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“Jessica Stockholder” Palpable Glyphic Rapture
à la Galerie Nathalie Obadia - Bourg-Tibourg, Paris

du 22 janvier au 14 mars 2015



www.galerie-obadia.com

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage, le 22 janvier 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Jessica Stockholder, Gross National Growth (detail), 2014,. Drive way mirrors, oil paint, acrylic paint, wooden stools, silicone mold, light fixture and cord, clamps, basket ball hoop, pie pan rim, chain and hardware, snap together driveway tiles, black rubber tiles, carpet, plastic parts, copper foil.) Hauteur variable (240 cm minimum) x 226 x 160 cm. Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
2/  Jessica Stockholder, Palpable Glyphic Rapture, 2014. Vinyl photographic poster, yarn, stone, acrylic paint, plastic attachments, rivets, black tape. 106.5 x 39.5 x 10 cm. Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
3/  Jessica Stockholder, Palpable Glyphic Rapture (detail), 2014. Vinyl photographic poster, yarn, stone, acrylic paint, plastic attachments, rivets, black tape. 106.5 x 39.5 x 10 cm. Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

L'année commence dans une joyeuse éclaboussure de couleurs. Palpable Glyphic Rapture, le dernier travail de Jessica Stockholder réalisé in situ à la Galerie Nathalie Obadia est une œuvre rafraîchissante nous rappelant bien à propos les vertus d'une certaine insouciance.

Un assemblage de tables, guéridons découpés et imbriqués comme les pièces d'un puzzle déconstructiviste délimite une forme barrée d'un triangle peint en bleu. Le lien se fait avec le cubisme de Braque avant de se dissoudre dans une complexité contemporaine audacieuse. Des miroirs courbes, larges rétroviseurs vissés sur des tabourets reflètent les teintes franches d'un imposant nuage flottant au dessus de nos têtes. Cette construction de paniers de supermarché, de corbeilles à linge et boîtes de rangement bon marché fixés ensembles par de simples liens de plastique éclate de couleurs vives, primaires. Quelques traces de peinture bleu-vert sur les miroirs en font éclater les rouges et jaunes reflétés, peignant l'impalpable. L'abstraction se voit ainsi démultipliée dans ces écrans entre images réelles et virtuelles.

L'artiste ne souhaite pas définir son travail comme peinture ou sculpture, le considérant comme un point de rencontre non étiquetable de ces champs. Son utilisation de matériaux de bazar: seaux, paniers et boîtes de plastiques, miroirs, éléments de quincaillerie (pinces, fil de fer...) tient plus de la disponibilité et de l'accessibilité de ces objets que d'une quelconque critique sociale. Ces objets sont choisis pour leurs couleurs et sont la peinture avec lesquels elle peint un espace en 3 dimensions. A l'opposé de toute démarche dénonciatrice, l'œuvre est d'un optimisme communicatif. Le mariage des teintes, les jeux de juxtaposition, de complémentarité et de reflets transcende la criarde et vulgaire vivacité des couleurs et formes de ce plastique industriel.

L'apparente désinvolture des taches de peinture ici et là, de petits riens de plastique fixés sur les socles ou du minimalisme des assemblages devient une signature espiègle et enfantine. Nos rationalités d'adultes se voient moquées lorsque l'on s'aperçoit que les sangles suspendant un long alignement de paniers métalliques n'est fixé au plafond que par deux élémentaires pinces en plastique.

Ces pièces ne supportent pas l'immobilité: c'est en marchant, en tournant autour d'elles qu'elles se dévoilent, que leur langage abstrait s'articule. Au fur et à mesure que les éléments se laissent identifier: une cravate, un gobelet, un étendoir à linge, ils s'effacent pour ne devenir que leur couleur, devenant syllabes, mots et bientôt phrases. Les tabourets, les tables et les lampes se dématérialisent pour n'être que lignes et aplats emplissant l'espace de la galerie. Ce sont les silhouettes des visiteurs qui servent de repères, ordonnent le haut et le bas, distinguent la droite de la gauche. C'est notre rétine sur laquelle ces pigments s'impriment qui devient la toile du tableau.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter Palpable Glyphic Rapture pour la sixième exposition de Jessica Stockholder, après une collaboration initiée en 1995 et suivie de quatre autres expositions en 1998, 2001, 2006 et 2009. Depuis plus de 25 ans, l’artiste américaine et canadienne développe une oeuvre picturale et spatiale qui oscille en un mouvement dialectique entre l’accumulation des objets du réel et l’abstraction qui résulte de ce chaos. Avec les pionniers de l’art contemporain à produire un travail d’installation singulier et consistant qui brouille les frontières de la peinture et de la sculpture, Jessica Stockholder compte parmi les artistes les plus importants et respectés de sa génération. En maître de la composition visuelle, l’artiste développe un travail abstrait et formel qui privilégie une palette, des textures et des formes plutôt que l’identité des produits consommables manufacturés ou recyclés qu’elle utilise dans ses oeuvres. Cette production prolifique étonne par une constance et une cohérence qui ne s’est jamais départie de son énergie et sa complexité formelle, depuis la reconnaissance immédiate de Jessica Stockholder sur la scène internationale au début des années quatre-vingt-dix.

Pour Palpable Glyphic Rapture, Jessica Stockholder propose une oeuvre monumentale spécifique au site et créée in situ pour le 18, rue du Bourg-Tibourg, réalisée en réponse à la structure de la verrière. Elle présentera également un ensemble de travaux dits de studio, consistant en sept sculptures aux dimensions plus intimes, aux formats domestiqués. Attachée à l’étude des différences de tailles et d’échelles entre de grands gabarits et des compositions sculpturales de petits objets, l’artiste s’inspire du contexte architectural pour transformer et articuler ses modules dans l’espace de la galerie. C’est précisément dans ce rapport à la lumière, à la construction, au lieu et à l’architecture que l’oeuvre bascule dans l’abstraction et révèle sa couleur, tandis que les miroirs convexes de sécurité de #624 Gross National Growth redéfinissent à leur tour la spatialité de la galerie.

Dans la lignée des Combines Paintings de Robert Rauschenberg - la nostalgie et la narration en moins, Jessica Stockholder fait du réel une abstraction du quotidien dont les volumes hybrides et fantasques témoignent d’un assemblage précis et calibré. Le résultat de ce processus additif généreux est un chaos ordonné, assemblé. Son abord confus est un leurre qui permet au spectateur d’apprécier une composition d’éléments et de couleurs parfaitement maîtrisée et méticuleusement arrangée, comme il l’invite à redéfinir son rapport aux objets et à l’espace. Ces tableaux éclatés dans l’espace, ces surfaces colorées organiques et fractionnées sont des juxtapositions inattendues d’articles individuels qui ne donnent pas l’impression d’une logique apparente de construction. Or, les différentes étapes du processus de construction sont bien visibles, et récompensent un oeil attentif en laissant apparentes les fondations de l’oeuvre. Le spectateur peut se déplacer autour et à travers des oeuvres qui l’engagent physiquement à profiter d’une exploration aux multiples points de vue. Ce mouvement est d’autant plus recommandé que le travail ne saurait être appréhendé que d’une seule perspective statique : la profusion exubérante de détails, de stimulantes disparités de textures, ou de singularités jubilatoires de formes hétéroclites ne peuvent être perçus qu’en décentrant son regard. C’est la somme de ces moments visuels qui produira le souvenir de l’oeuvre de Jessica Stockholder le plus accompli et le plus juste possible.

Son travail convoque avec une grande liberté une certaine histoire de l’art du XXème siècle, et trouve des échos fragmentés - non exhaustifs, dans l’oeuvre de Duchamp, dans le mouvement Dada, Fluxus, et le Suprématisme, dans le Design, le Constructivisme ou le Surréalisme. En fédérant de modestes objets provenant d’un environnement quotidien, témoins d’un certain mode de vie occidental et déchargés de leur fonction symbolique, Jessica Stockholder les associe à des matériaux de récupération vernaculaires immédiatement disponibles dans une économie de moyens, qu’elle combine et superpose à l’esthétique directe et immédiate du bricolage, pour finalement faire écho à une logique de réappropriation qui n’est pas sans évoquer le Nouveau Réalisme, l’œuvre de Kurt Schwitters, ou certains courant du Pop Art. Le Colorfield Painting trouvera une résonance significative dans les recouvrements de plages de couleurs opaques qui semblent plastifier les objets, alors aussi choisis pour leur brillance, leur matité, leur patin artificiel ou leur clinquant. C’est la peinture et la couleur qui relient les objets constitutifs de l’oeuvre et cimentent la composition totale. Le relais chromatique est donc utilisé avec maîtrise comme architecture, et s’impose comme l’un des composants premiers de la sculpture.

Un jeu de dialectique fonde l’oeuvre en opposant l’ordre au chaos, le vide au plein, le minimal au complexe, le réel à la fiction, le statique au dynamique, la construction à la déconstruction. Malgré ces oppositions binaires, Jessica Stockholder parvient à créer des volumes spatiaux et picturaux qui isolent et dissocient l’unité, tout en mobilisant à l’envi la masse des particules pour le spectateur. L’aspect instable de ces constructions à l’équilibre incertain est quant à lui un artifice. Si les assemblages et les matériaux semblent précaires et paraissent être les produits d’un agglomérat fragile, il n’en n’est rien : paradoxalement, les oeuvres de Jessica Stockholder ont la capacité d’immobiliser et de statufier les situations éphémères et fugaces du réel, et c’est la possibilité d’une chute qui ne rend ces oeuvres que plus fortes et sculpturales.