’espace resserré de l’antichambre, un seul lustre est présenté. Il s’agit du lustre qui représente le Japon. Cette mise à l’écart du Japon par rapport à la précédente salle où l’on trouve les principales nations détentrices du nucléaire (États-Unis, France, Russie…) n’est pas innocente. Il faut savoir que le Japon compte 54 réacteurs nucléaires mais – actuellement – depuis l’accident de Fukushima tous les réacteurs japonais sont à l’arrêt. Le gouvernement japonais a annoncé en 2012 l’abandon progressif du nucléaire sur 30 ans et souhaite pallier ce manque d’énergie par des mesures d’économie d’énergie, le développement de sources d’énergies renouvelables, l’utilisation des ressources maritimes et l’importation de gaz naturel. Le Japon étant un cas à part dans le paysage des équipées en centrales nucléaires, durant l’exposition, si cette décision de sortir du nucléaire est maintenue par les autorités japonaises, le lustre du Japon sera donc volontairement isolé et non éclairé par les lumières UV.