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“Le bord des mondes” article 1546
au Palais de Tokyo, Paris

du 18 février au 17 mai 2015



www.palaisdetokyo.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 16 février 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Theo Jansen, Apodacula, 2013. Courtesy de l’artiste. © ADAGP, Paris 2015.
2/  Tomas Saraceno, Vanitas, at the Georg Kolbe Museum, Berlin, 2014. Courtesy : the Artist and Esther Schipper Gallery, Berlin. © Photography by Studio Tomas Saraceno, 2014.
3/  Jesse Krimes, Purgatory (1 of 292, detail), 2009, Page du “federal Reporter” de la bibliothèque de droit des détenus, cartes à jouer collèes avec de la mousse à raser et du dentifrice, morceaux de savon, portraits en transferts de journal. Courtesy de l’artiste.

 


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Interview de Rebecca Lamarche Vadel, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 16 février 2015, durée 5'53". © FranceFineArt.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Les limites de l'art
Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo s'est posé la question de savoir si il existait une création hors de ce que l'on appelle art qui pourrait nous concerner. Rebecca Lamarche Vadel est partie à la recherche de créations qui pourraient répondre à cette interrogation, tout en ayant en tête la question de Marcel Duchamps "peut-on faire des oeuvres qui ne soient pas"d'art"". Le public peut ainsi découvrir les créatures de plage de Théo Jansen, créations de tubes d'isolation électrique qui se déplacent avec le vent, les pièges à brumes de Carlos Espinosa ou bien Topography of tears, les images au microscope des larmes de Rose-Lynn Fisher. Autant de démarches et de créations aux qualités poétiques indéniables, qui ne manquent pas d'étonner, voire de faire sourire. Ces créateurs ou artistes selon comment ils aiment à se définir nous proposent leur mondes imaginaires, leurs obsessions, leur moyens de survie, d'appréhender ce qui les entoure. C'est à nous de nous demander si ils se trouvent à la frontière de l'art ou complètement dedans. Il est vrai qu'après les Ready made de Marcel Duchamps l'objet d'art s'est surtout défini par ses liens avec le monde de l'art et non pas par ses qualités intrinsèques. Une oeuvre présentée dans un musée peut-elle alors réellement encore questionner son appartenance au monde l'art ? La question soulevée toujours est-il, est celle du cadre restrictif imposé par les décideurs du monde de l'art sur ce qui peut ou non en faire partie. Enfin on en vient à se demander si il y a des qualités intrinsèques à un objet qui en font un objet d'art hors de ses liens avec le monde de l'art et quelles sont ces qualités.

Les limites entre disciplines
Certaines oeuvres ont été choisies car elles présentaient un défi aux limites tout comme l'exposition elle même. Dans son projet Purgatory, l'artiste Jesse Krimes imagine, lors de son incarcération, pour lui et les autres détenus une évasion poétique à travers leurs photographies incorporées à des cartes à jouer, qu'il envoie ensuite par la poste. Il déjoue ainsi le système de surveillance, dépasse l'enfermement. Dans cette exposition il est question de dépasser l'enfermement des disciplines, des savoirs, dans des catégories illusoires. La science et l'art ont par exemple au cours de l'histoire été considérés comme proches ou totalement opposés. Il est intéressant et rafraichissant de voir comment ces différents mondes s'informent et se rejoignent bousculant nos idées préconçues. Il s'agit comme le dit Rebecca Lamarche Vadel de ne pas accepter les divisions arbitraires entre les territoires de la connaissance et de poser l'oeuvre d'art comme une recherche, une quête expérimentale qui invente le sensible, en se nourrissant de ce qui lui est extérieur, de ce qui n'est pas d'elle. L'abolition des frontières ne manque pas de séduire, la question des limites de fasciner, bien que chaque pas vers l'effacement de celles-ci ne soit irrémédiablement qu'un pas vers leur reconstruction.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Rebecca Lamarche Vadel



Avec : CKY, Laurent Derobert, Carlos Espinosa, Rose-Lynn FISHER, Pierre Gagnaire, Game of states, Jerry Gretzinger, Hiroshi Ishiguro, Theo Jansen, Jean KATAMBAYI, Kenji Kawakami, Zdenek Kosek, Jesse Krimes, Kusköy, Charlie Le Mindu, Arnold Odermatt, Bridget Polk, Le Prince Noir, La S.A.P.E., Tomás Saraceno, Iris VAN HERPEN, George WIDENER

Y-a-t-il des oeuvres qui ne soient pas d’art ?
C’est en s’interrogeant avec Duchamp sur l’essence de la création et ses territoires que le Palais de Tokyo explore les mondes interstitiels, à la lisière de l’art, de la création et de l’invention.

L’exposition Le Bord des mondes invite à un voyage aux confins de la création, en révélant les prodigieuses recherches et inventions de visionnaires au-delà du territoire traditionnel de l’art.

Des créatures de plage géantes de Theo Jansen aux étonnants chindogu de Kawakami Kenji en passant par les poétiques attrape-nuages de Carlos Espinosa, l’exposition invite à emprunter des sentiers interdits et à chevaucher sur la faille qui habituellement sépare la création artistique et l’invention créative.

A la lisière de l’art et de l’invention, l’exposition fait voler en éclats les frontières entre les mondes, entre territoire artistique identifié et mondes parallèles absents du système de l’art, en explorant le fécond précipice qui peut les unir. Questionnant les fondements d’une modernité qui rationalise, cloisonne les savoirs et les pratiques en excluant des gestes et des idées inclassables, l’exposition s’intéresse aux recherches originales et surprenantes.

Vingt-deux créateurs, pour la plupart extérieurs au champ de l’art, y déploient leurs visions et idées, qui par leur profondeur et leur beauté pourraient pourtant y appartenir. Ni «outsiders», ni «naïfs», pas plus qu’ «hors normes», ces esprits affranchis explorent des formes inconnues et rafraîchissent notre regard, au-delà des canons et des disciplines.

Ce sont autant d’histoires, qui, par leur originalité et leur inventivité, renouvèlent l’attention sur les zones mystérieuses de la création, dans son expression la plus audacieuse. Ici prévaut l’expérience, la réinvention, le dépassement des clivages.





Carlos ESPINOSA

Carlos Espinosa (né en 1924 à Taltal Vit et travaille à Antofagasta, Chili) est l’inventeur des «atrapanieblas», les «pièges à brume», que le physicien a disséminés dans le désert de l’Atacama au Chili où son modèle a fait école avant d’être propagé dans les régions les plus arides du monde.

Captant le vaporeux, ces pièges permettent de capturer l’eau pour la répandre là où elle ne coulait pas. Ces créations favorisent ainsi le développement d’une vie organique dans des endroits où prédominait le monde minéral. Développée dans les années 1960 à la suite d’une terrible année de sécheresse, cette recherche consistait pour Carlos Espinosa à «trouver des solutions durables de cohabitation de l’homme avec son environnement, quand l’humanité toute entière commençait déjà à se lancer dans la conquête spatiale».

Grâce aux attrapes-brouillard, Espinosa réalisait donc un défi quasi-prométhéen, celui de capturer une matière invisible, omniprésente et fugitive, et l’offrir à l’homme. L’invention fut brevetée en 1963 et son système offert en usage libre à l’UNESCO.


Kenji KAWAKAMI

Kenji Kawakami (né en 1946, vit et travaille à Tokyo) est l’inventeur des «chindogu», objets qu’il créé au Japon depuis les années 1980 et dont on dénombre aujourd’hui plus de mille spécimens uniques. Ces étranges inventions sont de véritables manifestes de résistance politique, économique et poétique, qui ont une fonction, sont utilisables mais sont résolument inutiles.

Pensés comme des réponses aux difficultés dérisoires de l’homme, chacun d’entre eux se développe comme une fable, déconnectée de tout sens pratique et engageant une réflexion sur le consumérisme et le matérialisme de la vie moderne. Suivant les dix commandements fondateurs du chindogu, chaque objet doit affirmer la liberté et la jouissance d’être inutile, pouvoir être compris universellement et constituer une forme de communication non-verbale. Il doit être «offert au monde», et ne peut donc être vendu, déposé, breveté, ni même possédé. Objets non identifiés, les chindogus sont pour Kenji Kawakami «un jeu intellectuel pour la stimulation d’esprits».


Theo JANSEN

Depuis plus de vingt ans, Theo Jansen (né en 1948, vit et travaille à La Haye) se consacre à l’étude d’une espèce indépendante et autonome, les «Strandbeasts» ou «créatures de plage». Tous les étés, il transforme la plage de Scheveningen en un laboratoire où se déploient ces monumentales créatures. Construites uniquement à partir de tubes d’isolation électrique, et certaines de tiges de bambou, de serre-câbles et de voiles en Dacron, elles se meuvent par la force du vent.

Les espèces «Strandbeasts» se développent selon les principes de l’évolution et de transformations génétiques, mettant en cause la division communément admise entre le naturel et l’artificiel, l’organique et le mécanique et dessinant un arbre généalogique complexe.

Theo Jansen récuse notre anthropocentrisme spontané et considère que les «Strandbeasts» ont ainsi leur propre raison d’être, leurs propres mécanismes et principes d’évolution, dont il est moins l’inventeur que le passeur et le transmetteur.


Jerry GRETZINGER

En 1963, Jerry Gretzinger (né en 1942, vit et travaille à Maple City, États-Unis) dessina le premier élément de la carte d’un monde imaginaire. Chaque jour ce dessin a été augmenté, étendant un monde et dessinant la physionomie d’une terre inconnue, qui donnait naissance à des villes telles que « Plaeides » ou « Ukrainia ».

Cinquante ans plus tard, le cartographe travaille toujours sur ce même document, qui s’est métamorphosé en un espace constitué de près de trois mille feuilles de papier A4. Chaque matin, Jerry Gretzinger tire une carte d’un jeu qu’il a créé lui-même. Celle-ci lui indique la transformation qu’il devra réaliser : ajouter un immeuble, retirer des routes, créer des terres en friche.

Le monde qu’il cartographie naît du développement de la carte elle-même, au gré de la superposition des couches sédimentées sur le papier. Ces métamorphoses sont recueillies dans un inventaire, mémoire des étapes successives de construction et de modification de cet univers.


Rose-Lynn FISHER

Au travers de sa recherche Topography of Tears, Rose-Lynn Fisher (née en 1955, vit et travaille à Los Angeles) a étudié plus d’une centaine de larmes, les siennes et celles de proches, au moyen d’un microscope optique. Débutée en 2008 et constituée de plus d’une centaine d’images, cette série qu’elle qualifie de « vues aériennes de terrains émotionnels », met en évidence la complexité et le caractère insaisissable des sentiments qui nous traversent. Ces larmes sont le résultat de rires incontrôlables, d’instants de doute, de douleur ou d’exaspération…

Rose-Lynn Fisher est spécialisée en macro et microphotographie depuis de nombreuses années. Ses recherches tentent de matérialiser, de rendre visible, par l’image, des manifestations physiques de l’ordre de l’impalpable. Les extrêmes variétés et dissemblances entre chacune de ses études de larmes révèlent l’infinité de l’Homme, l’existence d’une multitude de territoires en nous-mêmes, et autant de mondes pouvant être révélés par la photographie mais nous demeurant pourtant « étrangers » et indéchiffrables.


GAME OF STATES

Game of States fut créé en 1945 à Varsovie, à l’époque où la Pologne intégrait le bloc socialiste. Imaginé par quelques adolescents, le jeu se développa alors dans le plus grand secret dans des appartements où complots diplomatiques et offensives militaires se déployaient en miniature entre des Etats fictifs : la monarchie parlementaire «Tiny Empire», le royaume social-démocrate de «Niam Niam», la dictature communiste des «Républiques matérialistes socialistes unies» et la «République de Pologne».

Fantastique labyrinthe d’idées, de stratégies, de rebonds officiels et officieux imaginés par ses membres, le jeu Game of States s’est développé jusqu’à aujourd’hui sur plusieurs générations au travers d’échanges de correspondances, de la création de personnages politiques, d’espions, de manipulations médiatiques, de faux accidents, etc. Véritable lieu de catharsis, il est devenu la réalisation d’une utopie, où le réel peut être réinventé, dissout et transformé au fil des parties.


Tomás SARACENO

L’un des intérêts majeurs de Tomás Saraceno (né en 1973 à Tucumán en Argentine, vit et travaille « sur et au-delà de la planète terre ») est l’observation des systèmes environnementaux, biologiques et physiques, en association avec des scientifiques. Comment habiter au-delà des frontières? Comment défier les contraintes politiques, sociales, culturelles et militaires?

Architecte de formation, les motifs qu’il découvre dans des phénomènes allant des macrostructures de l’univers aux microsystèmes de la nature sont pour lui des voies alternatives d’organisation du monde, mais aussi une manière de proposer une perception humaine poétique du vivant. Au sein de cette étude, les structures des toiles d’araignées et leur système d’expansion dans l’espace constituent une source majeure d’inspiration et de recherche. Tomás Saraceno expose ainsi des toiles tissées par des araignées sociables et des araignées solitaires, filées successivement les unes sur les autres, et étudie l’apparition de nouvelles formes hybrides et les synergies qui en résultent.


Laurent DEROBERT

Docteur en sciences économiques et chercheur, Laurent Derobert (né en 1974, vit et travaille à Avignon et Paris) est l’inventeur des «mathématiques existentielles». Transformant l’outil mathématique en objet poétique, il tente d’expliquer les champs de la conscience humaine, tels que la «Force d’attraction de l’être rêvé», la «Vitesse de libération» ou l’«Asymptote des mondes».

Explorant la conscience et les rapports humains sous forme algébrique, il produit des équations qui sont autant de poèmes rigoureux et sensibles autour du sentiment de manque, de l’attraction ou du rêve. «D’une formule à l’autre, il est question de réduire le dédale intérieur de chacun, cette distance labyrinthique qui nous sépare de nous-mêmes, de ce que nous croyons être, de ce que nous rêvons d’être.»

S’emparant d’un outil traditionnellement employé à l’objectivation et à la rationalisation du monde, Laurent Derobert en fait une modalité pour sonder le subjectif et l’insaisissable.


Iris VAN HERPEN

Par son approche expérimentale ainsi que son recours aux technologies digitales, les créations d’Iris van Herpen (née en 1984, vit et travaille à Amsterdam) sont totalement atypiques dans l’univers de la mode.

Utilisant des matériaux aussi divers que la résine, le métal, le cheveu, le cuir ou encore le Plexiglas, pour créer des robes aux configurations complexes et aux volumes étranges, Iris Van Herpen ne cesse d’explorer les possibilités offertes par la science tout en se distanciant de la perception du vêtement comme simple ornement.

Le corps humain, au contact de ses créations, semble transfiguré et emporté vers un univers où technologie et nature s’étreignent harmonieusement. La fragilité inhérente à notre enveloppe corporelle se perd dans un post-humanisme sublimé. Ses créations, aux matières fascinantes, aux volumes et aux structures organiques, nous entraînent vers des univers inédits où les frontières entre l’art, la science et la nature semblent insaisissables.


Hiroshi ISHIGURO

Chercheur en intelligence artificielle et robotique à Osaka au Japon, Hiroshi Ishiguro (Né en 1963 au Japon. Vit et travaille à Osaka) est créateur de robots «géminoïdes», machines imitant en tous points l’apparence et le comportement humains. Ces robots anthropomorphiques sont inspirés d’individus existants, devenant leur réplique automatisée aux lèvres humides, aux yeux vifs et cheveux brillants. Le chercheur s’intéresse à la manière avec laquelle l’homme communique et crée des relations «naturelles» avec les objets.

Au-delà de la performance technique et technologique, Hiroshi Ishiguro tente surtout de comprendre l’humain, la raison de notre existence. La nature humaine existe-t-elle ? Peut-elle être artificiellement reproduite et engendrée ? Ishiguro utilise ses robots comme des moyens d’analyser l’homme, sa psychologie, son système cognitif, sa sociabilité, et ce qui fait de l’homme un homme.


Jean KATAMBAYI

Jean Katambayi (né en 1974, vit et travaille à Lubumbashi, République démocratique du Congo) mène une recherche obsédante sur les flux d’énergie qui régissent notre monde, qu’ils soient physiques ou spirituels.

Ses pièces et dessins sont autant d’études qui rendent visibles les déséquilibres du monde et des forces. À l'aide de carton et d’éléments électroniques récupérés et recyclés, il crée des systèmes électriques de calculs, machines théoriques et pratiques qui mettent en évidence la question du manque de ressources énergétique dont souffre le Congo, où il réside, tout en tentant de les résoudre.

La pratique de Jean Katambayi trouve écho dans le hacking et ses fondements : le partage des connaissances, la volonté de l’éveil des consciences et la mise en application d’une ingéniosité qui semble infinie. Ses créations, à la fois subtiles et poétiques, sont un hymne au dépassement des limites, aussi bien sociales, politiques que matérielles.


George WIDENER

À dix-sept ans, George Widener (né en 1962, vit et travaille à Asheville, États-Unis) est embauché par la US Air Force comme technicien. Durant son temps libre, il se consacre au dessin. Mais son état dépressif chronique et son comportement social l’obligent à faire des séjours réguliers en hôpital psychiatrique. Hormis la dépression, il souffre d’une forme légère d’autisme et du syndrome d’Asperger qui se caractérise par une extraordinaire capacité de calcul et une mémoire hors normes des noms, dates et faits divers.

Sa production quotidienne met en évidence des listes complexes, calendriers, diagrammes, cartes, codes et chiffres inscrits à l’encre sur des nappes en papier collées entre elles et teintes avec du thé.

George Widener tente de donner au monde une cohérence grâce au système de chiffres qu’il met en place dans ses carrés magiques. S’y entrecroisent des catastrophes aériennes, des naufrages de bateaux et des événements marquants de sa vie personnelle.


SAPEURS

«Ô Dieu de la S.A.P.E. […], Pardonne à tous ceux qui ne savent pas s’habiller […], tous ceux qui ne savent pas distinguer les couleurs […]». Extraites d’une prière de la S.A.P.E ( Société des Ambianceurs et Personnes Élégantes), ces paroles sont celles d’un mouvement né dans les années 1960 à Brazzaville (République démocratique du Congo), qui s’est depuis répandu dans des foyers tels que Kinshasa (République démocratique du Congo) et Paris. Comment réinventer son identité, comment sublimer l’existence, et défier la norme ? Communauté protéiforme et complexe, la S.A.P.E. fait de ses adeptes des fidèles dévoués à l’art vestimentaire. La S.A.P.E. unit ses membres au travers de divinités, de rituels, de croyances et, d’une science, la «Sapologie», dont les finalités sont d’ériger le vêtement au rang de langage et d’oeuvre à part entière.

L’art de la S.A.P.E. est avant tout lié à l’éloquence et à la véhémence du sapeur, un fidèle au service des dieux, dont la mission est d’exceller dans une performance où chacun de ses vêtements «parle» et se fait le signe d’une identité magnifiée.


Jesse KRIMES

Durant sa période d’incarcération dans une prison d’État américaine, Jesse Krimes (né en 1982, vit et travaille à Philadelphie, Etats-Unis) a inventé, au moyen du matériel qu’il s’est approprié dans la prison, un moyen pour que lui et ses codétenus puissent s’évader symboliquement.

Il a méthodiquement découpé les portraits de ses congénères dans le journal, les a transférés sur des savonnettes, qu’il a ensuite dissimulées dans les jeux de cartes préparés à cet effet. Il a ainsi trompé la vigilance des gardiens pour faire sortir ces portraits dissimulés dans des lettres envoyées au monde extérieur.

Ces quelques trois-cents portraits sont devenus des preuves de l’existence de ces centaines d’individus devenus absents d’un monde dont ils ont été écartés. En contournant la privation de liberté et en réintégrant symboliquement l’existence de ces fantômes dans un territoire dont l’accès leur était physiquement interdit, Jesse Krimes a fait oeuvre de résistance.


Bridget POLK

Bridget Polk (née en 1960, vit et travaille à Portland, États-Unis) réalise des installations de balancing rocks, ou «pierres en équilibre». Sculptures impossibles, elles sont maintenues grâce à un équilibre précaire qui se joue des lois de la gravité, de manière à « organiser le chaos », selon les propres mots de Bridget Polk.

Architecte de mondes éphémères et nomades grâce aux pierres trouvées au hasard de sa route, elle fait de la méditation et du temps des méthodes d’approche et de transformation du monde.

Chaque sculpture érigée est en suspens et contient une incertitude, celle d’une longévité allant de quelques secondes à plusieurs jours, qui oblige Bridget Polk à sans cesse reconstruire ce qui s’effondre et toujours offrir de nouvelles formes à ces mondes en devenir. Utilisant autant des produits manufacturés (parpaings, briques, dalles en ciment et statues) que des pierres ou des dalles de pierre auxquels les éléments ont donné forme, Bridget Polk construit des architectures où se rencontrent un monde «naturel» et un monde «culturel».


Charlie LE MINDU

Les créations de Charlie Le Mindu (né en 1986, vit et travaille à Paris) s’inspirent de thèmes qui semblent à première vue étrangers au champ de la coiffure : fonds marins, bestiaire mythologique, monuments historiques ou encore l’égérie du mouvement punk Nina Hagen.

Cet initiateur de la « haute coiffure », qui considère le cheveu comme une parure comparable au vêtement, a fait ses classes dans des lieux tels que le célèbre club berlinois Berghain où il coiffait les clubbers du soir jusqu’à l’aube. Le créateur multiplie les collaborations avec des personnalités telles que le chrorégraphe Philippe Decouflé, les danseuses du Crazy Horse ou encore l’icône pop Lady Gaga.

Charlie Le Mindu imagine des pièces qui transforment la femme en une créature fantastique, dissimulant le plus souvent la physionomie et l’identité de celle qu’il coiffe de ses perruques. Objets étranges, ce sont de véritables sculptures qui déguisent, camouflent et modifient le corps. Créateur irrévérencieux, il manipule le mauvais goût et n’a de cesse de repousser les territoires d’expression de la coiffure.


Arnold ODERMATT

Arnold Odermatt (né en 1925, Suisse) est un gendarme du canton de Nidwalden qui, passionné de photographie, préféra ce médium aux croquis habituellement utilisés dans les constats d’accidents.

Durant plus de 60 ans, il photographie obstinément le quotidien de la police cantonale qu’il observe avec un regard singulier. Il réalise la série Karambolage, succession de vues d’accidents où l’humour se substitue au drame, la composition à la documentation. Les lignes dessinées sur la route, retraçant les trajectoires réalisées par les voitures avant la collision, révèlent le sens aigu du cadrage et de la composition d’Odermatt.

Il faudra attendre 1990 pour que ses photographies soient révélées au public grâce à la découverte de ces dernières par son fils Urs Odermatt.


CRÉATEURS HISTORIQUES

Une salle dans l’exposition est dédiée à des créateurs qui peuvent être considérés comme les figures historiques de la recherche menée à la marge des disciplines. Par la singularité de leur création, ils ont marqué de leur empreinte l’écriture du savoir et du visible au cours des siècles passés.

Ces créateurs sont autant d’explorateurs embarqués en dehors des sentiers de la connaissance, pirates investis dans des recherches dont ils inventaient de nouvelles méthodes, visionnaires bâtisseurs de mondes jusqu’alors inconnus…Les domaines, dont leurs recherches étendaient les limites, allaient de l’astrophysique à la biologie, en passant par les mathématiques, les humanités ou encore la médecine légale.

Ces créateurs ont en commun le développement d’une attitude et d’une vision réhabilitant l’audace et l’imagination, dépassant l’immobilisation de la pensée et de la forme dans un territoire prescrit. Chacun à sa manière a défié les limites des mondes et créé des formes qui peuplent aujourd’hui encore l’histoire des images et des pensées. La salle historique, non exhaustive, propose de réintégrer ces créations dans une autre histoire de l’art, écrite à l’aune de territoires élargis.


CKY

CKY (Camp Kill Yourself) est une série de vidéos initiée à la fin des années 1990, mêlant skate-board, pitreries et cascades, plus extrêmes les unes que les autres. Créée par le skateur Bam Margera et le réalisateur Brandon DiCamillo, cette série est la grande soeur de la très populaire série Jackass.

Au-delà de son aspect provocateur, confinant parfois au grotesque, ces vidéos mettent en exergue la question du rapport au corps. Les scènes qui s’enchaînent répondent à un protocole réfléchi où la prise de risques permet d’interroger les limites du participant tout comme celles du spectateur.

CKY utilise le danger comme révélateur de notre fascination pour la violence. La mise en péril du corps prend ici la forme d’une catharsis. Les scènes de skateboard ponctuant les vidéos révèlent, quant à elles, que ces mises en danger, parfois insensées, peuvent aussi occasionner de véritables moments de grâce. CKY est un hymne à l’absurde, à la perte de sens, comme déclencheur de ce rire si particulier qui semble moquer la douleur.


Zdenek Kosek

Que faire lorsque le monde menace de s’effondrer en même temps que le moi ? Quand les frontières du corps s’effacent et que l’on ne fait plus qu’un avec l’univers ? Depuis qu’il a survécu à une profonde fracture psychique, Zdenek Kosek (né en 1949, vit et travaille à Usti nad Labem, République tchèque) est persuadé de déterminer les variations météorologiques, mais aussi tout ce qui l’entoure.

Sa création témoigne de la tâche immense qu’il s’est fixée et de ses tentatives pour empêcher les catastrophes climatiques et l’éclatement du monde, capter la multitude de signes qui le traversent à chaque instant, traquer les transformations de l’énergie, débusquer les éléments clés qui régissent nos destinées. Partitions ? Chorégraphies ? Formules magiques ? Secrets scientifiques ? Ses dessins diagrammes sont tout cela à la fois, autant de cartographies de son esprit aux prises avec les événements de l’Histoire.


Pierre GAGNAIRE

Si le bord des mondes pouvait être goûté, si la sortie des territoires pouvait être dégustée, quelles seraient leurs saveurs, leurs textures, leurs couleurs ? La cuisine, en perpétuel mouvement et animée de profondes mutations, constitue l’un des lieux d’une recherche créative sans cesse renouvelée. Lieu de la sensation, de la pensée, de la découverte, de l’hypothèse et du risque, l’expérience culinaire rassemble une multitude de possibles et de réinventions. En écho à l’exposition Le bord des mondes au Palais de Tokyo, un parcours culinaire hors-les-murs est imaginé dans Paris, enrichi chaque semaine par la proposition d’un chef qui révèle dans son restaurant son interprétation de la sortie des territoires, et propose ainsi au visiteur de goûter la saveur d’horizons insoupçonnés. Inauguré par le chef Pierre Gagnaire au Balzac le 24 Février 2015, ce parcours se déclinera ensuite au travers des rebonds imaginés par les chefs.

Ce parcours est imaginé par Fulgurances. Créé en 2010, Fulgurances a pour vocation de mettre en scène une jeune cuisine, en respectant ses exigences et les personnalités qui la portent. Fulgurances est également un magazine en ligne (www.fulgurances.com) qui rend compte de l’actualité du monde culinaire.


Kusköy

Le « langage des oiseaux » ou kus dili est originaire du village de Kusköy en Turquie, dont le nom signifie « village des oiseaux ». Né il y a plus de quatre cents ans, ce langage fut créé pour les besoins du travail agricole dans les montagnes du Pontique. L’irrégularité des terrains et leur géographie extrême rendaient les déplacements pénibles et complexes. Afin de parer à ces difficultés les habitants ont inventé un système alternatif pour communiquer et échanger. Le kus dili est un langage qui imite les sifflements des oiseaux et transforme chaque syllabe de la langue turque en un chant particulier voyageant par-delà le relief. Les habitants de Kusköy peuvent ainsi s’informer de l’arrivée d’un visiteur, d’une invitation à prendre le thé ou d’un appel à l’aide. Mais des conversations plus complexes sont également possibles. Si des traditions similaires existent dans d’autres pays (Mexique, Grèce et Espagne), Kusköy rassemble le plus grand nombre de siffleurs et initie les plus jeunes générations à ce langage secret.


Le Prince Noir

Un matin de septembre 1989, le « Prince noir » réalise le tour du périphérique parisien en 11 minutes et 4 secondes au guidon de sa moto. Le film qui en résulte montre une course atteignant parfois les 250 km/h, ce qui fit de lui un véritable mythe au sein de la communauté des motards, et déclencha par ailleurs un scandale médiatique.

La moto et le corps de l’homme ne font plus qu’un, transformés en un être hybride et instable à la recherche d’un tutoiement de la limite, alors que la conscience de sa vulnérabilité et la perspective de la mort sont omniprésentes.

Cet exploit extrême met en scène et exacerbe une existence « dangereuse » vécue comme une nécessité par toute une communauté : jouer de l’accélération, pratiquer l’hédonisme, contourner la loi, faire du danger une célébration de l’existence, promouvoir un mode de vie qui s’oppose à la convention sociale. Il s’agit ici d’expérimenter la jouissance d’une vitesse qui touche à l’ivresse, mais aussi d’exceller dans la maîtrise d’une situation à la limite de la survie.