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“Éloge de la rareté” Cent trésors de la Réserve des livres rares
à la BnF François-Mitterrand, Paris

du 25 novembre 2014 au 1er février 2015



www.bnf.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 25 novembre 2014.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Paul Eluard, Divers poèmes du Livre ouvert, Paris, 16 avril 1941. Édition autographe décorée à la gouache par Picasso. © Succession Picasso, 2014. BnF, Réserve des livres rares.
2/  Georges Montorgueil, France : son histoire. Librairie d’éducation de la jeunesse, 1895, Maquette de mise en pages préparatoire à l’édition originale. BnF, Réserve des livres rares.
3/  Yves-Marie-Gabriel-Pierre Le Coat de Saint-Haouen, Télégraphe de jour et de nuit, propre au service des armées de terre et de mer, Boulogne, imprimerie de Leroy-Berger, 1806. BnF, Réserve des livres rares.

 


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Interview de Jean-Marc Chatelain, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 25 novembre 2014, durée 15'52". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Une scénographie simple, épurée, toute en longues et sobres boîtes de verre laisse toute leur majesté aux cent livres que la BnF sort de sa Réserve, elle leur permet de nous transmettre une délicate émotion. Certains sont juste entrouverts, d'autres restés fermés, ils choisissent avec une élégante pudeur de se livrer ou non, de se laisser toucher du regard.

Certains ouvrages sont des exemplaires uniques : Ezéchiel 40, de James Guitet, est un livre cubique dans lequel les pages blanches découpées sculptent une architecture imposante de temple avec ses portes et ses escaliers. A l'intérieur, quatre extraits manuscrits sont enfouis comme des trésors. La première épreuve des Fleurs du mal annotée et corrigée par Baudelaire et signée d'un "bon à tirer" n'est pas seulement un document historique. L'écriture d'encre brunie nous transmet de la main même du poète toute sa sensibilité et son souffle. Le Paris secret des années 30 de Brassai exposé ici est un véritable tour de force : alors hospitalisé, le photographe réalise une maquette du livre à partir de dessins et croquis au crayon bleu et rouge, reproduisant de mémoire les photographies dont il n'a pas encore obtenu les tirages. Le manuscrit devient alors image, laissant apparaitre personnages, mouvements et ambiances.

La rencontre de l'encre et du papier se fait singulière quand l'organique vient se substituer au procédé mécanique. Les combustions de mèches lentes sur papier de Christian Jaccard illustrant un ouvrage d'Alain Duault brûlent les pages de teintes terreuses, tracent de leur parcours des barbelés noirs calcinés. Papers of river muds, de Richard Long, est quand à lui un livre-paysage. Chaque page est réalisée en intégrant à la pâte à papier les alluvions des différents fleuves dont le seul nom est imprimé. La page devient par sa matière la narration, le texte invisible, sensuel et tactile d'une géographie.

L'écrit est aussi source d'expérimentations, sa déconstruction permet la création d'un langage expérimental. Bart van der Leck réduit son vocabulaire graphique à un simple bâtonnet. Son illustration d'un conte d'Andersen voit se confondre dessins et caractères tracés à partir de cet unique signe. Oliver Byrne utilise des carrés de couleur, créant une fusion entre texte et mathématiques pour enseigner les théories d'Euclide. Sjoerd Hofstra déconstruit les caractères en les pixellisant jusqu'à l'illisible, ceux-cis devenant des séquences de petits carrés gris, le code génétique d'un ADN textuel.

La rareté est également constituée par des livres-jalons plantés le long de l'histoire de l'art. Mon chat d'André Beucler & Nathalie Parain ou bien les gouaches originales d'Elisabeth Ivanovsky illustrant l'Histoire de Bass Bassina Boulou de Franz Hellens contribuent à l'essor du cubisme en l'intégrant à la littérature pour enfants. Plus récemment, le catalogue d'Yves Klein, plaquette de dix rectangles monochromes non encore peints par l'artiste, devient de ce fait un puissant et ironique manifeste artistique.

Déroulant les fils d'une déambulation libre à travers les époques et les genres, les ouvrages n'étant que légèrement regroupés par thématiques, cette exposition s'offre au visiteur comme la douceur d'une promenade.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Jean-Marc Chatelain, directeur de la Réserve des livres rares, BnF



Qu’est-ce qu’un « livre rare » ? Comment comprendre la notion de rareté lorsqu’elle est appliquée au livre imprimé ? Tel est le propos de cette exposition qui présente les collections de la Réserve des livres rares de la BnF à travers une centaine d’ouvrages remarquables, du XVe siècle à nos jours, choisis parmi ceux qui ont été acquis pendant ces vingt dernières années. De l’incunable au livre d’artiste contemporain, de la reliure à décor à la modeste plaquette historique, du livre d’enfant au livre scandaleux, de la maquette à l’édition originale, les pièces présentées offrent, dans leur diversité même, un panorama des formes et des définitions possibles de la rareté.

Dans les vingt dernières années, la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de France s’est enrichie de plus de onze mille ouvrages, entrés par la voie du dépôt légal, par acquisition en vente publique ou auprès de libraires, par don ou encore par dation. L’exposition permet de rendre compte de l’activité de ce département qui est, depuis plus de deux siècles, chargé de la conservation des livres imprimés les plus précieux de la Bibliothèque.

Le parcours invite à découvrir en treize rubriques des ouvrages embrassant toutes les disciplines du savoir, des débuts de l’imprimerie jusqu’aux premières années du XXIe siècle. Il éclaire également par l’exemple la richesse des significations que la notion de rareté est susceptible de revêtir lorsqu’elle est appliquée à des objets que l’imprimerie rend normalement multiples.

Livres devenus rares en vertu de leur ancienneté, comme la première édition française de l’Histoire de Mélusine de Jean d’Arras publiée à Lyon vers 1479, épreuves corrigées d’oeuvres essentielles comme les Fleurs du mal de Baudelaire ou Un Coup de dés jamais n’abolira le hasard de Mallarmé, maquettes documentant la genèse d’une édition (ainsi celle du Rêve d’une petite fille qui voulut entrer au Carmel de Max Ernst, ou encore la première maquette de Laisses d’André du Bouchet et Tal Coat, qui donne accès à la poétique même de l’oeuvre), reliures remarquables par la qualité de leur décor, livres d’enfants ou publications éphémères que l’originalité de leur proposition esthétique rend singuliers, documents d’histoire comme la très rare plaquette par laquelle le ministre des Affaires étrangères polonais alertait dès la fin de l’année 1942 les gouvernements des nations alliées de l’extermination des Juifs dans la Pologne occupée, ou encore grands livres d’artistes majeurs des XXe et XXIe siècles comme l’exemplaire des Eaux-fortes originales pour des textes de Buffon de Picasso enrichi par l’artiste de plus de quarante dessins originaux pour Dora Maar... tels sont quelques-uns des aspects et des arguments de cet éloge. La diversité des pièces exposées répond à la conviction que la rareté n’est pas le sacrement de quelques livres à part, mais qu’elle est d’abord un regard jeté sur notre patrimoine, une voie d’accès privilégiée à l’esprit des oeuvres et des livres.




Une brève histoire de la Réserve des livres rares

Les origines de la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de France remontent aux dernières années du XVIIIe siècle. Si aucun acte ne vient attester formellement la création d’une « réserve » au sein des vastes collections d’imprimés de la bibliothèque et fixer précisément une date de naissance, plusieurs témoignages portent toutefois à penser que c’est à partir de 1794 qu’on se mit à opérer un tri parmi les livres afin de mettre « hors de rang », comme on le disait alors, ceux qui étaient les plus rares et exigeaient à ce titre une attention spécialement vigilante. Joseph Van Praet (1754-1837), recruté à la Bibliothèque du roi en 1784, promu « sous-garde des Imprimés » en 1792 puis « conservateur des Imprimés » en 1795, fut l’inspirateur et le maître d’oeuvre de cette entreprise. Nourri d’une culture du livre rare héritée des pratiques bibliophiliques du XVIIIe siècle (il était, avant 1784, le collaborateur du grand libraire-antiquaire Guillaume Debure l’aîné), Van Praet réalisa à la Bibliothèque Nationale, en y créant la « réserve des Imprimés », une synthèse de cette tradition de curiosité bibliophilique avec les principes d’une politique du patrimoine édictés par les assemblées de la France révolutionnaire, depuis qu’une Commission des Monuments avait été instituée à l’automne 1790 pour veiller à la conservation des « monuments des arts et des sciences ».

Dès cette époque, l’idée de réserve engage à la fois une politique de conservation (les livres reconnus comme rares sont exclus du prêt à l’extérieur qu’on pratiquait alors pour les ouvrages plus ordinaires) et une politique d’acquisition : dans un mémoire d’avril 1794 destiné au Comité d’instruction publique de la Convention nationale, Van Praet s’applique à dresser une typologie des « livres rares et considérés comme monuments typographiques » qu’il s’agit d’acquérir afin d’enrichir les collections nationales, dans la conviction qu’une bibliothèque nationale « ne doit négliger aucune occasion de se compléter en monuments typographiques de toute espèce ». Quatre catégories sont alors distinguées, ou plutôt quatre critères qui s’appliquent indifféremment aux livres anciens et aux livres les plus récents, aux livres français et aux livres étrangers : les livres illustrés les plus remarquables, les exemplaires annotés, les impressions sur vélin (impressions de luxe réalisées non sur papier mais sur une peau d’une finesse supérieure), les livres dont « il ne reste dans le commerce et dans les bibliothèques connues que très peu d’exemplaires ». Cette liste ne fera ensuite que s’affiner, se préciser et se compléter, pour inclure notamment les reliures, les éditions princeps des grands textes qui ont marqué de leur empreinte l’histoire de la littérature et de la pensée, les livres imprimés par les grands imprimeurs dont l’oeuvre a fait date dans l’histoire de la typographie, les exemplaires de tête tirés sur grand papier, les livres d’une provenance remarquable.

C’est sur les voies tracées par Van Praet que la Réserve des livres rares n’a cessé de se développer depuis un peu plus de deux siècles, en bénéficiant de tous les modes d’enrichissement des collections de la Bibliothèque nationale de France : dépôt légal (pour les livres d’artistes contemporains produits sur le territoire national), achats en vente publique, auprès de libraires spécialisés et, plus rarement, auprès de personnes privées, dons et legs, attribution par l’État d’oeuvres cédées en dation. Ainsi la collection compte aujourd’hui près de 200 000 volumes, qui embrassent tous les champs et toutes les formes du savoir, tous les aspects de l’art du livre (typographie et graphisme, illustration, reliure, etc.), toutes les régions et toutes les époques de l’imprimerie en Occident, de la Bible de Gutenberg au milieu du XVe siècle jusqu’aux livres d’artiste les plus récents. Dans cette diversité, la rareté est le seul dénominateur commun, à condition d’entendre par là non pas une simple réalité arithmétique mais la qualité qu’une société accorde et reconnaît à ce qui possède à ses yeux une valeur privilégiée de signification.