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“Mark Lewis” Above and Below
au Bal, Paris

du 5 février au 3 mai 2015 (prolongée jusqu'au 17 mai 2015)



www.le-bal.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 4 février 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Mark Lewis, Above and Below the Minhocão, 2014. © Mark Lewis. Courtesy of Daniel Faria galley and Mark Lewis Studio.
2/  Mark Lewis, Hendon F.C., 2009. © Mark Lewis. Collection of Beverly and Jack Creed. Courtesy of Daniel Faria galley and Mark Lewis Studio.
3/  Mark Lewis, Forte!, 2010. © Mark Lewis, Collection of ARSFUTURA (France). Courtesy of Daniel Faria galley and Mark Lewis Studio.

 


1539_Mark-Lewis audio
Interview de Chantal Pontbriand, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 4 février 2015, durée 16'36". © FranceFineArt.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Pour sa nouvelle exposition, le Bal a choisi de présenter les œuvres de l’artiste canadien Mark Lewis. De 1998 à 2014, ce sont 7 petits films qu’il montre ainsi, permettant de porter un regard scrutateur mais aussi pensif sur le monde contemporain.

Vertige du regard
Des sept courtes vidéos qui nous sont dévoilées ici, nous retiendrons d’abord le silence. Car toutes, sauf une, The Pitch (1998), sont muettes, afin de mieux attirer notre attention sur l’image, sur ce qu’elle révèle et sur ce qu’elle implique. Et rien ne semble les relier les unes aux autres si ce n’est le lent mouvement de la caméra et le caractère accidentel de ce qu’ils montrent. Ainsi, quand certaines se posent sur un trottoir ou même dans une gare bruissant de vie, d’autres préfèrent contempler des morceaux paisibles de nature. Triste observation du monde, Cold Morning (2009) s’intéresse aux gestes précis et méticuleux d’un SDF qui replie lentement ses affaires après une nuit passée dans la rue. Ses mouvements sont comme engourdis par le froid que l’on ressent presque à la vue du gel qui couvre la route et la fumée qui s’échappe d’une bouche d’aération de métro. Posée près du sol, la caméra nous enferme dans un espace clos étouffant où se joue banalement la misère humaine. Mark Lewis laisse aussi transparaître sa fascination pour l’architecture en ce qu’elle a de plus pure lorsqu’il filme l’étroit escalier en colimaçon de l’un des plus grands immeubles d’habitation du monde (Staircase at the Edificio Copan, 2014), tournoyant autour du pilier central, seul point auquel s’accrocher alors que défilent d’un côté les façades des appartements et le panorama vertigineux de la ville.

On est alors soulagé de pouvoir s’échapper avec Forte ! (2010) et son magnifique flanc de montagne couvert de neige. Immobile d’abord, puis se déplaçant avec une lenteur qui donne le vertige et fait perdre tout repère, l’objectif suit les courbes du relief jusqu’à ce que surgisse une vallée où se dresse un fort, présence étrange et surprenante dont on s’éloigne et se rapproche au grè du cheminement de la caméra. La route en lacet qui conduit à la forteresse, les rochers bruns qui l’entourent, les toits des maisons enfin à ses pieds… tous ces éléments concourent à rendre les images abstraites alors que sont brouillés les derniers repères auxquels l’œil peut se raccrocher. Puis vient Hendon F.C. (2009) et son terrain de football pas complètement abandonné puisqu’il est animé de la vie qu’apporte une famille de Rom. D’ailleurs bientôt délaissée alors que la caméra plonge dans les herbes folles du terrain qui, alors que se transforme notre perception, prennent une taille disproportionnée. Nous évoluons à travers un champ éternellement en mouvement, en contraste total contraste avec les bâtiments immobiles qui se dressent dans le lointain, hors de notre portée.

Hors du temps
Lents et ne montrant que des éléments du quotidien, les films de Mark Lewis n’en sont pas moins profondément fascinants. Rien de ce qui se passe à l’écran ne sort pourtant de l’ordinaire. Ou si peu. Mais c’est l’immobilité de la caméra ou la lenteur de ses déplacements et travelling qui hypnotisent. Forcés comme nous le sommes de regarder ce qui se passe devant nous dans un cadre intentionnellement très restreints, nous prêtons plus attention à ces détails du monde qui, dans la frénésie qui caractérise nos modes de vie, nous échappent. Le balancement languissant des herbes de Hendon F.C prennent ainsi une dimension onirique insoupçonnée. Quand notre regard erre rêveusement au milieu des épis ou sur les flancs des montagnes de Forte !, il devient beaucoup plus scrutateur avec Cigarette Smoker at the Café Grazynka (2010), où chaque geste de ce fumeur dont le visage s’offre totalement fait l’objet de notre attention. Mouvement de porter la cigarette à la bouche, torsion du coup, main qui se masse la nuque sont autant de petites ruptures qui viennent rythmer la vie contenue dans le cadre fermé de l’objectif.

Avec leur lenteur et leur immobilité contemplative, les films de Mark Lewis provoquent non seulement le vertige mais entraînent aussi totalement hors du temps, loin de la fébrilité du monde. Les micro-événements qui viennent bouleverser leur déroulement n’en sont alors que plus remarquables. À cet égard, aucun n’est plus parlant que Above and Below the Minhocão (2014), œuvre qui donne son nom à l’exposition. Oscillant de droite à gauche, survolant lentement le pont de l’autoroute de Sao Paulo où déambulent les passants, comme explorant avec minutie cet étrange produit de la modernisation, l’œil s’attarde sur les lignes parfaitement parallèle que forment la structure du pont, le trottoir en-dessous, les auvents des bâtiments que baigne la douce lumière chaude d’un soleil couchant. Puis ce sont les hommes et les femmes enfin, qui déambulent sur cette route d’asphalte, qui finissent par nous fasciner par leurs gestes, leur comportement. Et soudain, comme une évidence, s’impose ce couple installé sur le terre-plein, dont l’attitude pleine de tendresse attire accidentellement l’attention. La caméra alors se rapproche, excluant peu à peu ce qui les entoure, jusqu’au point où ces deux êtres paraissent loin du monde et de son bruit incessant. Et, pour un bref instant, ils nous entraînent avec eux.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition : Chantal Pontbriand (Pontbriand W.O.R.K.S.) et Diane Dufour



LE BAL est heureux de présenter la première exposition importante en France consacrée au travail de Mark Lewis. L’oeuvre de ce cinéaste d'origine canadienne, établi à Londres (né en 1958), qui a fait l’objet de nombreuses installations et rétrospectives dans le monde entier, fait dialoguer peinture, photographie et cinéma. L’exposition présentera un ensemble de sept films montrés pour la première fois à Paris : The Pitch (1998), Cold Morning (2009), Hendon FC (2009), Forte! (2010), Cigarette Smoker at the Cafe Grazynka Warsaw (2010), Staircase at the Edificio Copan (2014) et Above and Below the Minhocão (2014).

L’exposition est accompagnée d’un livre « Mark Lewis - Above and Below » publié par LE BAL.




« Above and Below », extraits du texte de Chantal Pontbriand
(disponible dans sa version intégrale dans le livre Mark Lewis, Above and Below publié par LE BAL à l’occasion de l’exposition.)

« Above and Below » renvoie au titre d’une oeuvre de Mark Lewis réalisée à Sao Paulo en 2014 : Above and Below the Minhocão. Le film montre le Minhocão, autoroute surélevée qui traverse la métropole, fermée à la circulation automobile le soir et le week-end quand promeneurs et cyclistes viennent s’adonner à différents loisirs ou se ressourcer. Le Minhocão a quelque chose du monument moderniste. Construit en 1970, il représente à l’époque le plus important projet d’infrastructure routière d’Amérique du Sud, avec 3,5 kilomètres de long. L’étalement urbain, l’intensité du trafic (80 000 véhicules par jour traversent le Minhocão), la pollution de l’air, le bruit, autant de facteurs contribuant à faire de cette excroissance matérielle de la modernité non pas un monument à la gloire de cette dernière, mais un symbole de sa « chute », soulignant le revers de la médaille des visées de progrès, de vitesse, de gestion des flux et également de croissance. Above and Below représente donc aussi ce qui dans le réel se confronte aux rêves d’autrefois.

La notion d’expérience est également au coeur du travail de Mark Lewis. Chacun de ses films, à quelques exceptions près, est construit en un plan unique ou, du moins, en a l’apparence grâce à un montage « invisible » de scènes répliquées ou mises bout à bout. La caméra avance lentement dans ce plan et donne l’impression d’un étirement du temps vers ce qu’on pourrait appeler une image « étendue ». Le spectateur a ainsi la sensation d’entrer dans le plan, une impression accrue par la taille de la projection qui rappelle l’échelle du corps face à un paysage, urbain ou naturel, ou une architecture. Une expérience sensorielle en découle, et c’est de cette expérience, de son potentiel, que peut surgir une conscience élargie du monde.

Les mouvements de caméra dans le travail de Mark Lewis mettent en branle également un autre processus qui s’apparente au vertige. Le vertige crée une perte de repères, il ouvre le champ des possibles alors qu’il bouleverse les habitudes du corps, sa façon de se tenir, d’appréhender et de ressentir son environnement. En fait, le vertige met le sujet à l’épreuve du monde. Il l’oblige à expérimenter ce monde autrement. Dans Forte! (2010), un panoramique sur une chaîne de montagne époustouflante de beauté se termine sur le plan rapproché d’un ancien fort, le Forte di Bard dans le Val d’Aoste, rappelant l’histoire militaire et politique du lieu, des frontières et la conquête du territoire de l’Autre qui se cachent derrière la vision idyllique et même marchande du monde actuel – le fort est aujourd’hui devenu un lieu touristique.

Dans Hendon F.C (2009), la caméra circule en effectuant des virages qui déstabilisent le sens de l’orientation. Du terrain de foot récemment abandonné et squatté par des Roms qui vaquent à leurs activités quotidiennes, la caméra s’élève puis redescend jusqu’au milieu des hautes herbes, scrute le lieu devenu terrain vague en fendant la broussaille. Ainsi les mouvements de caméra font apparaître un autre monde, quelque chose comme un envers du monde.

Cet envers du monde, Mark Lewis l’aborde frontalement dans un de ses premiers films présenté au BAL, The Pitch (1998). Se mettant lui-même en scène, il lit un texte nous exhortant à considérer le statut des laissés-pour-compte de l’industrie du cinéma, les « extras », soumis à de longues heures d’attente sur les plateaux, engagés à des tarifs minimums sans garantie de lendemain. Ainsi Lewis dénonce-t-il les conditions du spectacle en se servant de ses propres armes. Il se joue du cinéma avec les moyens du cinéma, le déjoue. Il expose les mécanismes du système de l’art et la précarité qui conditionne son existence.

Rebondissant sur le « manifeste » énoncé avec The Pitch, Lewis aborde la question de « la vie nue »1 dans une série de pièces dont Cigarette Smoker at the Café Grazynka (2010). Aucun jeu de caméra ne vient ponctuer ce film sobre où le plan fixe domine. Un travailleur polonais est tout simplement assis à une table de café, fumant une cigarette. Ce film est emblématique de cette capacité de Mark Lewis à porter attention aux choses qui de prime abord semblent anodines, les microgestes qui captent son attention, et même mobilisent son affect. Ces microgestes révèlent une forme de résistance aux vicissitudes du monde. Des gestes gratuits, non-fonctionnels par rapport à une économie capitaliste où tout doit servir, être quantifié, mercantilisé. De cette attention au détail émerge une forme de micropolitique.

Cold Morning (2009) exemplifie cette posture micropolitique. En un plan-séquence de huit minutes filmé avec une caméra fixe, Lewis montre un sans-abri qui a installé son monde sur le trottoir d’une grande ville anonyme. Le visage caché par le capuchon de sa veste rouge, le matin venu, il s’organise de façon méthodique, alignant d’abord l’ensemble de ses possessions puis les pliant avec une infinie précaution. Les pigeons squattent une bouche d’aération à proximité. Quelques passants surgissent de temps à autre, quelques voitures aussi. Il ramasse son sac de couchage, le replie, le repositionne aussi, et range d’autres objets qu’il traine avec lui (y compris un sac plastique rose sur lequel on lit ALL I WANT). Dans ce film comme dans la plupart des autres films de Mark Lewis, capital et vie nue s’entremêlent de façon inextricable, dans une plongée toujours vertigineuse dans le réel et ses interstices. Là s’y trouve la vie, là s’y trouve tout espoir de renouveau et de recommencement. L’espoir, ALL I WANT. À nouveau, ce qui s’expose ici, c’est la potentialité de la vie. Cette intensité qui change les choses, qui extirpe le monde de son immuabilité apparente, il n’y a que l’attention pour la capter, un travail en soi.

Chantal Pontbriand

1 Terme emprunté à Giorgio Agamben, Homo Sacer: le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Le Seuil,1998. La vie nue est celle de l’être qui ne possède rien et rien d’autre que lui-même.




Archive FranceFineArt.com :
à écouter l’interview de Marcella Lista, commissaire de l'exposition “Mark Lewis - Invention au Louvre”
à voir jusqu’au 31 août 2015 au Musée du Louvre Paris.
http://www.francefineart.com/index.php/agenda/14-agenda/agenda-news/1542-1452-le-louvre-mark-lewis