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“Eric Rondepierre” Images secondes
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 4 février au 5 avril 2015



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 3 février 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Éric Rondepierre, W1930A (Série « Précis de décomposition, Scènes »), 1993-95, 70x105 cm. © Éric Rondepierre.
2/  Éric Rondepierre, Champs-Elysées (série « Seuils »), 2009, 75x150 cm. © Éric Rondepierre.
3/  Éric Rondepierre, Livre n° 8 (Série « Loupe/Dormeurs »), 1999-2002, 42x56 cm. © Éric Rondepierre.

 


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Interview de Eric Rondepierre,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 3 février 2015, durée 11'28". © FranceFineArt.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Images secondes
Pour Eric Rondepierre la différence entre une image de la réalité et une image d'image est une différence de degré. Cette différence de degré, il l'ignore. Il passe des heures dans les lieux sombres de l'archivage ou de la projection. Il scrute, fouille tel un archéologue pour découvrir des images qui lui apparaissent immédiatement comme celles qu'il avait toujours cherché sans le savoir. Le cinéma est pour lui un corpus dans lequel il pioche et prélève avec satisfaction, des images qui deviennent les matériaux de son travail. Détachées de leur fonction dans la narration du film, elles trouvent une autre vie dans la fixité des photographies. Eric Rondepierre s'intéresse à ce qui est en marge, au détail, à ce qui n'est pas forcément visible par le spectateur et l'amplifie. Il y a une double perte de sens pour ces images. Elles sont le plus souvent déformées, tachées, ou encore cachées par des inscriptions. Défiguration, déformation, déconstruction, on se trouve souvent à la frontière du visible, du reconnaissable. Un sentiment d'étrangeté et de mélancolie émane de ces photogrammes qui ne sont pourtant pas dénués d'un certain humour.

Brouillage des frontières
Eric Rondepierre explore la zone limite, celle où tout se construit et se déconstruit. Il s'attache donc à brouiller ou à mettre en relief des images où se brouille les frontières entre visible et invisible, entre figuration et abstraction, entre image fixe et image mouvement. Dans seuils passé et présent coexistent alors qu'il fait se rencontrer des images de son quotidien et des images tirées de vieux films souvent muets. Ces derniers possèdent une certaine aura, une certaine magie que l'on retrouve aussi dans Moires et scènes. L'élément fantastique est souvent présent dans ces oeuvres, le trouble s'installe, la fragilité du réel est soulignée, tout semble pouvoir basculer d'un moment à l'autre de la normalité à l'étrange. Fiction et documentaire fusionne. Le trouble éprouvé par le spectateur serait l'indicateur que les surfaces se fissurent. Il dit tout d'abord documenter la fiction puis fictionnaliser le document. En définitive le spectateur est transporté dans un monde de contradictions, reflétant peut être une conscience à l'intérieur de laquelle passé et présent, imaginaire et réalité coexistent avec la même intensité.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

chargé d’exposition pour la Mep : Jean-Luc Soret



Le premier trimestre 2015 est l’occasion de mettre à l’honneur le travail du photographe Éric Rondepierre, à travers deux expositions au titre commun, Images Secondes, qui auront lieu à la Maison Européenne de la Photographie et à la Maison d’Art Bernard Anthonioz.

Privilégiant un cheminement rétrospectif, la MEP présente l’ensemble des séries réalisées par Éric Rondepierre et développe une vision panoramique de l’oeuvre du photographe quand la Maison d’Art Bernard Anthonioz expose des oeuvres anciennes inédites et une toute nouvelle série. Les deux volets d’Images Secondes se complètent ainsi et donnent à voir une démarche où se déploient, sur vingt-cinq années de « reprises de vue », des réseaux de fils sémantiques qui finissent par se relier. Les séries et les oeuvres d’un lieu à l’autre se suivent ou se répondent mais, souvent, ne se ressemblent pas...

Aujourd’hui, nous pouvons dire que le cinéma, tel qu’il a pu se constituer à l’origine — une projection dans une salle obscure avec, dans le dos du spectateur, une pellicule qui se déroule —, a disparu. Depuis plusieurs décennies, l’industrie du cinéma a diversifié ses modes de production, diffusion et consommation. Depuis lors, les films se sont dilués dans une multitude de simulacres, de prothèses, de produits dérivés virtuels ou réels.

L’oeuvre d’Éric Rondepierre, dont les prémisses coïncident avec cette mutation, n’est ni un hommage au cinéma, ni une tentative de restauration ou une nostalgie de son « aura ». En tant qu’artiste, il a pris simplement appui sur cette situation historique pour parcourir les marges d’un monde dont les fragments sont maintenant à portée de la main. Il s’y réfère comme à une « nature », un corpus dans lequel il pioche allègrement en explorant ses angles morts. C’est ainsi qu’à la charnière des années 1980 et 1990, l’artiste commence à faire ce qu’il appelle de la « reprise de vue » : il prélève des images dans les longs métrages de fiction.

D’abord chez lui, en choisissant d’isoler certaines images noires à l’aide du magnétoscope (Excédents) : « La “toile blanche” sur laquelle Éric Rondepierre a commencé à élaborer son oeuvre d’artiste plasticien, après avoir abandonné le théâtre et délaissé la peinture, était un écran noir »1. Plus tard sur les rubans pelliculaires, à la table de montage, dans les cinémathèques et les archives privées (Annonces, Précis de décomposition, Suites…), enfin récemment avec le numérique sur ordinateur (Loupe/Dormeurs, DSL, Background)

À chaque nouvelle série correspond une règle du jeu qui se constitue au fil de ses recherches. En spectateur archiviste ou archéologue, il repère « ce que les yeux n’ont jamais vu »2, c’est-à-dire ces images de film en relation avec des évènements « parasitaires, périphériques, atomes indiscernables en gravitation interne, décalages subtils, accidents évanescents, micros phénomènes qui n’ont plus le moindre rapport avec le cinéma »3.

Pendant 15 ans, il documente la fiction (prélèvement sans retouche), puis, dans les années 2000, il commence à fictionnaliser le document en faisant dialoguer des images de films avec des photos qu’il prend dans son quotidien (Loupe/Dormeurs, Parties communes, Seuils…). Mais toujours avec une attention hypertrophiée, il guette les aberrations du dispositif filmique, authentifie les décalages, les métamorphoses de ces images orphelines, provoque des rencontres, des hybridations, élabore des hypothèses.

L’exposition témoigne d’un parcours de 25 ans en territoire d’images.


1 Catherine Millet, « La Nuit du chasseur d’images », in Eric Rondepierre, Images Secondes, Paris, Éditions Loco, 2015
2 Cf. Jacques Rancière, « Ce que les yeux n’ont jamais vu », Ibid.
3 Éric Rondepierre in Le Voyeur, Entretien avec Julien Milly, Éditions De L’Incidence, 2015.




Né en 1950, à Orléans. Éric Rondepierre vit et travaille à Paris. Il est diplômé des Beaux-Arts de Paris. Egalement titulaire d’un DEA de littérature comparée (Paris VII) et d’un doctorat d’Esthétique (Paris 1). Comédien professionnel, il a travaillé avec des metteurs en scène de théâtre et avec des chorégraphes. Il a réalisé un court métrage, des performances, et plus tardivement, des peintures. Au début des années 1990, il entreprend un travail photographique lié au cinéma.

Son activité artistique joue sur les rapports dynamiques qu’entretiennent ces deux pratiques. Elle comprend à la fois un travail photographique qui a fait l’objet de multiples expositions en France et à l’étranger depuis le début des années 90, et un travail d’écriture, qui, mené simultanément, a donné lieu à une dizaine d’ouvrages.

Comme le suggère le titre d’un des ses livres (La Nuit cinéma, Seuil, 2005), la part « aveugle » du film est à la source de la plupart de ses oeuvres photographiques. Son intervention consiste à choisir, selon des critères bien définis, puis à extraire des photogrammes, c’est-àdire des images qui apparaissent sur l’écran 1/24e de seconde et qui sont totalement invisibles lors d’une projection normale, pour ensuite les proposer sous la forme de tirages grand format. Cette économie de l’image, souvent qualifiée de « conceptuelle», mobilise plusieurs registres (texte, peinture, cinéma, photographie) avec une rigueur qui n’excluent pas l’étrangeté et l’humour.

Un livre collectif lui a été consacré aux éditions Léo Scheer en 2003 (textes de Pierre Guyotat, Daniel Arasse, Denys Riout, Hubert Damisch, Jean-Max Colard, Alain Jouffroy, Marie-José Mondzain,…) ainsi qu’un essai de Thierry Lenain (« Eric Rondepierre, un art de la décomposition »), éditions La Lettre volée, Bruxelles, 1999. Ses photographies figurent dans les collections publiques françaises (Maison Européenne de la photographie, Fonds National d’Art Contemporain, Cinémathèque Française, Centre Pompidou…) et internationales (MoMA de New-York, LACMA de Los Angeles, Houston Fine Art Museum…).