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“Mathieu Briand” Et In Libertalia Ego
à la maison rouge, Paris

du 19 février au 10 mai 2015



www.lamaisonrouge.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 18 février 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  © Pierre Huyghe, Or. Photo : Mathieu Briand.
2/  © Dejode & Lacombe, That’s how strong my love is. Photo : Mathieu Briand.
3/  © Jacin Giordano, The Catchers. Photo : Mathieu Briand.

 


1549_Mathieu-Briand audio
Interview de Mathieu Briand,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 18 février 2015, durée 12'13". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Les contours d'une ile tracés sur des cartes ouvrent notre imaginaire. Impossible de ne pas se voir envahi par l'imagerie des pirates, des trésors enfouis, de l'expérience d'une utopie libertaire. De ce point de départ Mathieu Briand rejoint à la nage, coiffé d'un tricorne, une petite île de Madagascar. En y rencontrant ses habitants, toutes ses représentations volent en éclats et l'artiste en vient à profondément interroger la signification même de l'art.

Une pirogue dont la voile est peinte semble voguer en direction d'un grand tableau représentant l'île. l'image peinte fait de cette voile un écran sur lequel sont projetés nos fantasmes. Un enfant sur la plage soulève la surface de la mer telle une étoffe, transformant le réel en un trucage. Des références ésotériques à l'œuvre de Dali viennent souligner la part onirique des histoires de pirates, mais les éléments symboliques et mythologiques viennent pourtant témoigner de l'importance de la spiritualité dans la culture Malgache. Une divinité, mi-homme, mi zébu est le portrait de l'esprit auquel les habitants de l'île ont sacrifié un animal.

La reconstitution d'un arbre sacré nous présente la mémoire d'un rituel effectué. A ses racines les objets rituels, argent, bouteilles, lambeaux de tissu se voient mélangés à un coffre et à une maquette de vieux galion, tout droits sortis d'une bande dessinée ou d'un film.

L'artiste, en allant à la rencontre d'un lieu et d'une culture totalement étrangers se voit confronté à un questionnement essentiel. Notre conception de l'art n'a pas cours ici, le mot "art" n'existe sans doute même pas dans le vocabulaire local. Alors, une fois réalisé l'inventaire des habitations en en réalisant des impressions 3d, force est de s'interroger sur la nature, le sens de sa démarche artistique. En se donnant une totale liberté, il décide de s'affranchir d'une obligation de résultat, d'œuvre, pour creuser comme à la recherche d'un trésor jusqu'aux sources d'un art qui fut avant tout intimement connecté au divin, au sacré. Le travail devient dés lors collectif, Mathieu Briand construit un atelier, invite d'autres artistes à venir résider avec lui ou à lui envoyer des protocoles.

L'utopie pirate de Libertalia se recrée au fil de ces rencontres, dans cette tentative de produire sur place, avec ce qui est disponible dans l'espace fini d'une île. L'investissement avec les familles insulaires bouleverse totalement l'artiste. Un espace recrée l'atelier que Mathieu Briand s'est construit sur l'île. Des chaises autour d'une table couverte de photos, une petite bibliothèque qu'un ami lui a construite, des fenêtres ouvrant sur les projections vidéo de performances réalisées par les artistes invités. Un couple de chorégraphes danse, d'autres artistes viennent construire une structure de bois ou bien effectuer un patient travail de numérotation des feuilles d'un arbre. Une étrange relique flotte au dessus d'un tabouret, cœur ossifié ou plante épineuse, évocation d'un rituel magique qui a bien eu lieu.

En fin de parcours, trois écrans dans une pièce sombre immergent le visiteur dans une sorte de réalité virtuelle. Dans le son apaisant des vagues, les images montent le rivage, la végétation luxuriante ou bien suivent les habitants dans leur quotidien. Comme dans le mythe de la caverne de Platon, ces ombres projetées nous replacent dans notre ignorance et nos préjugés, la plage semble soudain le lieu de renaissance d'un art nouveau.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Depuis 2008, Mathieu Briand a installé provisoirement son atelier sur un îlot situé sur le Canal du Mozambique à Madagascar. Sur ce lieu sacré et habité par une famille malgache depuis plusieurs générations, il a proposé aux habitants d’inviter un groupe d’artistes à y intervenir, soit directement sur place, soit par le biais de protocoles à exécuter.

Intitulé ET IN LIBERTALIA EGO, le projet se réfère autant à la célèbre inscription Et in Arcadia Ego que les bergers du tableau de Poussin pointent du doigt, qu’à la colonie libertaire éponyme décrite dans le livre A General History of the Robberies and Murders of the Most Notorious Pyrates (1724) (Une histoire générale des plus fameux pirates) – ouvrage qui mêle de manière ambiguë sources réelles et fictionnelles, et dont l’auteur pourrait bien être Daniel Defoe, père de Robinson Crusoé.

Soutenue par La maison rouge depuis 2012, l’initiative de Mathieu Briand sera présentée sous la forme d’une exposition du 19 février au 10 mai 2015. L’exposition sera également présentée en septembre 2015 au Mona (Museum of Old and New Art), Tasmanie. www. mona.net.au


Les artistes invités par Mathieu Briand
Francis Alÿs, Grégory et Cyril Chapuisat, Sophie Dejode, Bertrand Lacombe, Jacin Giordano, Thomas Hirschhorn, Koo Jeong-A, Pierre Huyghe, Gabriel Kuri, Prue Lang , Richard Siegal, Juan Pablo Macias, Mike Nelson, Damian Ortega, Rudy Riccioti, Yvan Salomone et Gilles Mahé (1943-1999)




Résumé des épisodes précédents

Premier récit

Retour aux sources. En juin 2008, à la suite d’un e-mail de ma soeur, contenant une photo d’une île qui m’était alors inconnue et qui avait été prise depuis le jardin de ma tante à Nosy Be (Madagascar), je décide de me rendre sur place pour effectuer des recherches sur Libertalia*. À mon arrivée, j’atteins l’île à la nage et découvre avec surprise qu’elle est habitée. Îlot plutôt qu’île, ce territoire isolé abrite quelques habitations et une végétation dense. J’ai été accueilli par des jeunes femmes et quelques enfants qui m’ont fait visiter l’île. Sur notre chemin, nous avons rencontré deux hommes qui travaillaient dans quelques plantations de bananiers. Au retour, un homme âgé, que tout le monde ici nomme « Papa », nous attendait. Une longue discussion s’engage, et il m’apprend qu’il est le chef de la famille résidant sur l’île, et le chef de l’île. Il est aussi premier ministre du prince de Nosy Be, garant des traditions et c’est lui qui communique avec les esprits et est en charge des rituels. L’île abrite un arbre sacré. Je leur demande si je peux revenir les interviewer le lendemain avec ma caméra, ce qu’ils acceptent. « Papa » me raconte comment sa mère a acheté l’île aux français, comment elle a planté des bananiers, cafetiers et toutes sortes de plantes comestibles afin d’en faire commerce et d’être autonome. Il me raconte qu’il est né et a toujours vécu là tout comme ses deux fils et ses deux filles. Tout au long de l’année, ils font des va-et-vient entre l’île et le village de pêcheurs situé sur l’île principale, sur laquelle ils ont aussi une maison. Toutes sortes de rumeurs et légendes courent à propos de cette île et de ses habitants : autour de personnes qui y seraient enterrées, ou de ceux qui ont voulu l’acquérir, ou encore de mines dont elle recèlerait malgré sa taille minuscule. Je me lie un peu plus avec un des fils, Saïd. Il est un piroguier hors pair et me fait faire le tour de l’île et des environs. Je me rends ainsi chaque jour sur l’île, tissant toujours un peu plus de liens avec cette famille.

Deuxième récit
En novembre 2008, mon projet de fonder Libertalia sur les traces du Capitaine Johnson se dessine, mais je me rends compte du gouffre entre mon intention première et sa faisabilité. Je décide d’adapter mon projet et demande au « papa » s’il accepterait d’organiser un rituel pour demander aux esprits de consacrer notre rencontre. Il accepte et m’accueille ainsi officiellement sur l’île. Nous organisons alors une grande fête, qui dura trois jours et au cours de laquelle est sacrifié en offrande un zébu. De ces premiers événements, je réalise des vidéos et des photographies qui vont constituer la base de mon travail à venir. Le lendemain, « papa » me reçoit et me demande de m’installer sur l’île afin de les aider, lui et sa famille. Cette demande rejoignait les desseins du roman de Defoe et marquait le début de mon projet Et in Libertalia Ego. Je décide alors de construire sur l’île une habitation rudimentaire qui serait en quelque sorte mon atelier,* qu’ils pourraient louer en mon absence et servirait au développement de mon projet.

Troisième récit
En mars 2009, le gouvernement malgache est renversé par un coup d’état. J’y retourne malgré tout trois fois afin de poursuivre mon projet qui évoluait au fur et à mesure des difficultés rencontrées. J’ai commencé par construire un solide bungalow, ce qui fut long et compliqué. Au gré de mes venues, l’île devient un espace mental, où je peux expérimenter un art en dehors de l’atelier traditionnel ou de circuits artistiques qui m’étaient plus familiers (tels que le musée, le centre d’art ou la commande publique ou privée), et avec le souhait d’inviter des artistes à partager l’expérience. Le bungalow nouvellement construit devient mon atelier et l’île un territoire physique et mental. J’ai alors proposé à trois artistes (Thomas Hirschhorn, Pierre Huyghe et Damián Ortega) de réaliser à partir d’un protocole qu’ils accepteraient de me confier, des œuvres qu’ils avaient précédemment créées, et de les déplacer de leur contexte initial. Condition sine qua non, ces oeuvres, choisies pour leur pertinence par rapport au projet, devaient être réalisables avec les moyens dont je disposais sur l’île : outils, matériaux et savoir faire des personnes qui participeraient à la conception des oeuvres. Ni indiquées, ni mentionnées, ces oeuvres qui ont finalement vu le jour avaient pour seuls destinataires l’île et ses habitants. À mon retour en France, j’apprenais que Said avaient détruit les oeuvres, y voyant l’émanation d’une magie noire, et démonté une partie de mon atelier. L’un de mes objectifs, élaborer une oeuvre hors de l’atelier, dans un contexte qui m’était étranger et à partir de nouvelles contraintes, était clairement atteint, même si sa validation passait paradoxalement par la destruction des oeuvres.

À suivre…