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“Brenna Youngblood” Stairway
à la Galerie Nathalie Obadia - Cloître Saint-Merri, Paris

du 31 janvier au 28 mars 2015



www.galerie-obadia.com

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage, le 31 janvier 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Brenna Youngblood, Light Source (Long Beach 2003), 2014. Mixed media on canvas. 121,92 x 91,44 x 3,81 cm (48 x 36 x 1 1/2 in.). Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelle.
2/  Brenna Youngblood, Stairway, 2014. Mixed media on canvas. 182,88 x 152,4 x 6,03 cm (72 x 60 x 2 3/8 in.). Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
3/  Brenna Youngblood, Modern Man, 2014. Mixed media on canvas. 182,88 x 152,4 x 6,03 cm (72 x 60 x 2 3/8 in.). Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Tout commence dans la banalité, la photo d'une ampoule, une semelle de chaussure, des vieilles photocopies, un carton de pizza. Brenna Youngblood les exhume des poubelles de nos villes et, en les collant sur ses toiles, peint l'âme de Los Angeles en autant de scènes d'une tragédie.

L'artiste travaille la peinture, la colle, la résine comme une matière vivante. Des coulures, des épaisseurs pâteuses se figent entre état liquide et solide, des taches témoignent du passage de fluides, de couleurs. Les grandes surfaces peintes se présentent comme des textures, non pas construites mais déconstruites par le passage du temps. Elles portent les empreintes des substances qui s'y sont écoulées, ont étés lavées ou grattées. Des feuilles de papier y sont incrustées, collées, décollées, déchirées, recollées. Couche après couche, la technique s'estompe, la matière devient abstraite jusqu'à disparaître, puis elle renaît, révélant l'image saisissante du réel.

La réalité de la ville se mêle à sa mythologie, une religion cinématographique de science-fiction. Les références à Blade Runner, Superman ou E.T. viennent nous confirmer une culture qui fait désormais partie des briques, des murs et de l'asphalte des rues. Ces tableaux monumentaux sont des photographies, instantanés des émotions du peuple d'une ville: béton usé du coin d'une rue, grillage déchiré, ciel gris à l'odeur de gaz d'échappements, toile indigo brute d'un jean. Le travail plastique n'est que le long processus de développement d'une pellicule de toile.

L'humain qui habite ces immeubles, traverse ces avenues est écrasé par la monumentalité urbaine, réduit à l'état de viande. Une surface rouge sang froissée en stries est découpée d'un triangle: perspective d'une route ou bien pointe d'un couteau. Cette forme triangulaire vient trancher plusieurs tableaux de sa lame de ruban adhésif noir, agressivité que génère l'urbanisation démesurée, violence des rapports sociaux prête à exploser. Ces clichés témoignent d'une lutte pour exister dans un monde en perte de sens. L'évocation du genre et de la sexualité fait naître un certain malaise. Sous la photographie découpée d'une ampoule, un aplat blanc sur de la peinture aérosol noire délimite un entrejambe, dessinant un sexe féminin. Le plein et le vide peinent à se distinguer, l'image qui se forme est comme une illusion d'optique, une tache de Rohrschach qui renvoie l'observateur à la construction de sa propre identité. Des traces autour de l'ampoule semblent témoigner que celle-ci a été successivement décollée et recollée: identité sexuelle cherchant sa place pour pouvoir enfin briller de sa lumière.

Se retournant, on s'aperçoit que les autres œuvres finissent par émerger de leur bain de révélateur. Le processus de développement s'est poursuivi pendant la visite de la galerie. Ce n'est pas de la peinture, ce sont des selfies.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter Stairway à l’occasion de sa deuxième collaboration avec Brenna Youngblood après Spanning Time à Bruxelles en 2013, pour sa troisième exposition personnelle en Europe.

Depuis une très prolifique décennie, l’artiste basée à Los Angeles et issue de la génération post-black est devenue l’un des talents émergents incontournables de la scène afro-américaine en Californie. Si l’oeuvre de Brenna Youngblood est originellement attachée à la photographie et à ses diverses manifestations formelles (notamment au travers du collage et de la photographie conceptuelle), elle porte depuis quelques années un travail de peinture et de sculpture qui garde résolument un lien solide avec la réalité, tout en s’acheminant vers des possibilités d’abstraction de plus en plus manifestes et radicales.

L’artiste américaine présentera un ensemble de 12 tableaux récents (tous datés de 2014) qui approfondissent sa réflexion sur la «re-composition» à partir d’éléments fragmentés. De fait, Brenna Youngblood produit des peintures à partir d’éléments et matériaux disparates qu’elle assemble dans le cadre de la toile. Pour créer des images puissantes, elle combine papiers (billets de banque, papiers vinyles et adhésifs, faux bois, papiers peints, photos personnelles et photos trouvées découpées, photocopies, lettres de carton), objets (pales de ventilateur, semelles de chaussure) et peinture (acrylique, spray aérosol, pigments colorés, tâches, coulures, empâtements, résine, transparences, grumeaux, vernis). Visuellement complexes et conceptuellement fortes, les peintures de Brenna Youngblood engagent des éléments issus d’une réalité banale, du quotidien. L’artiste fait disparaître ces images et ces objets sous les couches successives de peinture accumulées par addition, comme par soustraction lorsqu’elle gratte à nouveau dans l’épaisseur de la matière pour faire réapparaitre une image cachée, comme le ferait un archéologue avec des strates superposées. Elle prend des objets ou des images dans la réalité (qui sont représentationnels) et les rend abstraits tout en leur permettant de garder les vestiges de leur ancienne vie et fonction première. Ce qui intéresse Brenna Youngblood dans ses compositions, c’est donc perturber le familier pour questionner la multiplicité des significations des images et objets de notre ordinaire.

Le processus de construction de chaque oeuvre est complexe et ne se laisse pas facilement deviner, mais ces structures hybrides et kaléidoscopiques - parfois en bas-relief, sont véritablement des narrations dont il faut scruter le détail. Brenna Youngblood s’inspire pour ces histoires de son intimité domestique, de son temps, de la vie citadine à Los Angeles et des grilles urbaines de la rue et de la ville, des communautés locales et populations en crise ou en difficulté dont elle est originaire, des identités marginales et multiculturelles, et pour beaucoup de «l’Americana» dont elle exploite les artefacts temporels, géographiques, culturels et folkloriques pour questionner une certaine histoire des États-Unis.

Brenna Youngblood explore des notions formelles d’histoire de l’art dont elle dispose librement (Abstraction Gestuelle, Collages, Colorfield pour ses monochromes composites, évocations des Combines Painting de Robert Rauschenberg) dans ses portraits, paysages, natures mortes, intérieurs et abstractions afin de soulever des questions éminemment à charge et politiques d’identité, de couleur, de classe et de mémoire.




A voir également à l’ Espace II de la galerie :
Horizon Mural de Pascal Pinaud - du 22 janvier au 28 février 2015 –


La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter Horizon Mural de Pascal Pinaud. Après sa dernière exposition personnelle en 2012, et l’exposition de groupe UPSA Dream dont il a assuré le commissariat en 2008, il s’agit de la cinquième collaboration de l’artiste avec la galerie.

«Les oeuvres sur papier de Pascal Pinaud laissent découvrir un lieu complexe d’élaboration au sein duquel s’éprouvent nombre de questions attachées à l’ensemble de sa production. Pourtant, si les travaux que l’artiste désigne du terme générique de dessins contribuent, à la manière de « tests » et de « prototypes », à la conception des grands formats, ils n’en définissent pas moins un corpus autonome, se donnant comme une oeuvre dans l’oeuvre, qui consiste en l’exploration per se des possibilités que le travail révèle dans le cours de son effectuation. Depuis l’hiver 1989-1990, plus de quatre cents dessins ont ainsi alimenté une vingtaine de séries. Fondée sur le développement de chantiers ouverts, conduits de front, une telle démarche allie l’esprit de suite à l’improvisation, en vertu d’un opportunisme franc et fécond. « Mon travail évolue au gré des circonstances, souligne Pinaud. Il se nourrit du contexte, des lieux, des événements et des rencontres. Tout me va et je ne m’interdis rien a priori ». Outre l’inventivité procédant de cet éclectisme méthodique, on peut y reconnaître la volonté constamment reconduite de déjouer les effets de style et autres marques de signature. Ne découlant jamais d’études préliminaires, les dessins engendrent en revanche de nouvelles productions. Des années après leur élaboration, certains d’entre eux inspirent de nouvelles séries de travaux sur papier et de grandes peintures. Or l’attachement de l’artiste aux effets à long terme et aux temps de latence n’affecte en rien la manifestation, dans chacune de ses réalisations, d’une suite de décisions dont la netteté et la cohérence outrepassent l’idée commune de mise en oeuvre pour suggérer un ensemble d’expériences possédant un caractère unitaire affirmé. Malgré la modestie des formats, ses dessins s’offrent ainsi comme des réalités achevées,capables d’exemplifier des situations particulières et de mettre en évidence, par continuité ou par divergence, les conditions de possibilité de travaux à venir. Afin de cerner les règles d’unité, d’autonomie, de lisibilité et de diversité auxquelles obéissent, chez lui, les procédures de production, Pascal Pinaud se réfère significativement à la notion d’acte. S’agissant des liens que sa pratique entretient avec le sensible pris dans sa quotidienneté, il évoque les vertus du principe de réalité. L’artiste apparaît en cela comme un réaliste empirique, travaillant « dans l’esprit de l’abstraction », pour citer une formule chère à son ami Noël Dolla. Car, même si ses réalisations ne sont pas toujours ni tout à fait abstraites, les moyens qu’adopte Pinaud et les configurations qu’il élabore assument sans complexe l’héritage des abstractions historiques. La conception du dessin qui s’y fait jour n’indique en revanche aucun intérêt particulier pour les dons que l’on prête communément à ceux « qui savent dessiner », les voies de la référentialité procédant, chez l’artiste, d’un tout autre commerce avec le visible.»

Fabien Faure, texte extrait de «L’esprit de famille», à paraître dans Pascal Pinaud – Les dessins (Genève, Éditions du Mamco, 2015)